Mon petit-fils a
eu une journée très éprouvante à l’école. Il a appris que l’économie a
souffert d’évènements appelés Paniques, avec un P majuscule, tout au long du
XIXe siècle, ainsi que d’une autre, particulièrement violente, au début du
XXe. Il a appris que des hommes responsables, à la conscience civique, tels
que JP Morgan, ont organisé une banque centrale pour mettre fin à ces épisodes
de Panique. Lui et d’autres banquiers ont convaincu le gouvernement d’adopter
leur idée et de lui donner force de loi à la fin de l’année 1913. Et, devinez
quoi ? Depuis lors, plus aucune Panique n’est survenue.
Mon petit-fils,
en revanche, a eu des doutes. Il ne comprenait pas ce que sont vraiment
chargées de faire les banques centrales. De plus, les récentes Dépression et
Crise financière ne sont-elles pas un exemple parfait de Panique, mais sous
un nom différent ? Et si ces calamités étaient en fait des Paniques,
pourquoi la Réserve fédérale ne les a-t-elle pas empêchées ?
Son professeur
lui a répondu que les Etats-Unis, et bien d’autres pays du monde occidental,
opéraient sous un système d’étalon or à l’époque où sont survenues ces
paniques. Les économistes et autres experts du monde ont déterminé que le
véritable coupable de ces épisodes de tourmente était l’or, qui était alors
utilisé comme monnaie. Nous nous sommes donc débarrassés de l’or, pour le
remplacer par la monnaie que nous utilisons aujourd’hui… qui ne provient pas
du sol… mais du gouvernement, et est règlementée par ceux qui sont en charge
de la Réserve fédérale, qui ne fait pas exactement partie du gouvernement,
bien que les deux aient des liens très étroits.
« Ok, a
répondu mon petit-fils. Alors nous avions l’or, dont nous nous sommes
débarrassés en tant que responsable de toutes ces Paniques. Mais la vérité, c’est
que nous ne nous en sommes pas vraiment débarrassés. » Il a ajouté que
son professeur avait expliqué à sa classe que de l’or était conservé dans le
coffre de la Banque de réserve fédérale de New York, qui contient également l’or
d’autres pays. Ce coffre se situe 25 mètres sous terre, et 15 mètres sous le
niveau de la mer, chose qu’il a trouvée très étonnante. Le coffre est protégé
par des gardes armés, des systèmes de vidéosurveillance et des systèmes de
protection électroniques. Et les hommes qui le gardent sont des tireurs
entraînés.
Son professeur a
ensuite sorti sa tablette, et lu ceci à la classe (mon petit-fils m’a montré
le texte sur l’écran de son téléphone) :
Aucune porte ne
donne sur la salle des coffres. L’entrée se fait par un étroit couloir de 3
mètres de long, découpé dans un cylindre d’acier délicatement équilibré de
2,5 mètres de haut et d’un poids de 90 tonnes, qui pivote verticalement dans
une structure d’acier et de béton de 140 tonnes. La rotation du cylindre
permet d’ouvrir et de fermer le coffre. Il est fermé hermétiquement et
protégé des inondations par le rabais du cylindre, légèrement effilé, de 2 cm
dans son socle, à la manière d’un bouchon dans une bouteille. Le cylindre est
maintenu en place par deux leviers, qui servent à insérer de gros verrous,
quatre de chaque côté du socle, dans le cylindre. En ouvrant une série de serrures
à combinaison, le personnel de la banque peut accéder au coffre le prochain
jour ouvrable. Les coffres d’or sont placés sous « surveillance multiple »,
ce qui signifie que personne ne connaît toutes les combinaisons nécessaires à
leur ouverture.
Il a trouvé ça d’autant
plus étonnant. « Pourquoi ? Pourquoi un tel niveau de protection
pour quelque chose qui ne vaut rien ? Pourquoi même en conserver, si ce n’est
pour faire des bagues et des bijoux ? »
Quand j’ai
commencé à lui réponde, il m’a interrompu.
« Cette
banque conserve l’or des autres pays. Fort Knox contient l’or que possédaient
autrefois les Américains. Et ce coffre est lui-aussi très protégé. »
Il m’a dit que
ces réserves se trouvent sur une base militaire, et que le bâtiment dans
lesquelles elles se trouvent est composé de granite de Caroline du Nord.
Quand le gouvernement a demandé aux Américains de lui donner leur pièces d’or,
il les a fondues pour en faire des barres et les a transportées dans des
trains jusqu’à l’infrastructure de stockage, sous la surveillance de gardes
lourdement armés.
« Et il n’y
a pas que l’or des Américain qui se trouve là-bas. L’endroit est si sécurisé
qu’y ont également été déposés, pendant la seconde guerre mondiale, les
documents originaux de la Déclaration d’indépendance et la Constitution. Y
sont également mis sous clés des copies exemplifiées de la Magna Carta, qui
ont été exposées pendant l’Exposition mondiale de 1939 à New York.
Et ce n’est pas
tout, » a-t-il ajouté, avant de me lire ceci :
Pendant la
seconde guerre mondiale et la guerre froide, jusqu’à l’invention de
différents types de médicaments antidouleurs synthétiques, des réserves de
morphine et d’opium étaient conservées à Fort Knox au cas où les Etats-Unis
se trouveraient isolés des sources d’opium brut.
« Que se
passe-t-il ? m’a-t-il demandé. Les drogues nous sont néfastes, et l’or
aussi. Ils sont illégaux. Alors pourquoi les protégeons-nous comme si nos
vies en dépendaient ?
- Oui. Pourquoi
le gouvernement ne s’est-il pas contenté de jeter l’or dans l’océan, ou dans
le cratère d’un volcan ? Et pourquoi le gouvernement a-t-il demandé à
son peuple de lui donner son or ? S’il ne voulait pas que le peuple l’utilise
comme monnaie, pourquoi ne l’a-t-il pas simplement déclaré illégal ? J’ai
vérifié la Constitution en salle d’études. Il y est dit que personne n’a le
droit de battre monnaie. Elle stipule également que seuls l’or et l’argent
peuvent être utilisés pour le remboursement de dettes. Parce que le
gouvernement fédéral n’a pas le droit de faire quoi que ce soit qui n’est pas
explicitement autorisé par la Constitution, cela veut dire que des ateliers
monétaires devraient frapper monnaie, non ? »
Je lui ai
répondu que je ne pouvais pas répondre à ses questions quant à la
Constitution, si ce n’est qu’elle n’est plus aujourd’hui qu’une lettre morte,
et que les hommes au pouvoir ont utilisé des arguments torturés pour l’interpréter
à leurs fins, et l’ont parfois tout bonnement ignorée en le nom de la « sécurité
nationale ».
Je lui ai
expliqué qu’à chaque fois que la « sécurité nationale » est
utilisée pour justifier une action gouvernementale, nous sommes dans, ou
avançons vers, une dictature. J’ai ensuite tenté de remplir les espaces vides
qu’il avait laissés.
Expliquer
pourquoi nous sommes passés de l’or à la monnaie fiduciaire
Une banque
centrale, lui ai-je expliqué, n’est une banque que pour ses banques membres,
et non pour les gens comme vous et moi. Elle conserve les dépôts de ses
membres sous forme de réserves, grâce auxquelles les banques commerciales
peuvent émettre des prêts.
A l’époque de la
création de la Fed en 1913, l’or, et dans une certaine mesure l’argent,
avaient encore cours légal aux Etats-Unis. Les propriétaires de pièces d’or
et d’argent pouvaient aller au magasin et les utiliser pour s’acheter ce dont
ils avaient besoin, ou encore les déposer en banque. Dans certains cas, ils
pouvaient demander à leur banque d’échanger des billets contre des pièces,
bien que la pratique soit devenue peu commune après 1917, quand les banques commerciales
ont commencé à transférer leur or vers les banques de réserve fédérale
régionales, où il a été ajouté aux réserves de chaque banque.
Les gens ont
ainsi perdu l’usage de leurs pièces d’or, et se sont acclimatés au papier. Ils
savaient, en revanche, que s’ils voulaient réellement l’or représenté par
leur monnaie papier, ils pouvaient demander à l’obtenir.
Cette confiance
s’est effondrée en 1933, quand FDR a demandé aux Américains de rendre leurs
pièces d’or au gouvernement – sinon… On leur a évidemment expliqué la
nécessité de cette demande – qui avait été qualifiée de « rappel d’or »,
comme si l’or lui-même était défectueux. C’était une urgence nationale, et
les Américains savaient qu’en situation d’urgence, le gouvernement pouvait
leur retirer leurs droits.
Beaucoup d’entre
eux se sont remémoré l’environnement social de la première guerre mondial,
qui a vu beaucoup d’individus arrêtés pour avoir lu publiquement la
déclaration des droits. Pendant la Guerre civile, Lincoln a suspendu l’habeas
corpus et ordonné l’arrestation et l’emprisonnement de quiconque daignait
remettre en question ses politiques. Même la Convention constitutionnelle
constituait une violation des droits, dans le sens où ses délégués ont créé
un nouveau gouvernement plutôt que de réviser la charte du gouvernement
existant, comme ils étaient supposés le faire. Je suppose qu’ils auraient pu
dire que la « sécurité nationale » nécessitait l’abandon de l’ancien
gouvernement.
Lors de son
discours d’investiture, Roosevelt a fait référence à la dépression comme à
une urgence comparable à la guerre, et a préparé ceux qui lui ont prêté
oreille à des mesures drastiques. Plus tard, lorsqu’il a demandé au peuple de
rendre son or, il lui a dit de ne pas s’inquiéter. Le papier qu’on lui
distribuerait en vaudrait la chandelle, il le lui garantissait. L’or
empêchait la reprise, et ce même si l’étalon or classique avait été abandonné
il y a déjà presque deux décennies. Si cela ne vous semble avoir aucun sens,
sachez que les questions monétaires sont chose complexe, que seuls les
esprits les plus vifs peuvent détordre. Et Roosevelt était entouré de tels
esprits. Dont l’un des plus grands a un jour qualifié l’or de relique
barbare, et les prix de bien évidemment trop bas. Pour lui, le seul moyen de
résoudre le problème était d’imprimer plus de monnaie. Mais comment procéder avec
une marchandise rare telle que l’or ?
« Dans un
sens, mais pas le bon, l’or a causé les Paniques que tu as mentionnées. »
J’ai expliqué à mon petit-fils que les banques s’étaient engagées dans des prêts
de réserve fractionnaire, dans le cadre desquels elles s’engageaient à échanger
contre des pièces d’or tous les billets et dépôts pour lesquels elles étaient
redevables. Mais elles ont élargi les quantités de billets et les dépôts
au-delà des quantités d’or qu’elles possédaient, ce qui constitue une forme
de détournement, bien que les banquiers et leurs amis ne voient pas les
choses du même œil. Les banques ont créé de multiples reçus pour la même
quantité d’or, et ces reçus ont circulé en tant que monnaie. Ainsi, elles ont
fait gonfler la masse monétaire. Et elles ont pu continuer de le faire jusqu’à
ce que les déposants s’inquiètent de la capacité de leur banque à leur verser
de l’or, ou qu’une banque tente de compenser des paiements et découvre que
son homologue sur-gonflée était incapable de satisfaire sa demande.
La prise de conscience
par le public de l’existence d’une banque sur-gonflée le pousse à ne plus
faire confiance à aucune banque, ce qui laisse vite place à une situation de
chaos aussi appelée Panique. Les banquiers et une majorité des économistes ne
voient rien de mal à élargir le crédit au-delà de la monnaie disponible dans
les coffres. Ils considèrent cette pratique valide, et ne la pensent devenir déstabilisante
que lorsque l’expansion prend des proportions trop importantes.
Plutôt que de
mettre fin au système de prêts de réserve fractionnaire, ils ont orienté leur
colère vers l’or. S’ils n’avaient pas à échanger leurs billets contre de l’or,
ils pourraient générer une bien plus forte inflation. S’ils se débarrassaient
de l’or, établissaient une institution capable de fournir des fonds en
situation d’urgence – en d’autres termes, une banque centrale – le chaos
prendrait fin.
Mais il ne l’a
pas fait. L’or joue le rôle de frein contre l’inflation, et sans lui, l’unité
monétaire que nous appelons dollar prolifère et perd de sa valeur. Parce que
les économistes se sont concentrés sur les prix plutôt que sur la masse
monétaire, ils n’ont pas vu venir l’inflation des années 1920. Pour eux, l’inflation
était une hausse des prix, et la hausse des prix n’était que très limitée
dans les années 1920, si ce n’est sur le marché boursier. Quand l’effondrement
est survenu, beaucoup ont été pris de court – mais pas Ludwig von Mises, un
économiste autrichien.
Ont-ils pris conscience
de leur erreur et révisé leurs théories ? Non. Une fois de plus, ils ont
critiqué le rôle de l’or comme monnaie. Le président Roosevelt a pris son or au
public, mais la dépression n’a pas pris fin pour autant.
Je ne comprends
pas pourquoi le gouvernement protège son or à ce point. L’or a toujours été
une marchandise de valeur, même à une heure où il n’est plus utilisé comme
moyen d’échange. Il est donc certain qu’il soit préférable pour le
gouvernement de le protéger. Mais la vraie question, c’est de savoir pourquoi
l’or a encore une si grande valeur aujourd’hui.
Tous les
gouvernements n’ont pas conservé leurs réserves. Gordon Brown, le Chancelier
britannique de l’Echiquier, a vendu la moitié de l’or du Royaume-Uni entre
1999 et 2002.
« Nous
devrions être libres de décider ce que nous utilisons comme monnaie, lui
ai-je dit. Je préférerais quelque chose dont la quantité ne peut pas
facilement être accrue, comme l’or. Le système bancaire devrait être régi par
les lois du marché, et non bénéficier de privilèges qui l’en protègent. »
Il m’a dit de
lui répéter le nom de l’économiste qui avait prédit l’effondrement. J’ai été
très heureux de le lui redire.
Centre de dépôt
d’or des Etats-Unis, Wikipédia
Vente des
réserves d’or britanniques, 1999–2002, Wikipédia