On a
beaucoup parlé d’antisémitisme en France ces temps-ci
à propos de l’affaire Dieudonné. Au-delà de la
question de savoir s’il s’agit d’une provocation ou
d’un phénomène inquiétant, il est intéressant
de comprendre la mécanique intellectuelle qui a engendré l’antisémitisme
dans l’Allemagne nazie au XXe siècle. Pour Ludwig von Mises, l’antisémitisme est une variante
de ce qu’il appelle le polylogisme, un
sophisme inventé par Marx un siècle auparavant.
Jusqu'au
milieu du XIXe siècle, personne n'osait contester le fait que la
structure logique de l'esprit était identique et commune à tous
les êtres humains. Toutes les relations humaines sont fondées
sur l'hypothèse d'une structure logique uniforme. Les hommes peuvent
entrer en discussion parce qu'ils peuvent faire appel à quelque chose
de commun à tous, à savoir la structure logique de la raison.
Il est difficile d'imaginer un monde peuplé d'hommes dotés
d'une structure logique différente de la nôtre. Aucune
coopération sociale et intellectuelle avec ces hommes ne serait
possible. Or, selon Mises,
Au
cours du XIXe siècle, ce fait indéniable a
pourtant été contesté. Marx et les marxistes (...) ont
enseigné que la pensée est déterminée par la
situation de classe de celui qui pense. Ce que la pensée produit n'est
pas la vérité, mais des idéologies. Ce mot signifie,
dans le contexte de la philosophie marxiste, un déguisement de
l'intérêt égoïste de classe à laquelle
appartient l'individu qui pense. C'est pourquoi il est inutile de discuter
quoi que ce soit avec des personnes d'une autre classe sociale. Les
idéologies n'ont pas besoin d'être réfutées par un
raisonnement déductif ; elles doivent être démasquées
en dénonçant la situation de classe, l'arrière-plan
social de leurs auteurs. Ainsi les marxistes ne discutent pas les
mérites des théories physiques ; ils dévoilent
simplement l'origine bourgeoise des physiciens. (Le gouvernement omnipotent).
Le polylogisme s'oppose à l'universalisme,
c'est-à-dire à l'idée qu'il existe des
vérités universelles que la raison peut
reconnaître. Mises explique comment le marxisme et
le nazisme procèdent de ce genre d'idées : il n'y aurait
pas une structure logique identique pour tout individu, mais une structure
logique de l'esprit différente selon l'appartenance à des
catégories déterminées, selon les classes, les
races ou les sexes (ou les nations). Ainsi, pour le marxisme, il y
aurait une logique prolétarienne et une logique bourgeoise. Pour
le nazisme, il y aurait une logique aryenne et une logique juive.
Pour certaines féministes, il y aurait une logique masculine et
une logique féminine.
Aux yeux des marxistes, Ricardo, Freud, Bergson
et Einstein sont dans le faux parce qu'ils sont bourgeois ; aux yeux des
nazis, ils sont dans le faux parce qu'ils sont juifs. Ainsi, les nazis se
sont composés un polylogisme à eux,
affirmant que la structure logique de l'esprit serait différente
suivant les nations et les races. Chaque race ou nation aurait sa propre
logique et donc une économie, des mathématiques, une physique
et ainsi de suite qui lui sont propres. La seule logique et la seule science
exactes, correctes et éternelles seraient celles des Aryens. C’est pourquoi un des premiers
buts des nazis fut de libérer l'âme aryenne de la pollution
des philosophies occidentales de Descartes, Hume et John Stuart Mill.
Mises
a également montré que le principal obstacle à
surmonter pour Marx fut la critique dévastatrice des économistes.
Les
marxistes ont eu recours au polylogisme parce
qu'ils ne pouvaient pas réfuter par des méthodes logiques les
théories développées par les économistes
bourgeois ou des déductions tirées des théories
démontrant le caractère impraticable du socialisme. Ne pouvant
démontrer rationnellement la solidité de leurs propres
thèses ou la fragilité des idées de leurs adversaires,
ils ont dénoncé les méthodes logiques acceptées.
Le
succès de ce stratagème marxiste fut sans
précédent. Il a servi de preuve contre toute critique
rationnelle aux absurdités de la soi-disant économie et la
soi-disant sociologie marxistes. Ce n'est que par la supercherie logique du polylogisme que l'étatisme a pu s'implanter dans
les esprits modernes.
Mais
le polylogisme est absurde car il est
logiquement contradictoire. Il ne peut être porté jusqu'à
ses conséquences logiques ultimes. Aucun marxiste n'a eu assez
d'audace pour tirer toutes les conclusions qu'exigerait son propre point de
vue épistémologique. Le principe du polylogisme conduirait
à la déduction que les enseignements marxistes également
ne sont pas objectivement vrais, qu'ils ne sont que des affirmations
idéologiques ; mais les marxistes le dénient. Ils revendiquent
pour leurs doctrines le caractère de vérité absolue.
D'où
la conclusion de von Mises :
Le polylogisme n'est pas une philosophie ni une
théorie épistémologique. C'est une attitude de
fanatiques bornés, qui ne peuvent imaginer que quelqu'un puisse
être plus raisonnable ou plus intelligent qu'eux-mêmes. Le polylogisme n'est pas non plus scientifique. C'est
plutôt le remplacement du raisonnement et de la science par des
superstitions. C'est la mentalité caractéristique d'un
âge de chaos.
Sources
:
Ludwig
von Mises, Le Gouvernement omnipotent. De l'État totalitaire à la
guerre mondiale. Éditions politiques, économiques et
sociales — Librairie de Médicis — Paris (1947). Traduit
par M. de Hulster. Troisième partie
— Le nazisme allemand, VI. Les caractéristiques
particulières du nationalisme allemand, 6. Polylogisme
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