Les Russes
ont récemment annoncé quelque chose d’extraordinaire, qui explique en grande
partie la raison pour laquelle la Russie et la Chine achètent de l’or, et qui
a été grandement ignoré par les médias. Le président Poutine a annoncé que « la
Russie et la Chine doivent sécuriser leurs réserves d’or et de devises
étrangères ». Il est peut-être allé un peu trop loin en commentant sur
les politiques monétaires de la Chine, mais il ne l’a certainement pas fait
sans raison. Il est de plus impossible de sécuriser des réserves de devises
étrangères, parce qu’elles sont constamment sous le contrôle des banques
centrales qui les émettent. Ce qu’a donc voulu dire Poutine, c’est que la
Russie et la Chine devraient sécuriser leur or.
Pour ceux d’entre nous qui s’intéressent
de près à l’or, cela n’a rien de surprenant. La raison pour laquelle nous n’en
avons pas beaucoup entendu parler en Occident est que nous ne pensons pas
comme ils le font. Ils ont émergé de nations communismes basées sur le Marxisme.
Les théories keynésiennes et monétaristes se sont développées alors que l’Asie
était complètement isolée économiquement, et sont moins basées sur Marx que
sur le Christianisme. Cela signifie que les Russes et les Chinois n’ont pas automatiquement
adopté la théorie économique occidentale suite à l’effondrement du
communisme. En partie peut-être, mais pas entièrement.
C’est pour cette raison qu’il
est bien trop simpliste pour les commentateurs occidentaux d’analyser la
Russie et la Chine en termes occidentaux. Les deux nations ne se font aucune
illusion quant aux devises nationales, qui perdent de leur valeur avec le
temps, et quant à l’or qui restera toujours la meilleure valeur de réserve
qui soit. Contrairement aux gouvernements occidentaux, les gouvernements
russe et chinois se considèrent sérieux dans la manière dont ils gèrent leurs
affaires et portent une grande attention à la qualité du paiement qu’ils
reçoivent en échange de leurs exportations.
C’est pourquoi l’or a des
chances de jouer un rôle important dans les échanges transnationaux en Asie.
Il est aussi nécessaire de noter que la directrice de la Banque de Russie,
qui était autrefois la conseillère économique de Poutine, est désormais sa
conseillère personnelle. Elle n’en serait jamais arrivée là si elle adhérait
aux politiques keynésiennes et monétaristes. Tout indique qu’Elvira Nabiullina est, comme Poutine, réaliste pour ce qui est
de la situation commerciale et économique. Elle est l’une des seules au monde
parmi ses pairs à refuser de refinancer les banques insolvables.
La Banque de Russie accumule
également de l’or, et lui alloue ce qu’une banque centrale occidentale
pourrait considérer comme des réserves de devises étrangères précieuses qui
pourraient être utilisées en période de troubles. La Russie et la Chine
voient l’or de la même manière, ce qui donne davantage de force à la
déclaration de Poutine.
Les
objectifs de la Chine sur le long terme
J’explique depuis longtemps
que le gouvernement chinois travaille à établir un plan stratégique qui n’est
que partiellement rendu public par ses objectifs sur cinq et dix ans. Ayant
développé son économie grâce à sa rapide industrialisation, la Chine tourne
désormais son attention vers ce ses voisins, vers un territoire qui pourrait
ironiquement être décrit comme le royaume de Gengis Khan au XIIIe siècle,
depuis de Détroit de Béring jusqu’aux portes de Jérusalem. Elle continuera d’établir
des contacts commerciaux avec l’Europe et les Etats-Unis et d’extraire des
minéraux en Afrique et en Australie, mais son attention commerciale est
désormais portée sur l’Asie. Et pour ce qui est des accords transnationaux
passés à un niveau intergouvernemental, soyez certains que les devises
occidentales seront laissées de côté autant que possible, et que les devises
asiatiques et l’or seront favorisées.
La Chine et la Russie y
travaillent depuis un certain temps au travers de l’Organisation de coopération
de Shanghai, sur laquelle reposent leurs politiques commerciales mutuelles. L’OCS
couvre grâce à ses membres, ses associés et ses futurs membres la
quasi-totalité de l’Asie, à l’exception du sud-est de l’Asie et des Etats
arabes. Ces blocs culturels et régionaux devraient se tourner vers l’OCS à
mesure que le pouvoir économique et politique de l’Occident décline. Il s’agit
d’un marché de plus de quatre milliards de personnes, quatre fois plus qu’en
Occident.
L’ancien territoire de Gengis
Khan est peu à peu transformé en un vaste bloc économique qui deviendra un
jour plus vaste que l’Accord de libre-échange d’Amérique du nord et l’Union
européenne mis ensembles. Il ne porte pas le lourd fardeau de l’Etat-providence,
et ses citoyens sont des épargnants. La confiance qu’a la Chine en cette
stratégie se reflète dans ses disputes territoriales avec ses voisins qui ne
sont pas membres de l’OCS. Elle a demandé au Vietnam, aux Philippines et à l’Indonésie
de sortir du cercle d’influence des Etats-Unis et de rejoindre l’OCS.
Les gouvernements de part et
d'autre de l'Asie commencent à prendre conscience de leur futur commun. Dès
que les Etats-Unis quitteront l’Afghanistan, le pays devrait rejoindre l’OCS.
La Turquie tourne le dos à l’Union européenne et se tourne elle aussi vers l’OCS.
Les marchés financiers de Moscou jusqu’à Dubaï, et peut-être même Bangkok, se
préparent à devenir des centres mondiaux pour le négoce de l’or.
La situation est claire comme
de l’eau de roche. Avec un système financier qui a la stabilité d’un château de
cartes et fait face à une potentielle banqueroute, les Etats-Unis et l’Europe
ne sont pas les partenaires commerciaux de choix de la Russie et de la Chine.
Sans bagage keynésien et monétariste, ces pays comprennent bien mieux que l’Occident
le rôle de l’or en tant que monnaie.
C’est pourquoi tant d’or se
trouve aujourd’hui en Asie et au Proche-Orient. L’or est destiné à faire
partie du système financier asiatique. Et nous savons, au vu des tonnes d’or
qui prennent le chemin de l’Aise, qu’une grande partie de cet or provient des
coffres des banques centrales occidentales.
La stratégie asiatique se fera
à l’exclusion de l’Europe, et en supprimant le prix de l’or au travers de la
vente de leur or monétaire, les banques occidentales ont permis à la Chine de
mettre son projet à exécution. Quand et comment les banques centrales nous
annonceront-elles que leurs réserves d’or sont actuellement entre les mains
de l’Asie, et qu’elles ont été complices depuis les années 1970 du plus
important transfert de richesses de l’Histoire ?