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Un peu partout
en Occident le secteur financier a pris beaucoup d’ampleur depuis une
vingtaine d’années. Par exemple, la part de ce secteur au sein
de l’indice boursier américain « S&P
500 » est aujourd’hui de 23%, alors qu’elle
représentait à peine 6% au début des années 80.
On
note aussi que plusieurs entreprises associées à d’autres
secteurs d’activités tirent une part de plus en plus grande de
leurs profits de leur division financière. Ford, General Motors et
General Electric, pour ne nommer que les plus connues, tirent
aujourd’hui plus de 50% de leurs profits de transactions
financières en tout genre: négociation de prêts et
d’obligations, échange de taux d’intérêt et
de monnaie, contrats à terme, etc.
Quelle
est la source de cette croissance?
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Il ne s’agit pas de critiquer le secteur financier parce qu’il
prend une part plus grande du marché, mais de s’interroger
à savoir pourquoi il en est ainsi. Est-il plus efficace que les autres
secteurs d’activités?
Au cours des
dernières décennies, la croissance de ce secteur a
été progressive plutôt que sporadique. On note
néanmoins une forte baisse en 1999-2000, qu’on peut attribuer
aux pertes subies dans le secteur technologique. Depuis lors, sa croissance a
repris de plus belle en finançant notamment le secteur immobilier
résidentiel, que plusieurs considèrent dans une phase
spéculative analogue à celle vécue quelques années
plus tôt par le secteur technologique.
On peut attribuer la
croissance d’une entreprise à une forte demande de ses produits
et services, une gestion serrée de ses dépenses, une
capacité à innover, etc., mais cela se fait
généralement en prenant des parts du marché dans le
secteur où l’entreprise évolue. Cependant, lorsque tout
un secteur d'activité connaît une croissance incomparablement
supérieure aux autres, on ne peut se résoudre à
attribuer ce résultat à sa seule efficacité. Des facteurs
plus importants sont à considérer, tels une
réglementation favorable et un accès privilégié
à la monnaie fiduciaire.
Pondération
sectorielle de l’indice S&P 500
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Secteurs
d’activités
|
1980
|
1990
|
2000
|
2004
|
Matériaux
de base
|
14.19
|
9.13
|
3.53
|
4.24
|
Énergie
|
24.80
|
13.79
|
6.05
|
7.04
|
Biens
de consommation non cycliques
|
7.47
|
12.96
|
6.02
|
8.20
|
Biens
de consommation cycliques
|
7.97
|
8.36
|
6.02
|
8.52
|
Services
de consommation
|
4.62
|
5.61
|
4.69
|
5.14
|
Produits
industriels
|
5.58
|
6.03
|
3.19
|
3.18
|
Services
publics
|
4.40
|
5.60
|
2.30
|
2.68
|
Transport
|
2.26
|
1.60
|
0.54
|
1.58
|
Services
de santé
|
5.36
|
10.08
|
11.24
|
13.03
|
Technologie
|
12.58
|
8.78
|
30.14
|
17.07
|
Télécommunications
|
5.02
|
8.93
|
5.92
|
3.47
|
Services
commerciaux
|
0.56
|
1.11
|
2.41
|
3.24
|
Services
financiers
|
5.19
|
8.01
|
17.95
|
22.62
|
Source:
Financial Sense Online
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Privilège
réglementaire comme source de croissance?
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En proportion différente selon les divisions du secteur financier, les
firmes de ce secteur peuvent prêter plus d’argent qu’elles
possèdent dans leur coffre. Cela est rendu possible grâce
à une monnaie monopolisée par le gouvernement et au
système des réserves fractionnaires. Par exemple, si le
gouvernement permet aux banques commerciales de prêter 90% de leurs
fonds, cela signifie que la quantité de monnaie mise en circulation
peut être dix fois plus élevée que le montant
d’argent initialement déposé par les épargnants.
Cependant, les banques doivent y penser à deux fois avant
d’émettre autant de crédit, car malgré cette
incitation légale il n’y a pas de garantie explicite
qu’elles soient protégées de la faillite par le
gouvernement.
Les institutions
financières profitent de cette réglementation en recevant un
revenu d’intérêt à partir d’argent
prêté et nouvellement créé,
c’est-à-dire qui n’a jamais été
épargné ni nécessairement été déposé
au préalable dans leurs coffres. Ce faisant, non seulement il y a
davantage de monnaie en circulation, mais elle n’a plus la même
signification. En effet, dans la mesure où ce nouvel argent est
d’abord mis en circulation sous forme de prêt (crédit), on
ne peut le qualifier de « moyen d’échange
immédiat » puisqu’il constitue une dette pour
l’emprunteur. Cette monnaie de crédit finit néanmoins par
être utilisée comme moyen d’échange
immédiat, à l’instar de la monnaie métallique,
tout en étant fondamentalement différente d’elle
Pour
bien saisir ce point, on doit retourner dans le temps où l’or
servait de monnaie et les billets de substituts. Lorsqu’un individu
déposait son or à la banque et que celle-ci lui remettait une
réclamation servant de substitut de monnaie, cette réclamation
constituait une dette pour la banque. Aujourd’hui, puisque l’or a
été remplacé par son substitut, la banque qui
émet ce « substitut » non seulement ne s’endette
plus, mais elle reçoit un revenu d’intérêt. Avec
pareille réglementation, on peut comprendre qu'il y ait autant de gens
qui désirent travailler dans ce secteur.
Certaines institutions
financières usaient déjà de ce procédé
avant même qu'il soit légal, dès lors que les substituts
de monnaie furent utilisés dans les transactions quotidiennes. On peut
donc dire que le gouvernement leur a seulement simplifié la
tâche afin de cacher sa manière à lui, plus directe, de
créer la monnaie, soit en s'en arrogeant le monopole. Peu importe la
méthode utilisée, la monnaie créée est une
monnaie de crédit, ou monnaie fiduciaire, prompte à se
déprécier.
Cette monnaie est
créée d’autant plus facilement dans un contexte où
les taux d’intérêt sont à la baisse, car des taux
bas incitent les gens à consommer. Or, les taux
d’intérêt à court et long terme sont en baisse
depuis une vingtaine d’années. Cette consommation se fait de
plus en plus à crédit, et s’il y a production, elle
s’avère souvent sans lendemain, non pas tant par
incompétence des producteurs que parce qu’ils sont induits en
erreur par une demande établie par la quantité de monnaie de
crédit en circulation. Il y a illusion de richesse
La monnaie de
crédit avantage donc particulièrement le secteur financier et
cela explique mieux sa croissance au sein de l’économie dans son
ensemble. Cependant, il est vain de le dénoncer sans en même
temps dénoncer l’État qui lui accorde ces
privilèges. L’État agit ainsi, car il profite davantage
de la monnaie fiduciaire en lui facilitant, pour un temps seulement, le
contrôle de services qui pourraient et devraient être rendus sans
lui. L’expansion de l’État est financée, entre
autres, par des emprunts transitant par le secteur financier, qui en tire des
revenus. Cette monnaie apporte de l’eau au moulin à l’idée
que l’État peut se substituer au mécanisme des profits et
pertes. Elle prolonge l’idée qu’on n'a qu’à
taxer et imposer le contribuable pour rendre les services de manière
« équitable ».
La création de
monnaie fiduciaire est synonyme d’inflation et celle-ci
s’établit au détriment de la population, qui se voit
ainsi soutirer une partie de sa propriété. Ce qu’on doit
comprendre, c’est qu’à l’exception de
l’État, la monnaie fiduciaire profite surtout au secteur
financier dans son ensemble, bien que davantage à quelques individus
au sein de certaines entreprises.
Cette croissance du secteur financier et de l’État n’est
pas sans danger lorsqu’on considère qu’elle est
accompagnée d’une augmentation encore plus grande des dettes
individuelles, corporatives et gouvernementales.
Ces
promesses de paiement sont insoutenables, car elles sont créées
en plus grande quantité que la richesse produite. Plus les
gouvernements s’engagent à offrir des services, plus ils doivent
taxer, imposer et emprunter. Cela réduit la capacité des gens
à produire de la richesse, qui se trouve réduite d’autant
plus que les gouvernements remboursent leurs dettes qu’à une
fraction de leur valeur initiale grâce à l’inflation
induite par la monnaie de crédit. Une quantité de monnaie plus
élevée en circulation sans augmentation réciproque de
produits et services entraîne une redistribution non planifiée
de la richesse et sa réduction (voir « Réserves
fractionnaires et cycles économiques », le QL,
no 135).
L’idée
des économistes monétaristes d’émettre la monnaie
au rythme de croissance du PIB ne serait pas si bête si elle relevait
d’une production minière et que le PIB était un
véritable indicateur de richesse. En effet, dans un monde où
l’interventionnisme serait réduit, la production de monnaie
métallique s’établirait sensiblement au même rythme
que la production de richesse en général. Le problème,
c’est que le PIB ne mesure pas la richesse et la monnaie fiduciaire est
sujette à de multiples manipulations (voir « Le
PIB: un concept économique inutile et néfaste »,
le QL, no 104).
Dans le but de réduire ces tricheries étatiques, ces promesses
insoutenables et par conséquent le rôle indu du secteur
financier, on doit abolir le monopole de l’État sur la monnaie.
En conséquence, l’or et l’argent métallique
seraient de nouveau utilisés dans les transactions quotidiennes ou,
à tout le moins, serviraient de contrepartie réelle aux
substituts légaux. Une richesse serait alors échangée
contre une autre richesse, comme il se doit.
Aujourd’hui,
bien que l’or soit utilisé comme assurance contre la perte du
pouvoir d’achat de la monnaie fiduciaire, il sert davantage à la
joaillerie, tandis que l’argent métallique a surtout un usage
industriel, bien qu'il serve également à la joaillerie et
à l'argenterie. C’est à partir de leur usage comme biens
qu’on a attribué à ces métaux leurs rôles de
monnaies, c’est-à-dire de moyens d’échange et
d’épargne. Ils ont servi de monnaie pendant plus de 5000 ans, et
cela jusqu’au siècle dernier.
Il ne faut pas penser
que ce rôle leur soit à jamais interdit. Au contraire, ces
métaux reprennent du service à ce titre, car ils sont
incomparablement supérieurs à la monnaie fiduciaire (voir xgold,
pecunix, e-gold, GoldMoney, e-dinar).
Ce faible usage monétaire prendra des proportions beaucoup plus
élevées au fur et à mesure que la confiance des gens
envers leur gouvernement et leur monnaie sera remise en question. Il y a
certainement lieu de reconsidérer ces métaux comme monnaies
pour le bénéfice de tous, si ce n’est parce qu’on
ne peut les produire à volonté et, par conséquent,
qu’on ne peut les dévaluer. Et une monnaie
d’espèces rend beaucoup plus difficile une redistribution des
richesses aux privilégiés de l’État.
André
Dorais
André Dorais a étudié en philosophie
et en finance et vit à Montréal. Essai originellement
publié par Le
Québecois Libre
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