LES PRIVILÈGES DU SECTEUR FINANCIER ET LA MONNAIE DE CRÉDIT

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Published : June 10th, 2005
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Un peu partout en Occident le secteur financier a pris beaucoup d’ampleur depuis une vingtaine d’années. Par exemple, la part de ce secteur au sein de l’indice boursier américain « S&P 500 » est aujourd’hui de 23%, alors qu’elle représentait à peine 6% au début des années 80.

 

On note aussi que plusieurs entreprises associées à d’autres secteurs d’activités tirent une part de plus en plus grande de leurs profits de leur division financière. Ford, General Motors et General Electric, pour ne nommer que les plus connues, tirent aujourd’hui plus de 50% de leurs profits de transactions financières en tout genre: négociation de prêts et d’obligations, échange de taux d’intérêt et de monnaie, contrats à terme, etc.
 

 

Quelle est la source de cette croissance?

          Il ne s’agit pas de critiquer le secteur financier parce qu’il prend une part plus grande du marché, mais de s’interroger à savoir pourquoi il en est ainsi. Est-il plus efficace que les autres secteurs d’activités?

          Au cours des dernières décennies, la croissance de ce secteur a été progressive plutôt que sporadique. On note néanmoins une forte baisse en 1999-2000, qu’on peut attribuer aux pertes subies dans le secteur technologique. Depuis lors, sa croissance a repris de plus belle en finançant notamment le secteur immobilier résidentiel, que plusieurs considèrent dans une phase spéculative analogue à celle vécue quelques années plus tôt par le secteur technologique.

          On peut attribuer la croissance d’une entreprise à une forte demande de ses produits et services, une gestion serrée de ses dépenses, une capacité à innover, etc., mais cela se fait généralement en prenant des parts du marché dans le secteur où l’entreprise évolue. Cependant, lorsque tout un secteur d'activité connaît une croissance incomparablement supérieure aux autres, on ne peut se résoudre à attribuer ce résultat à sa seule efficacité. Des facteurs plus importants sont à considérer, tels une réglementation favorable et un accès privilégié à la monnaie fiduciaire.

 

Pondération sectorielle de l’indice S&P 500

  Secteurs d’activités

1980

1990

2000

2004

  Matériaux de base

14.19

9.13

3.53

4.24

  Énergie

24.80

13.79

6.05

7.04

  Biens de consommation non cycliques

7.47

12.96

6.02

8.20

  Biens de consommation cycliques

7.97

8.36

6.02

8.52

  Services de consommation

4.62

5.61

4.69

5.14

  Produits industriels

5.58

6.03

3.19

3.18

  Services publics

4.40

5.60

2.30

2.68

  Transport

2.26

1.60

0.54

1.58

  Services de santé

5.36

10.08

11.24

13.03

  Technologie

12.58

8.78

30.14

17.07

  Télécommunications

5.02

8.93

5.92

3.47

  Services commerciaux

0.56

1.11

2.41

3.24

  Services financiers

5.19

8.01

17.95

22.62

 

Source: Financial Sense Online

 

Privilège réglementaire comme source de croissance?

 

          En proportion différente selon les divisions du secteur financier, les firmes de ce secteur peuvent prêter plus d’argent qu’elles possèdent dans leur coffre. Cela est rendu possible grâce à une monnaie monopolisée par le gouvernement et au système des réserves fractionnaires. Par exemple, si le gouvernement permet aux banques commerciales de prêter 90% de leurs fonds, cela signifie que la quantité de monnaie mise en circulation peut être dix fois plus élevée que le montant d’argent initialement déposé par les épargnants. Cependant, les banques doivent y penser à deux fois avant d’émettre autant de crédit, car malgré cette incitation légale il n’y a pas de garantie explicite qu’elles soient protégées de la faillite par le gouvernement.

          Les institutions financières profitent de cette réglementation en recevant un revenu d’intérêt à partir d’argent prêté et nouvellement créé, c’est-à-dire qui n’a jamais été épargné ni nécessairement été déposé au préalable dans leurs coffres. Ce faisant, non seulement il y a davantage de monnaie en circulation, mais elle n’a plus la même signification. En effet, dans la mesure où ce nouvel argent est d’abord mis en circulation sous forme de prêt (crédit), on ne peut le qualifier de « moyen d’échange immédiat » puisqu’il constitue une dette pour l’emprunteur. Cette monnaie de crédit finit néanmoins par être utilisée comme moyen d’échange immédiat, à l’instar de la monnaie métallique, tout en étant fondamentalement différente d’elle

  Pour bien saisir ce point, on doit retourner dans le temps où l’or servait de monnaie et les billets de substituts. Lorsqu’un individu déposait son or à la banque et que celle-ci lui remettait une réclamation servant de substitut de monnaie, cette réclamation constituait une dette pour la banque. Aujourd’hui, puisque l’or a été remplacé par son substitut, la banque qui émet ce « substitut » non seulement ne s’endette plus, mais elle reçoit un revenu d’intérêt. Avec pareille réglementation, on peut comprendre qu'il y ait autant de gens qui désirent travailler dans ce secteur.

          Certaines institutions financières usaient déjà de ce procédé avant même qu'il soit légal, dès lors que les substituts de monnaie furent utilisés dans les transactions quotidiennes. On peut donc dire que le gouvernement leur a seulement simplifié la tâche afin de cacher sa manière à lui, plus directe, de créer la monnaie, soit en s'en arrogeant le monopole. Peu importe la méthode utilisée, la monnaie créée est une monnaie de crédit, ou monnaie fiduciaire, prompte à se déprécier.

          Cette monnaie est créée d’autant plus facilement dans un contexte où les taux d’intérêt sont à la baisse, car des taux bas incitent les gens à consommer. Or, les taux d’intérêt à court et long terme sont en baisse depuis une vingtaine d’années. Cette consommation se fait de plus en plus à crédit, et s’il y a production, elle s’avère souvent sans lendemain, non pas tant par incompétence des producteurs que parce qu’ils sont induits en erreur par une demande établie par la quantité de monnaie de crédit en circulation. Il y a illusion de richesse

 

 

La monnaie de crédit avantage donc particulièrement le secteur financier et cela explique mieux sa croissance au sein de l’économie dans son ensemble. Cependant, il est vain de le dénoncer sans en même temps dénoncer l’État qui lui accorde ces privilèges. L’État agit ainsi, car il profite davantage de la monnaie fiduciaire en lui facilitant, pour un temps seulement, le contrôle de services qui pourraient et devraient être rendus sans lui. L’expansion de l’État est financée, entre autres, par des emprunts transitant par le secteur financier, qui en tire des revenus. Cette monnaie apporte de l’eau au moulin à l’idée que l’État peut se substituer au mécanisme des profits et pertes. Elle prolonge l’idée qu’on n'a qu’à taxer et imposer le contribuable pour rendre les services de manière « équitable ».

          La création de monnaie fiduciaire est synonyme d’inflation et celle-ci s’établit au détriment de la population, qui se voit ainsi soutirer une partie de sa propriété. Ce qu’on doit comprendre, c’est qu’à l’exception de l’État, la monnaie fiduciaire profite surtout au secteur financier dans son ensemble, bien que davantage à quelques individus au sein de certaines entreprises.

 

Promesses insoutenables

          Cette croissance du secteur financier et de l’État n’est pas sans danger lorsqu’on considère qu’elle est accompagnée d’une augmentation encore plus grande des dettes individuelles, corporatives et gouvernementales.
 

 

Ces promesses de paiement sont insoutenables, car elles sont créées en plus grande quantité que la richesse produite. Plus les gouvernements s’engagent à offrir des services, plus ils doivent taxer, imposer et emprunter. Cela réduit la capacité des gens à produire de la richesse, qui se trouve réduite d’autant plus que les gouvernements remboursent leurs dettes qu’à une fraction de leur valeur initiale grâce à l’inflation induite par la monnaie de crédit. Une quantité de monnaie plus élevée en circulation sans augmentation réciproque de produits et services entraîne une redistribution non planifiée de la richesse et sa réduction (voir « Réserves fractionnaires et cycles économiques », le QL, no 135).

          L’idée des économistes monétaristes d’émettre la monnaie au rythme de croissance du PIB ne serait pas si bête si elle relevait d’une production minière et que le PIB était un véritable indicateur de richesse. En effet, dans un monde où l’interventionnisme serait réduit, la production de monnaie métallique s’établirait sensiblement au même rythme que la production de richesse en général. Le problème, c’est que le PIB ne mesure pas la richesse et la monnaie fiduciaire est sujette à de multiples manipulations (voir « Le PIB: un concept économique inutile et néfaste », le QL, no 104).
 

Une alternative

          Dans le but de réduire ces tricheries étatiques, ces promesses insoutenables et par conséquent le rôle indu du secteur financier, on doit abolir le monopole de l’État sur la monnaie. En conséquence, l’or et l’argent métallique seraient de nouveau utilisés dans les transactions quotidiennes ou, à tout le moins, serviraient de contrepartie réelle aux substituts légaux. Une richesse serait alors échangée contre une autre richesse, comme il se doit.

          Aujourd’hui, bien que l’or soit utilisé comme assurance contre la perte du pouvoir d’achat de la monnaie fiduciaire, il sert davantage à la joaillerie, tandis que l’argent métallique a surtout un usage industriel, bien qu'il serve également à la joaillerie et à l'argenterie. C’est à partir de leur usage comme biens qu’on a attribué à ces métaux leurs rôles de monnaies, c’est-à-dire de moyens d’échange et d’épargne. Ils ont servi de monnaie pendant plus de 5000 ans, et cela jusqu’au siècle dernier.

          Il ne faut pas penser que ce rôle leur soit à jamais interdit. Au contraire, ces métaux reprennent du service à ce titre, car ils sont incomparablement supérieurs à la monnaie fiduciaire (voir xgold, pecunix, e-gold, GoldMoney, e-dinar). Ce faible usage monétaire prendra des proportions beaucoup plus élevées au fur et à mesure que la confiance des gens envers leur gouvernement et leur monnaie sera remise en question. Il y a certainement lieu de reconsidérer ces métaux comme monnaies pour le bénéfice de tous, si ce n’est parce qu’on ne peut les produire à volonté et, par conséquent, qu’on ne peut les dévaluer. Et une monnaie d’espèces rend beaucoup plus difficile une redistribution des richesses aux privilégiés de l’État.

 

André Dorais

 

André Dorais a étudié en philosophie et en finance et vit à Montréal.  Essai originellement publié par Le Québecois Libre

 

 

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