Est-il indispensable
d’épiloguer sur l’impuissance qui vient de se manifester
au grand jour vis à vis de la guerre monétaire,
qu’il faut tout de même appeler par son nom ? Oui, car il est
utile de se demander où pourrait bien se trouver la clé qui
permettrait de l’arrêter et en quoi elle consisterait. Toutes les
approches peuvent y contribuer.
Le trousseau ne comporte a priori
que deux clés, qui se trouvent à Pékin et à
Washington. Le malheur voulant que ni les Chinois ni les Américains ne
semblent en mesure de les actionner. C’est aussi ce que doivent se dire
– ouvertement ou in petto – tous ceux qui subissent les
effets de la déstabilisation monétaire en cours. Les effets
collatéraux, comme on dit désormais en empruntant au
vocabulaire de la guerre. Signe que les temps sont durs !
Le forcing des
Américains est brutal, tandis que la réaction chinoise
qu’il suscite en retour joue sur la souplesse. Doit-on en tirer la
conclusion que les premiers sont particulièrement le dos au mur ?
Qu’ils s’arc-boutent sur une vision de la crise reposant sur le déséquilibre
global qu’ils dénoncent, auquel il faudrait à toute
force et dans les meilleurs délais remédier ? De manière
similaire – mais sur un autre terrain – que les Allemands, qui ne
voient eux de salut que dans la lutte acharnée contre les
déficits publics ?
Il ne peut qu’être
déploré ce qui est au mieux, dans les deux cas, une idée
fixe et au pire une tragique erreur historique.
Où doit-on encore se
demander si cette fixation ne procède pas d’autre chose ? De la
crainte, une fois ce système d’explication abandonné, de
devoir affronter une réalité plus sinistre ? D’avoir
à reconnaître que la machine à fabriquer de la dette est
cassée, que le chômage est structurel c’est à dire
installé, que la consommation va rester en berne et la croissance de
même ? Car ce serait se soumettre à un inacceptable et
insupportable déclin, même si ce moment est arrivé. Et
qu’il est préférable de désigner un autre
responsable, posant un acte qui porte le nom de déni.
Au cœur de la crise du
capitalisme financier – leur bébé en quelque sorte
– les Etats-Unis subissent avec le plus d’impact son contrecoup
et ne savent plus comment faire face. Comment se résoudre à la
fin du rêve américain se demandent de leur côté
ceux qui y ont cru, en ont profité, et voudraient encore y placer
leurs espoirs ? Ceux là sont installés dans un refus
symétrique à celui de leurs dirigeants.
Que valent, dans ce contexte, les
admonestations faites aux Chinois ? Que faudrait-il, en
réalité, leur reprocher ? De continuer à emmagasiner des
surplus commerciaux gigantesques ou de les avoir accumulés depuis des
décennies ? Car il faudrait savoir ! Peut-on réécrire
l’histoire et leur reprocher aujourd’hui d’avoir hier
financé la dette américaine et contribué au
fonctionnement d’un système désormais grippé ? Ou
bien leur demander de renier ex abrupto et sans se soucier des conséquences
les dieux longtemps présentés à leur adoration ?
Non, il pourrait par contre leur
être reproché – ainsi qu’à tous les pays émergents
– d’avoir cédé aux sirènes de la
mondialisation financière et engagé leur pays dans un
modèle de développement qui s’est
révélé intenable. Non seulement au plan mondial, comme
on le constate, mais également et de manière plus pernicieuse
à l’intérieur de leurs propres frontières. Induisant
un développement inégalitaire de la société et la
coupant en deux, pour aller à l’essentiel, multipliant les
désastres environnementaux ou en en préparant d’autres.
Tôt ou tard, il faudra en
venir à une refonte du système monétaire international.
Bien que cela soit une condition nécessaire mais pas suffisante pour
sortir de la crise. Elle s’attaque aux conséquences d’un
déséquilibre, qui n’est lui même que la
conséquence d’un autre, laissé intact : la distribution
inégale de la richesse.
Les Etats-Unis perdant à
l’occasion de cette refonte leur statut privilégié, ils vont
y faire le plus longtemps possible obstacle, ce qui règle d’une
certaine manière le problème tant que cela durera ainsi ! La
guerre monétaire a de beaux jours devant elle.
Cela n’empêche pas le
discours sur le rééquilibrage global de s’appuyer
sur une idée fausse, qui ne se réalisera pas. Un point de non
retour a en effet été franchi, des dynamiques
irrémédiables ont été enclenchées. Revenir
sur le processus de la mondialisation financière est une vue de
l’esprit, sauf à l’inscrire dans une toute autre logique.
Cherchant à s’adapter
à la nouvelle donne, les investisseurs se précipitent vers les
pays émergents. Ils voudraient continuer de s’y implanter
afin de poursuivre ce qu’ils ont accompli dans les pays développés.
Reproduisant un schéma similaire sur ces nouvelles terres vierges et
prometteuses.
Mais les raids financiers
déstabilisateurs qu’ils y mènent actuellement sont une
menace pour leurs propres plans. Rééquilibrer le monde tel que
les Américains l’entendent plongera ensuite dans la crise la Chine,
leur financier principal, et leur imposera de réduire leur
déficit plus qu’il ne leur permettra de relancer leur
économie.
Il est loin le temps où les
rapports entre les pays sous-développés et développés
étaient régis par les lois d’un échange
inégal entre matières premières achetées à
bas prix et produits manufacturés vendus en retour à des tarifs
élevés et inaccessibles pour le plus grand nombre. Le
capitalisme financier a impulsé une autre division du travail, qui a
aboutit à ce que les pays émergents deviennent les Z.I.
(zones industrielles) des pays développés. Afin
d’optimiser des deux côtés les rendements financiers. Un
beau calcul qui a aujourd’hui tout faux.
Dans les pays développés,
l’équilibre avait été maintenu grâce
à la machinerie sophistiquée de la dette, finançant une
part de plus en plus grande de la consommation, tandis que les gains de
productivité était prioritairement
affectés à la rétribution du capital. Si un
équilibre a été rompu, c’est bien celui-là.
C’est donc à lui qu’il est nécessaire de
remédier. En application d’une idée
élémentaire : la rétribution de l’argent et de
ceux qui l’accaparent ne fondera pas la société de
demain.
Dans les pays émergents,
un très large secteur économique informel continue de se
développer, indépendant de l’Etat, sa bureaucratie, ses
taxes et pour une large part son filet de protection sociale et sanitaire. Il
est à la fois l’héritage du passé et la
conséquence du modèle de développement choisi. Ce
dernier contribue à une énorme concentration de la richesse, au
développement de couches moyennes, et au maintien du plus grand
nombre dans une servitude qui ne dit pas son nom. C’est cela, le
miracle actuel des pays émergents, rien d’autre. La
pauvreté extrême peut reculer mais les inégalités croissent
et la société à deux vitesses se cristallise.
Il y est aussi urgent de changer
le mode de distribution inégalitaire de la richesse, ce qui suppose de
changer de modèle de développement, induisant entre pays émergents
et pays restant riches des rapports de coopération économique
échappant à la logique financière. L’une des
expressions les plus intolérables de cette dernière
étant la spéculation sur les matières premières
alimentaires, qu’accompagnent l’omniprésence de
l’industrie agro-alimentaire et de ses exigences, prétendant
contrôler toute la filière alimentaire, depuis les semences
stériles vendues sous licence jusqu’à la grande
distribution. Une mainmise qui vaut celle de l’industrie pharmaceutique.
Quand aux pays développés,
au sommet d’une gloire non partagée et condamnée à
être déchue, ayant poussé à bout un modèle
qu’ils ne peuvent plus continuer à reproduire, ils n’ont
d’autre ressource que d’également en inventer un autre. Ce
qui impliquera d’inévitables mises en cause et refondations, dans
la foulée d’une crise qui montre en creux le chemin. Exposant
l’inanité de ce qui était auparavant
présenté comme immuable, à commencer par l’abandon
des dogmes d’une pensée économique désormais
à reléguer dans les placards de l’histoire.
Ce fil là n’est pas
le seul qui a commencé à être tiré. Quel sens va
avoir le débat politique, s’il ne consiste pas à exposer
et discuter de solides alternatives aux conséquences de la crise
actuelle, celles que l’on connaît et celles que l’on
pressent ? De quelle portée bénéficieront les
manifestations de refus et de rejet du mouvement social si elles ne trouvent
pas des relais sous forme de propositions construites, refusant les logiques
fermées et arrangeantes auxquelles il faudrait se résigner ?
Il y a des paris qu’il faut
tenir.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
reproduction en tout ou en partie à condition que le présent
alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé
durant les dix dernières années dans le milieu bancaire
américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il
a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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