À première
vue, cela peut paraître saugrenu de mettre
côte-à-côte les mots « niches fiscales »
et « sociales. » Pourtant ce pourrait être
là une des principales innovations du quinquennat de François Hollande.
Si les media ont surtout relayé la proposition faite le 17
février sur Europe 1 par Didier Migaud,
Président de la Cour des Comptes, de fiscaliser les allocations
familiales, le dialogue avec le journaliste Jean-Pierre Elkabbache
est riche d’enseignement sur les probables politiques de
réduction des dépenses publiques à venir à
travers la fiscalisation des prestations sociales.
Revenons donc
sur ce dialogue. Didier Migaud évoque le
problème des comptes publics : « ce que nous avons pu
observer dans nos différents rapports, c’est que pour redresser
les comptes publics, il faut agir à la fois sur les recettes,
c’est-à-dire sur les impôts et taxes, et également
sur les dépenses. » Et d’expliquer : « sur
les recettes ça veut dire effectivement mettre sur la table ce que
l’on appelle un certain nombre de niches fiscales »
enchaînant tout de suite en disant que « les prestations
familiales, les allocations familiales, le fait qu’elles soient
fiscalisées ou pas c’est effectivement un sujet qui peut
être mis sur la table. »
Surpris que
l’expression « prestations familiales » et
« niches fiscales » soient si proches, Jean-Pierre Elkabbache demande une explication, un
éclaircissement : « c’est une niche ?,
c’est une niche fiscale ? » Ce à quoi Didier Migaud répond avec un léger temps
d’arrêt : « on peut considérer en tout cas que
c’est une prestation qui rentre dans les revenus et qui peut,
d’une certaine façon, être fiscalisée. »
Un tournant dans les finances sociales
françaises
Tout
d’abord il faut rappeler que la niche fiscale s’appuie soit sur
une dérogation qui permet de réduire ses impôts ou d’en
être exonéré, soit sur un vide législatif qui
permet d’échapper légalement à l’impôt. En outre,
la niche fiscale représente toujours un manque à gagner pour l’État.
La France compte environ cinq cents niches fiscales, savamment
utilisées par les contribuables les mieux informés afin de
conserver une partie plus importante de leurs revenus.
Ensuite, les prestations
familiales, à savoir celles qui concernent la « naissance
du jeune enfant » et « l’entretien des
enfants », versées par la caisse d’allocations
familiales (CAF) représentent un peu plus de 29 milliards
d’euros. Sans trop entrer dans les détails, mais pour donner une
idée des coûts sociaux, il faut préciser que la
prestation d’accueil du jeune enfant représente 12,7 milliards
d’euros bénéficiant à 2,2 millions de familles.
Les allocations familiales proprement dites pèsent quasiment 12
milliards d’euros pour 4,7 millions de familles. L’allocation de
rentrée scolaire se monte à 1,4 milliards d’euros pour 2,8
millions de bénéficiaires.
Toutes ces prestations
sont maintenant dans le viseur de l’État. Car ces
compléments de revenus sont exonérés d’impôt
et aucune disposition législative, à ce jour, ne prévoit
de les fiscaliser. C’est cet aspect des prestations sociales qui les rapproche
de la niche fiscale. Si elles
venaient à être considérées comme telles,
nous assisterions à un tournant fondamental de la politique sociale
qui permettrait in fine de réduire les dépenses publiques.
Une manne de 62 milliards d’euros
Il est alors fort
à parier que les politiques français ne se cantonneront pas aux
seules prestations familiales. La
CAF verse aussi les prestations
logement qui se montent à 15,7 milliards d’euros, les
allocations aux adultes handicapés pour 7 milliards d’euros et
le revenu de solidarité active pour 9,4 milliards d’euros. Les
dépenses sociales de la CAF, qui bénéficient
à 11,4 millions de
français, se montent en réalité à un total de 62
milliards d’euros. Une vraie manne pour l’État qui pourrait
dépenser moins.
On le voit, le
concept de « niche fiscale sociale » est apparue dans
le paysage fiscal français et ne risque pas d’en sortir. Très
concrètement cela signifie que les aides sociales diminueront à
proportion de leur fiscalisation. Le processus est inéluctable dans un
État économiquement aux abois. Alors en ne niant pas que les
prestations familiales soient des niches fiscales, Didier Migaud
a bel et bien ouvert la boite de Pandore.
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