|
Même si le sujet n'est pas aussi médiatique
que la crise de l'Euro, la décennie qui vient s'annonce placée
sous le signe des "partenariats public-privé", qui se déclinent
sous le doux acronyme de PPP aussi bien en Français qu'en Anglais, ce
qui est bien agréable pour les traducteurs. Et des deux
côtés de l'Atlantique, politiciens et économistes "mainstream" ne jurent que par ce "nouvel"
outil de management de l'investissement dédié à
l'intérêt général. Trains, éoliennes,
aéroports, immobilier public... Rien n'échappe plus,
désormais, aux PPP.
PPP, un lifting marketing pour une recette éculée :
l'économie subventionnée
Le principe en est simple : imaginons qu'un équipement
nécessite, pour voir le jour, un investissement de 7,8 milliards
d'Euros, mais que les recettes d'exploitation de cet équipement ne
puissent effectivement rentabiliser qu'un investissement de 3.8 milliards.
Sous le nom ronflant de "PPP", des décideurs publics vont,
s'ils souhaitent que l'investissement se fasse à tout prix, octroyer
une subvention de 4 milliards, et laisser le privé se
débrouiller pour rentabiliser les 3.8 Mds restants.
Le PPP, loin d'être une innovation, n'est qu'une énième
variation sur le thème de la subvention de l'état à des
activités jugées officiellement "prioritaires",
"stratégiques", "d'intérêt
général", ou que sais-je encore. Sans parler des motifs
inavouables, que Wikileaks finira bien par mettre
à jour. J'aurai donc dans la suite de cet article une
définition assez large du PPP.
Les chiffres cités plus haut ne le sont pas au hasard : ce sont ceux
qui seront effectivement appliqués à la ligne de train à
grande vitesse ("LGV") Tours Bordeaux, qui mettra la capitale d'aquitaine
à 2h15 de paris, hors jours de grève, de neige, et de panne de
caténaires. J'ai déjà évoqué le non-sens
que représentait cette décision dans une note de l'an dernier.
Mais abordons le PPP sous un angle plus général.
Certains me diront que je devrais au contraire me réjouir de
l'extension des PPP, puisque grâce à cet outil, l'état
(ou les collectivités locales), au lieu d'assumer seuls les risques
inhérents à certains investissements publics, créant de
facto de nouveaux monstres nationalisés, favorise l'émergence
d'entreprises à la gestion privée pour remplir des
"missions" autrefois dévolues au vieux service public
vermoulu et notoirement peu efficient.
Le PPP, moteur du mal investissement
Il s'agit là d'un contresens majeur. Le PPP rend possible, grâce
au racket opéré sur le contribuable, des investissements qui
n'auraient pas vu le jour sans la subvention. Si ces investissements ne
couvrent pas leurs coûts par les flux purement volontaires et
privés qu'ils génèrent, c'est que la valeur qu'ils
créent est insuffisante. Eh oui, si le bobo parisien devait payer à
son vrai prix le voyage entre la capitale et la gare Saint-Jean, sans doute
le niveau des réservations ne serait pas le même. Autrement dit,
quoiqu'en disent les idolâtres du TGV, gagner 50 minutes sur le trajet
Tours-Bordeaux a sans doute une valeur très limitée.
Le PPP créée une incitation, pour les entreprises
privées, à privilégier des investissements PPP au lieu
d'investissements purement privés. En effet, grâce à la
subvention, si le partenaire privé se débrouille bien, il peut
espérer, avec un investissement de 3,8 milliards, une
génération de flux financiers qui auraient
nécessité 4 ou 4,5 Mds d'investissement dans un projet non
subventionné. Pourtant, le projet à 4 ou 4,5 Mds purement
privé aurait au final eu une rentabilité incomparablement supérieure
à celle du projet à 7,8 milliards tous coûts confondus.
Le PPP permet donc de donner tant au privé qu'à l'état
l'illusion qu'ils réduisent leur facture en se faisant subventionner
par leur partenaire. Il est donc un terrible instrument de
génération de mal investissement. Le contribuable perd non
seulement le capital investi par l'état dans le PPP, et
l'économie perd en plus la part privée de l'investissement qui
aurait pu être investie dans des projets à
l'intérêt économique, et donc sociétal,
incomparablement supérieur.
Rappelons qu'une activité économiquement rentable sans aide de
l'état est une activité qui créée plus de valeur
pour des clients qu'elle ne consomme de ressources pour des producteurs, elle
est donc par nature incroyablement bénéfique d'un point de vue
sociétal. Contrairement à une activité non rentable qui
est destructrice nette de valeur. Donc 1000 entreprises peu spectaculaires
mais rentables ont une valeur économique très supérieure
à un TGV ou un aéroport subventionnés, quoiqu'en disent
les professionnels de l'aménagement bureaucratique du territoire.
Naturellement, les 1000 ou 2000 PME qui auraient vu le jour grâce au
non prélèvement de quelques milliards destinés au
financement d'une ligne TGV (ou d'un aéroport, d'un palais des
congrès, ou que sais-je encore) sont moins spectaculaires que
l'équipement public dont on parlera longtemps dans les journaux. Mais
il n'en reste pas moins que même si la presse bruisse des
"fantastiques opportunités économiques"
créées par la nouvelle infrastructure, celles-ci seront
toujours par nature inférieures économiquement à celles
qui seraient nées de décisions purement privées.
Les PPP : lorsque le plus mauvais côtoie le pire
Naturellement, tous les partenariats publics privés ne se valent pas
dans l'aberration. Certains sont simplement mauvais, d'autres
carrément catastrophiques.
Ceux qui induisent uniquement une subvention à
l'investissement, mais qui au-delà du versement initial, ne
coûteront que les intérêts du remboursement de la dette
ainsi souscrite au contribuable, sont les moins nocifs, quoique
cumulés, l'encours de dette qu'ils auront généré
n'en sera pas moins considérable.
Mais la plupart induisent, outre une prime initiale, une subvention plus ou
moins déguisée au fonctionnement. Et là, le danger de
disruption économique devient majeur, en ces temps d'incertitudes sur
le financement de la dette publique.
Dans le cas de la LGV, cette subvention est constituée par celles
octroyées à la SNCF, qui paiera au consortium partenaire de
l'état un droit de passage. Que la SNCF soit en cessation de paiement,
ce qui finira par arriver, et Vinci - le "partenaire" de la LGV -
sera le bec dans l'eau. Mais il existe d'autres formes de PPP plus insidieux
qui génèreront encore plus de coûts pour les contribuables
futurs. Ainsi, tous les champs éoliens ou les
équipement photovoltaïques, financés par un rachat
de l'électricité produite à un tarif très
supérieur au prix de revente du courant, rachat lui-même
refinancé par un racket des contribuables figurant sur ses factures d'électricité,
constituent des myriades de quasi-PPP qui ne disent pas leur nom.
Le PPP consiste à opérer une ponction sur le contribuable pour
permettre à un parasite privé de gagner de l'argent sur son
dos, c'est à dire le vôtre, cher lecteur. Le PPP est l'outil
"tendance" de cette forme moderne du capitalisme socialisé,
ou "kleptocratie".
Et lorsque l'état s'aperçoit qu'il a, dans un élan trop
partenarial, trop forcé sur la gabelle de ses assujettis, il
réduit la manne versée à son parasite, pardon,
"partenaire". Celui-ci glapit, gémit, vitupère contre
le "mauvais coup porté à sa filière"... Ainsi,
ces derniers temps, plusieurs représentants du lobby français
des "énergies prétendument renouvelables" couvrent
d'opprobre ce gouvernement qui ose réduire brutalement le tarif de
rachat subventionné de l'électricité
photovoltaïque. Tel le porc à qui le fermier coupe la
stabulation, le producteur subventionné grogne quand on lui
réduit son engraissage.
Ces gens ont bâti des business plans basés sur la
capacité de l'état à vous racketter pour faire leur
fortune : ne les plaignez surtout pas. Ce qui leur arrive, en toute
trivialité, ils l'ont bien cherché.
Evidemment, ces personnes brandissent le "chantage à
l'emploi". Ce sont des dizaines de milliers d'emplois qui seront supprimés,
vous dit-on ! Mais lorsque l'on calcule le coût par emploi
créé dans les secteurs subventionnés et qu'on le compare
avec les coûts de création d'un emploi privé, on constate
que les emplois subventionnés sont toujours une très mauvais
affaire. Divers calculs (en Espagne, en France - cités par R.
Prudhomme, PDF) estiment que le rapport entre emplois détruits par la
ponction publique et emplois créés par cette ponction est
compris entre 1.6 et 2.2...
Vers un écroulement généralisé ? Que faire de
nos PPP ?
Mais de fait, la multiplication d'investissements qui ne sont
"rentables" que du fait de l'interpénétration entre
investissements privés et subventions publiques porte en germe une
menace pour l'économie dans son ensemble : que l'état,
s'écroulant sous le poids de ses dettes, doive arrêter du jour
au lendemain toute forme de subvention de fonctionnement aux investissements
privés ainsi suscités, et les faillites en cascade
s'enchaineront comme les bourdes dans un discours politique. La faillite des
énergies renouvelables en Espagne, où le gouvernement doit
arrêter, faute d'argent, ses subventions massives, donne un
avant-goût de ce qui pourrait arriver sur une échelle plus large
en cas de choc financier majeur : licenciements, familles incapables de rembourser
leur banque, marasme.
Notez que l'emploi du terme "menace" est impropre : l'arrêt
d'une situation anormale serait, à long terme, une opportunité
de rebâtir une économie sur des bases saines.
Mais à court terme, des centaines de milliers de licenciements
à gérer, dans une économie qui n'aurait plus les moyens
d'écoper les voies d'eau de l'UNEDIC et des autres Titanics
sociaux fort sollicités par ces chocs, ne seraient pas sans causer
quelques troubles à un état régalien réduit
à peau de chagrin par sa paupérisation rampante (que
voulez-vous, il faut bien financer les PPP). Et le désordre, quoiqu'on
en dise, c'est très mauvais pour l'entrepreneuriat.
Toutes proportions gardées, le remède de cheval d'un
arrêt quasi total et immédiat de toute subvention à
l'économie a déjà été appliqué, en
Estonie, au lendemain de la chute du communisme, en 1991, et l'Estonie ne
s'en est pas trouvée plus mal, bien au contraire. Mais à la
sortie de 46 ans de joug communiste, un peu de vache enragée et
d'adaptation forcée en plus ou en moins, de façon temporaire,
ne faisait pas de différence, et la plus grande partie de la
population était prête à l'accepter. Pas sûr que la
thérapie du choc soit politiquement acceptable dans nos pays
habitués au confort ouaté de l'état providence cachant
soigneusement son état de faillite. Lorsque l'état ne
parviendra plus à minimiser l'importance des voies d'eau dans sa coque
budgétaire, il est à craindre que les
bénéficiaires de ses largesses s'enferrent dans des attitudes
de déni et protestent massivement contre l'arrêt de leur
stabulation publique.
Quoiqu'il en soit, un moratoire sur les nouveaux PPP est indispensable. Quant
aux PPP existants, le spectre d'une faillite des états souverains ne
nous donne plus guère le temps de préparer une sortie aussi
ordonnée que possible... D'où l'urgence de s'y atteler
très vite.
Séparer le capitalisme de l'état
Dans une économie où la séparation du capitalisme et de
l'état serait aussi cardinale que celle des églises et du
secteur public, la faillite de l'état serait moins probable, car moins
de mal-investissements seraient finançables, et même si elle ne
serait pas sans conséquence pour le secteur privé, elle serait
"comestible" par la force de renouvellement du capitalisme
d'investisseurs libre et innovant. Mais dans une économie où la
multiplication des subventions, qu'on les appelle PPP, PAC, ou
"contribution au service public", a créé une toile
d'araignée d'entreprises dépendantes d'injections
d'héroïne publique, pardon, de subventions, pour vivre. Et
l'état de manque consécutif au manque d'état risque de
porter un choc fatal à un corps social déjà
sérieusement décomposé par des années
d'impéritie publique, fiscale et budgétaire.
Si l'état, en dépit du bon sens, veut absolument que des
aménagements non rentables voient le jour, qu'il l'assume et qu'il le
finance intégralement par l'impôt. Public, privé :
zéro interpénétration ! L'inefficacité
congénitale de l'état limitera sa capacité à
multiplier les investissements les plus imbéciles, et la nécessité
de se faire réélire obligera, tôt ou tard, les
politiciens à faire attention à la facture fiscale. La
multiplication des PPP n'est qu'un moyen de masquer le coût réel
de l'ineptie publique, mais en cas d'accident financier, la chute de
l'économie n'en sera que beaucoup plus brutale.
Vincent
Bénard
|
|