Longtemps décriée,
l’idée d’une taxe Tobin fait désormais son chemin
afin de calmer la tempête sur la zone euro. Mais le remède
pourrait se révéler plus dangereux encore que le mal qui affecte
le malade européen.
L’idée
a été émise au mois d’août par Nicolas
Sarkozy et Angela Merkel, lors d’un
mini-sommet qui devait calmer les marchés. Le couple franco-allemand
avait annoncé « une proposition commune, dès le mois de septembre prochain, de
taxe sur les transactions financières », qui pourrait
rapporter entre 30 et 50 milliards d’euros par an. Mais deux jours à peine après
ce mini-sommet, les bourses européennes connaissaient une nouvelle journée de chute libre, sur fond
de crainte d’une récession aux États-Unis.
François Baroin
devrait néanmoins défendre l’idée de
cette taxe lors du prochain G20 qui se tiendra en novembre sur le sol
français, à Cannes. Cette proposition a reçu un soutien
de poids le 23 septembre dernier : Une taxe sur les transactions financières n'a pas besoin
d'être universelle pour voir le jour, et pourrait rapporter des
ressources substantielles, selon un rapport d'étape réalisé
par le milliardaire américain Bill Gates pour le G20.
L’idée d’un tel
impôt n’est pas nouvelle. Théorisée à la fin
des années 70 par l’économiste James Tobin, elle
était tombée en désuétude à la fin des
années 1990. Elle a connu une popularité croissante depuis le
début 2000. Mais c’est à l’aune de la crise de 2008
qu’elle a fait un spectaculaire retour sur le devant de la scène
publique.
Jusqu’à présent, la Suède est le seul pays
à avoir mis en place une taxe Tobin « chimiquement
pure ». Le 1er janvier 1984, un impôt de 0,5% sur
tous les mouvements de capitaux est instauré. Puis, en 1986, le gouvernement décide de doubler cette taxe.
Par ailleurs, un impôt sur les stock-options de 2% est introduit.
Rapidement, ce train de mesures se transforme en catastrophe pour le marché suédois. Dès
1990, la moitié des opérations sur les actions de la place
financière suédoise avaient fui vers Londres. Celles sur les
obligations et les dérivés étaient presque
réduites à néant. En dépit des estimations qui
chiffraient les recettes à près de 1,5 milliards de couronnes,
les recettes moyennes de cette taxe n’ont pas dépassé les
50 millions. Au point que le gouvernement a finalement décidé
de l’abolir dès 1991.
Une mauvaise taxe basée sur un mauvais postulat
« La spéculation,
voilà l’ennemi », récitent en chœur les
responsables politiques de tout bord. Ils oublient cependant que si les
États de la zone euro sont mis en difficulté par les
marchés, c’est d’abord parce qu’ils ont choisi
d’y emprunter massivement pour financer leurs déficits. Ils
oublient également que les finances publiques ont été
durablement dégradées par des décennies de promesses
électorales et de dépenses sociales en constante augmentation.
Si la spéculation est ce fléau si souvent décrié,
il fallait y réfléchir à deux fois avant de faire appel
aux investisseurs. « Mais qu’allaient-ils faire dans cette
galère », aurait pu dire Géronte, dans une
célèbre pièce de Molière.
L’exemple suédois devrait inciter
les gouvernants à enterrer l’idée d’une taxe Tobin.
D’abord parce qu’elle sera nécessairement suivie
d’une augmentation des prix sur le marché et d’une baisse
des revenus pour tous : gouvernants, particuliers et investisseurs. Ce
qui aura pour effets de faire ralentir l’activité des
marchés.
« C’est
précisément ce qu’on lui demande », se
réjouiront sans doute les mouvements altermondialistes. Sauf que ce
ralentissement ne manquera pas d’affecter les entreprises et plus
généralement la croissance économique. Il ne manquera
pas également de rendre plus difficile le financement des
États, déjà lourdement endettés, qui seront alors
obligés de consentir à des taux d’emprunts plus
élevés pour trouver des prêteurs.
Surtout, James Tobin lui-même avait
prévenu que cet impôt devrait être mondial ou ne pas
être. Or les États-Unis, la Chine, le Canada ou encore
l’Inde y sont hostiles. Aussi, appliquée à la seule zone
euro, la mesure fera le jeu de nos concurrents en éloignant les
investisseurs vers d’autres places financières plus
clémentes.
Déjà bien malmenée, la zone euro aura toutes les
chances de s’échouer avec fracas sur les écueils
d’une telle taxe. De toute évidence, cette
réponse-là n’est pas la bonne. Plus que jamais, le salut
de la monnaie européenne se trouve non pas sur les marchés,
mais dans les mains des politiques. Eux seuls détiennent les leviers
pour résorber le cancer qui affectent nos économies :
l’excès de dépenses publiques. Toute la question est de
savoir s’ils en auront le courage.
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