Qu’on l’appelle « revenu de base » ou « revenu
universel », le principe séduit de plus en plus de gens, aussi bien à
droite qu’à gauche, qu’ils soient économistes ou politiques. Pour autant, il
existe encore de nombreux freins à la mise en place ce que certains
considèrent encore comme une utopie. Des blocages qui pourraient néanmoins
être levés à condition de repenser l’universalité, non pas à l’égard des
usages, mais uniquement des individus, grâce par exemple aux monnaies
complémentaires.
L’objectif du revenu universel est simple : accorder à chaque
citoyen, enfants compris, les ressources suffisantes lui permettant de vivre
indépendamment de toute autre forme de rémunération. À chacun
ensuite d’exercer ou non une activité en parallèle pour gagner davantage, et
vivre mieux. Politiquement, ceux qui prônent l’égalité, la solidarité et la
fraternité y trouvent leur compte puisqu’une telle mesure octroie théoriquement
un droit identique à chaque individu. Or même les détracteurs habituels de
« l’assistanat public » sont également séduits, puisqu’un éventuel
revenu universel s’accompagnerait en théorie de l’annulation de toutes les
aides et allocations qui, de leur point de vue, ont tendance à maintenir les
gens dans l’inactivité.
L’ennui c’est qu’en pratique, on dénombre encore un grand nombre de
blocages qui interdisent la mise en place d’un quelconque revenu de base
généralisé.
Le revenu universel à l’épreuve de l’inconstance humaine
Ainsi, quelle que soit la somme allouée à chaque individu à l’exclusion de
toute autre aide publique (on parle de 800 euros par mois dans le cas le plus absolu, à l’instar
de ce que veut tester la Finlande), il s’en trouvera toujours quelques uns
qui ne sauront pas gérer leur budget et qui compteront sur la générosité
collective pour assurer leur subsistance à long terme. Dit plus
clairement, on ne pourra jamais lutter contre les penchants excessifs,
dépensiers et imprévoyants d’une partie de la population qui prendra
le revenu universel comme une manne tombée du ciel et qui en
profitera au jour le jour, sans se soucier des lendemains, ni prendre la
peine de s’assurer volontairement contre les aléas de la vie jusqu’ici
couverts par l’État. Et on verra donc forcément très vite, par exemple, des
files de gens sans aucune couverture maladie se presser aux portes des
hôpitaux pour demander qu’on les soigne.
Un autre effet du revenu universel, qui semblera bénéfique au premier
abord, c’est une probable remontée de la courbe démographique.
Sans vouloir faire preuve de cynisme, on peut même imaginer que certains
ménages envisageront d’avoir davantage d’enfants en vue de percevoir
un revenu mensuel plus important. C’était d’ailleurs le vœu premier
des initiateurs de l’allocation familiale.
L’ennui, c’est que cette population croissante voudra continuer à bénéficier
des mêmes services publics, lesquels risquent fort de devenir alors
sous-dimensionnés au bout de quelques années. Crèches, écoles et
hôpitaux seront très probablement les premières infrastructures
publiques à être touchées par la pénurie de places disponibles, sachant que
la situation actuelle est déjà loin d’être satisfaisante.
On pourrait évidemment en construire davantage, mais sachant qu’il est
très difficile de répondre à la demande aujourd’hui, qu’en sera-t-il lorsque
la main d’œuvre sera moins importante ? Car l’un des objectifs du revenu
universel est d’amener les gens à envisager une vie où l’épanouissement ne
passera plus nécessairement par le travail. Si l’idée finit par être adoptée
par le plus grand nombre, il faudra ensuite trouver des arguments bien
solides pour convaincre les gens d’occuper un emploi aussi peu glamour et
épanouissant que ceux proposés par le secteur du bâtiment par exemple. Des
arguments qui passeront probablement par les salaires…
Affaiblissement de l’économie classique et renforcement de la pression
fiscale
Justement, les salaires, parlons-en. Avec les fins de mois
assurées pour un grand nombre de citoyens, surtout les familles, les
candidats risquent de ne plus être aussi nombreux à se précipiter sur les
offres d’emploi. À plus forte raison pour des emplois à faible valeur
ajoutée ou peu qualifiés qui étaient habituellement payés au
salaire minimum. Un minimum que les individus bénéficiant désormais
d’un revenu de base souvent équivalent, voire supérieur, ne voudront plus
accepter.
Par conséquent, sauf à pouvoir proposer des salaires largement révisés à
la hausse, ou même des « golden hello » et autres
avantages substantiels pour attirer les candidats, les petites entreprises
auront bien du mal à rivaliser avec les grands groupes. Et faute d’avoir les
moyens d’embaucher dans ce nouveau contexte, nombreuses seront celles qui ne
pourront plus assurer leur développement, voire carrément leur
activité pour celles qui dépendront directement d’une main d’œuvre
spécialisée (bâtiment, manufactures, artisanat…).
Or, avec la baisse de l’emploi salarié, le financement du revenu
universel ne pourra plus être assuré par les seuls prélèvements sociaux.
Il faudra donc augmenter la charge fiscale des individus
comme des entreprises. Ce qui risque, non seulement d’accélérer la
disparition des PME évoquée plus haut mais aussi d’accroître considérablement
les dérives vis-à-vis de l’impôt (baisse du pouvoir d’achat, fraude à la TVA,
évasion fiscale, etc.)
Une première réponse : les monnaies complémentaires
Face à toutes ces éventualités, l’une des pistes les plus prometteuses se
trouve sans doute dans les monnaies complémentaires.
En effet, plutôt que d’imaginer un monde où chacun recevrait un certain
nombre d’euros (ou de dollars, de yens, etc.) pour continuer à faire tourner
l’économie globale, on pourrait au contraire envisager un revenu
universel de base affecté à un usage bien précis, distribué à tout
le monde mais dans une monnaie complémentaire totalement décorrélée
des devises officielles.
Il serait alors parfaitement possible d’orienter les bénéficiaires vers
des commerces ou services locaux dont l’économie ne dépendrait plus de
marchés mondialisés de plus en plus fluctuants. Avec une monnaie
locale complémentaire, uniquement affectée à l’achat des produits et services
de proximité, l’impact social et environnemental serait considérable.
Le renforcement des circuits courts pour les productions régionales,
notamment, mais aussi plus généralement la valorisation d’une économie
éthique et durable, permettraient de garantir un certain maintien du
pouvoir d’achat des citoyens sur les produits courants, en dépit des
turbulences économiques mondiales.
Évidemment, les produits d’exportation ou les services financiers
classiques continueraient à être réglés en euros, mais l’objectif du revenu
universel sera ailleurs. Véritable rempart contre un éventuel
effondrement des marchés internationaux, la monnaie complémentaire
pourrait permettre de réguler l’économie intérieure du pays en évitant que des
phénomènes extérieurs viennent influer trop brutalement sur le coût de la vie
pour les habitants.
Enfin, le recours à un revenu universel distribué dans une monnaie locale,
dont la vocation première ne serait plus la thésaurisation mais la
consommation, aurait pour incidence de réduire les inégalités
en donnant à chacun de quoi acheter des denrées produites localement,
utiliser les transports en commun (à énergie propre et durable), bénéficier
de services de proximité, mais aussi aller au restaurant, au spectacle… ou
tout simplement recréer du lien social et remettant l’individu au sein de la
collectivité.