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Les ogres ne sont plus ce qu’ils étaient

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Published : July 25th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Nous vivons décidément une époque formidable, comment ne pas en convenir ?


Pour ne retenir que cela et rester dans notre sujet, la planète entière est secouée par une crise financière qui n’arrête pas de rebondir. Elle est momentanément calmée en Europe, mais le suspens s’intensifie au bout de la dernière ligne droite aux Etats-Unis, fruit de l’âpreté de la campagne électorale qui est engagée et de choix budgétaires incontournables auxquels la société est désormais confrontée. Ce n’est pas nécessairement la débâcle qui s’annonce, mais bien la poursuite du déclin déjà engagé.


Les démocrates et les républicains s’affrontent sur le terrain de la diminution de la dette publique avec des arrières-pensées électorales – les uns voulant taxer les plus riches et éviter de trop larges coupes dans les budgets sociaux, les autres exigeant exactement le contraire – au nom de ce qu’ils intitulent pompeusement leurs visions du pays. Les mesures à prendre, leurs modalités et contenu, ainsi que leur calendrier, font l’objet des négociations acharnées à marche forcée, de propositions et contre-propositions permettant à chacun de prendre l’opinion à témoin de la pureté de ses intentions. Incertaine, l’issue ne devrait pas tarder. Avec le risque d’un dérapage.


On constate en attendant que les marchés font jusqu’à maintenant preuve d’une incontestable placidité aux Etats-Unis, ce qui conduit à s’interroger. En Europe, ils ont même salué un plan de dernière heure, car il fait a minima la part du feu.


La plus immédiate des explications est que ces mêmes marchés ne peuvent pas croire – à neuf jours de l’échéance – à ce qu’un défaut sur la dette américaine puisse au final intervenir, vu l’énormité de la chose. Mais il y a d’autres manières de comprendre leur attitude.


Soit, comme cela est intervenu en Europe, parce que l’impact d’un tel défaut est en réalité exagéré, surtout s’il est de courte durée et que le Trésor américain en panache les effets. On aurait alors affaire dans l’immédiat à un bénin hoquet. Ce ne serait cependant que partie remise. Soit car les investisseurs ne disposent pas d’alternative pour se retourner et qu’il leur faut, vaille que vaille, de pas faire plonger la dette américaine, qui joue deux rôles à la fois, refuge et précipice au bord duquel ils n’ont d’autre choix que s’agripper. Le dos à la falaise, les marchés peuvent-ils précipiter leur propre perte en sapant l’un de leurs piliers financiers ? Il faut encore et toujours vivre avec la dette et trouver les moyens de la financer, faute d’autre ressource de même nature disponible en grand. Le sable des châteaux-fort doit être mouillé pour tenir droit, mais il est connu qu’il sèche vite au soleil.


Ce que les Européens sont en passe de démontrer est toute autre chose : une restructuration ordonnée de la dette n’est plus nécessairement synonyme de chaos financier et peut au contraire contribuer à sortir d’une impasse. Voilà une nouveauté, quand bien même celle qui vient d’être décrétée est limitée, un précédent a été institué. En dépit du chœur immédiatement formé par tous ceux qui ont exigé de ne pas y revenir à nouveau (dernier en date, Lorenzo Bini Smaghi, gouverneur de la BCE), ce ne serait pas la première fois qu’une telle barrière serait finalement franchie, à la prochaine occasion. Nécessité fait loi.


S’il se révèle pratiquement impossible de faire absorber par de seules coupes budgétaires la résorption des déficits publics, il ne reste pratiquement que deux solutions : restructurer la dette ou lancer délibérément l’inflation. Comme par hasard, il s’agit des deux monstres qu’il ne faut pas absolument pas rencontrer. Mais l’on constate pourtant que le premier donne des signes de pouvoir être apprivoisé, à confirmer dès demain lundi. Qu’en est-il de l’autre  ?


Depuis des décennies, l’inflation a été représentée comme un ogre dévorant tout ce qu’il trouve sur son chemin, spécialement les petits enfants, dénommés dans le scénario de ce film d’horreur « les petits rentiers ». Les banques centrales ont inscrit sur leur fronton la mission de la combattre sans merci et s’y sont employées avec leurs arsenal monétaire. Au moindre frémissement de la bête, elles frappaient pour la contenir dans son enclos.


Depuis que cette crise est entamée, elles n’ont cessé de déverser des liquidités sur le marché financier, sans pourtant réveiller l’ogre qui s’est contenté parfois d’ouvrir une paupière. La seule inflation que les chevaliers blancs ont fait se dresser, c’est celle des actifs, et plus particulièrement des matières premières. Dans les pays occidentaux développés, le « second tour » redouté – lorsque l’inflation atteint les produits de consommation – ne s’est pas produit, dans un contexte de sur-production et de sous emploi. Serait-ce à dire que cette deuxième statue du Commandeur est, elle aussi, descendue de son piédestal ? Que l’inflation ne serait pas le danger dont il fallait à tout prix se prémunir ?


Une deuxième raison justifie qu’elle n’honore pas son rendez-vous : les marchés n’en veulent à aucun prix, car les investisseurs verraient la valeur de leurs actifs financiers fondre en conséquence. Les petits rentiers ont bon dos ! Lire les discours de Ben Bernanke, le président de la Fed, c’est feuilleter une anthologie de propos rassurants destinés à Wall Street et arguant de la capacité de son institution à résorber les liquidités qu’elle a déversées pour prévenir le démarrage de l’inflation ! Se plonger dans les oeuvres complètes du résident de la BCE, Jean-Claude Trichet (à Dieu ne plaise !), c’est lire et relire un seul avertissement, celui de son implacable détermination à combattre l’hydre chaque fois qu’une de ses têtes repousse.


Pour cette même raison, l’hyperinflation qui est présentée par certains comme inéluctable, lorsque tout aura été tenté, est la dernière resucée d’un spectacle de Grand Guignol. « Attention, le méchant arrive derrière toi ! » crient les petits enfants effrayés, parce que le jeu le veut. L’histoire peut toutefois se terminer ainsi, mais elle n’est pas encore écrite.


D’ailleurs, à tout bien considérer, d’où vient cette inflation qui fait grimper démesurément le prix des actifs ? Des salaires trop élevés, de l’insuffisance de la production ? On le saurait. Elle est le résultat d’une spéculation financière qui se nourrit d’elle-même, de surcroît alimentée par les injections de liquidité des banques centrales, jusqu’au jour où… Les banques centrales jouent les prix de vertu, mais c’est par elles que le malheur arrive.


L’inflation des prix à la consommation n’est pas au rendez-vous et une première restructuration limitée de dette va être réalisée en Europe. Une porte est fermée, une autre a été entrebâillée : voilà ce que l’on peut aujourd’hui observer, en incluant le Royaume-Uni, où les risques d’installation de la stagflation sont patents.


Ce qui n’interdit pas de penser que la voie de la restructuration, aussi complexe soit-elle, est la seule praticable. Non seulement parce qu’elle allégerait le fardeau des Etats, dont le système financier voudrait amoindrir la mission pour la faire sienne, mais également par qu’elle dégonflerait, de manière ordonnée et non pas sauvage, la gigantesque bulle financière qui s’est constitué durant les dernières décennies. Elle heurterait donc de plein fouet les intérêts du système financier.


L’argument selon lequel « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », qui interdirait de procéder à une telle réduction autoritaire au prétexte, toujours le même, des petits rentiers à protéger, est-il recevable ? Non, car rien n’interdirait de procéder à un échange d’actifs avec de nouveaux apportés en garantie, issus dans le cadre de l’émergence de nouveaux instruments monétaires qui accompagnerait inévitablement un tel maelstrom.


En dernière instance, ce qui est un comble, les gardiens du Temple se retrouvent démunis devant la crise. Pouvant colmater les brèches, ils en suscitent ailleurs et ne réparent pas le navire. La BCE vient de partiellement se retirer du jeu, la Banque d’Angleterre ne sait pas sur quel pied danser et reste coite, la banque du Japon tient le pays le nez hors de l’eau, celle de la Chine Populaire a fort à faire face à l’inflation qu’elle a crée. Seule, la Fed pourrait encore se résoudre à faire un grand bond en avant et relancer un nouveau programme d’achat de la dette US, pour tenter de sauver ce qui reste à l’être.


Si les marchés s’emballaient, elle n’aurait pas le choix et a prévenu avoir prévu un dispositif en cas de défaut sur la dette. Jean-Claude Trichet a formulé le même avertissement, depuis le sommet européen.


La situation reste très instable, de grandes embardées ne peuvent jamais être exclues. Cette crise est de nature rampante et rebondissante, depuis la chute libre initiale. Est-ce dans les jours qui viennent que la digue, à force, va finir par céder ? Ou bien un nouveau répit va-t-il être gagné ? Si Barack Obama devait prendre seul la décision de relever le plafond de la dette par décret (en vertu d’un alinea de l’article 14 de la Constitution) américaine), cela devrait sérieusement chahuter sur les marchés.


Mais les ogres ne sont plus vraiment ce qu’ils étaient.




Billet rédigé par François Leclerc




Paul Jorion






(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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