L’opinion des personnes de mon entourage est
divisée entre ceux qui pensent que les politiciens sont idiots, ceux
qui estiment qu’ils sont normaux et ceux qui prétendent
qu’ils sont compétents.
Étrangement, ces derniers sont toujours eux-mêmes
des politiciens.
Je pense qu’ils ont tous tort.
Socialement intelligents
Les politiciens européens que je connais sont tout sauf
stupides. Cela se voit assez rapidement. Mais faire la liste des traits de
leur caractère qui relèvent de l’intelligence sociale
peut être utile.
Les femmes et les hommes politiques couronnés de
succès tendent à être doués dans la maîtrise
de leur communication. Ils vérifieront scrupuleusement ce qui est
écrit en leur nom. Tendez-leur un micro, posez-leur une question sur
un sujet ardu, ils ne déraperont pas. Ils diront des choses justes ou
fausses, parleront peut-être pour ne rien dire, ne répondront
quelquefois pas à la question, mais ils ne diront rien qui fera parler
d’eux en mal.
C’est souvent ce qui distingue le politicien d’un
parti extrême d’un politicien de gouvernement. Le premier accuse,
insulte puis se rétracte ou s’enfonce. Plus prudent ou sagace,
le second se retient de baver.
Certains disent que les politiciens sont experts au billard
à deux bandes, qu’ils ne planteront pas directement de
couteau dans le dos de leurs compétiteurs mais s’arrangeront
plutôt pour que quelque chose de négatif soit dit à leur
sujet.
Ce comportement existe mais il est rare. Car il est
risqué et mine la réputation de celui qui l’initie.
Raisonnable, le politicien à succès préfèrera
investir son temps à parler et faire parler favorablement de
lui-même.
Un élu se souciera de devenir et de demeurer le champion
d’une catégorie d’électeurs nécessaires à
assurer la victoire du parti auquel il appartient. Un élu vu comme
inutile par ses électeurs et par les dirigeants de son parti est
rapidement mis à la retraite anticipée.
Il faut du discernement pour identifier et entretenir une niche
électorale. Il faut du flair et du bon sens pour déterminer les
sujets qui préoccupent le plus les électeurs de sa niche.
Il faut de la
perspicacité pour construire son image en fonction de la niche que
l’on prétend représenter et du jugement pour
vérifier que le résultat de son travail puisse s’inscrire
dans la narration de son image personnelle et celle de son parti.
Sagacité, raison, discernement, flair,
perspicacité : autant de synonymes de l’intelligence qu’il
est nécessaire d’avoir et d’entretenir pour réussir
en politique. Il y a donc peu de risques que les politiques soient idiots.
La soutenable étrangeté d’être
élu
Mais tout de même, les politiciens sont étranges.
Ce n'est pas la politique qui les a rendus bizarres : c'est leur bizarrerie
qui les a poussés en politique.
Regardez-les bien. À part certaines exceptions, les
personnes attirées par les mandats électifs partagent certains
traits de caractère. Ils sont avides d’attention, aiment prendre
des risques et sont assez narcissiques.
Mettez-vous à la place d’une personne souhaitant
devenir député.
Vous traînez pendant des années, abandonnant des
carrières plus lucratives ou plus sûres, dans l’espoir
statistiquement improbable d’être choisi par votre parti comme
candidat à une élection. Vous vous présentez ensuite aux
élections dans l’espoir statistiquement incertain d’être
élu. Une fois élu, esclave du contexte politique, peu influent,
vous végétez à nouveau dans un travail qui n’est
pas reposant et qui est peu stimulant intellectuellement. En tant que
député, vous êtes traité comme un roi par votre
équipe et comme un pion par les ministres, les dirigeants de votre
parti ou leurs délégués, dans l’espoir - et
là encore les chances sont contre vous – d’intégrer
le cabinet d’un ministre. Vous y traînerez quelques années
de plus, peu considéré par vos collègues, dans
l’espoir - presque certain d’être déçu - de
devenir vous-même ministre.
Et pendant tout ce temps, vous êtes obligé de vous
soumettre tous les cinq ans aux caprices des électeurs de votre circonscription.
Tout autour de vous gireront les corps des hommes politiques mis à la
porte par les électeurs au moment où ils commençaient
à devenir prometteurs.
Même si vous sautez tous ces obstacles, vous aurez
peut-être le droit à un bon dossier, on vous épinglera
une médaille mais vous serez forcé de vous éclipser
à la prochaine bourrasque et les commentateurs, s’ils vous
mentionnent, diront que vous avez échoué.
Accrochés à leur bonne étoile
Qu’est-ce qui les pousse
à être aussi vains ? Tout d’abord, le désir d’être
quelqu’un, d’être regardé, d’être
applaudi. Le pouvoir est un aphrodisiaque.
Deuxièmement, une croyance complètement
irréaliste mais tenace en leur bonne étoile. Ils savent
qu’ils ne seront probablement pas élus… mais cette fois,
pour eux, ce sera différent. Même quand tout semble perdu, ils
se disent qu'un miracle peut se produire, qu’ils peuvent encore sortir
des mailles du filet. Au fond, ils s’en sont toujours sorti
puisqu’ils sont encore là, non ? Donc quelqu’un
là-haut veille sur eux et, cette fois, cela marchera, ils le savent.
Enfin - et c'est contre-intuitif – une sensibilité
à fleur de peau. Ils sont chaque jour attaqués et chaque jour
blessés. Ils lisent, écoutent et regardent obsessionnellement
ceux qui les étripent. Mais ils remontent sur le ring en en
redemandant. Ils ne savent pas pourquoi ; leur femme ou leur mari ne le
savent pas non plus.
Tout cela mène à des douleurs fréquentes,
des moments d’euphorie réguliers et un optimisme irrationnel.
Certaines des personnes répondant à la description ci-dessus
ont fait de grandes choses. Certaines ont aligné les
absurdités. Certaines ont fait les deux à la fois.
Ils iront jusqu’au bout, jusqu’à ce que
quelque chose d’extérieur, d’immense,
d’irrésistible les terrasse. Au fond, comme toutes les
personnes dépendantes, ils ont à moitié envie que cela
se produise.
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