Deux
conceptions opposées d’une même stratégie sont
maintenant sur le tapis : appuyé par Angela Merkel,
Wolfgang Schäuble a exprimé
l’une, François Hollande l’autre. Il sera beaucoup
glosé sur ce qui les oppose et sur leur capacité à les
rapprocher, alors qu’elles divergent très fortement. Elles ont
cependant en commun de reposer toutes deux sur des diagnostics erronés
qui les condamnent par avance : ce ne sont ni l’indiscipline
budgétaire, façon Merkel, ni le
déséquilibre interne à la zone euro, façon Hollande,
qui sont principalement à la source de la crise européenne de
la dette. Ce qui d’ailleurs serait une bonne nouvelle pour les
dirigeants américains et japonais, les soulageant de leurs petits
problèmes domestiques.
A
s’obstiner à n’avoir de celle-ci qu’une vision européo-centriste, les dirigeants européens
l’observent par le petit bout de la lorgnette et les politiques
qu’ils préconisent butent immanquablement sur deux obstacles :
une récession qui diminue les recettes fiscales pour les uns, l’absence
de relance qui ne les accroît pas pour l’autre. Dans les deux
cas, le désendettement en ressort compromis, sans compter son poids
social qui s’alourdit immanquablement, au fur et à mesure que de
nouveaux efforts sont exigés.
François
Hollande, à la recherche d’une impossible synthèse, vient
de se donner comme objectif de « porter ce compromis entre le
désendettement et la croissance afin de changer la perspective
», phrase qui n’a comme seul défaut de ne pas l’identifier,
bien à la manière de Christine Lagarde, qui prône de
lever le pied dans les conférences et dont les collaborateurs font le
contraire sur le terrain, au Portugal aujourd’hui même ! Le
président de la République est en réalité sur une
pente glissante qui le conduit de plus en plus sur le terrain choisi par son
partenaire allemand. Il en est à réclamer l’application
des décisions du précédent sommet de juin !
Le
débat franco-allemand pourrait être présenté comme
l’affrontement de deux conceptions du renforcement de l’Europe,
l’un accordant la priorité à la définition des
objectifs et l’autre à l’application d’une
méthode (on se croirait en première année de Sciences Po
!), mais il repose en réalité sur une stratégie de
désendettement qui n’a pas fait – c’est le moins que
l’on puisse dire – toutes ses preuves ! Croire qu’elle
rebondira par une intégration accrue de l’Europe, c’est
faire preuve, au choix, d’obstination ou d’aveuglement. Les deux
ne sont pas incompatibles.
Comme
si les divergences n’étaient pas assez établies, deux
événements viennent encore de les accentuer.
D’après la presse allemande, le gouvernement de Berlin voudrait
que ne soit versée à la Grèce, de l’aide consentie
dans le cadre de son plan de sauvetage, que la part permettant de
rembourser la dette publique et ses intérêts aux
créanciers (les banques allemandes entre autres), à charge pour
le gouvernement grec de lever des impôts pour financer ses autres
dépenses. Berlin s’interrogerait sur la
généralisation de cette méthode aux autres pays ; comme
garrot, on ne fait pas mieux.
Cela
pour la partie « dette publique » du désendettement. Pour
la partie « dette privée », les juristes sollicités
à propos du futur dispositif de surveillance des banques par la BCE
– le premier stade de l’union bancaire – ont rendu leur
avis. Il en ressort qu’un changement de traité serait
nécessaire si le projet devait être poursuivi. Cette union
bancaire, clé du dispositif permettant de contrôler et maitriser
le désendettement des banques, est décidément mal
partie, au grand soulagement de ceux qui ne veulent pas que l’on puisse
glisser un œil dans leur pré carré, les autorités
allemandes et britanniques au premier chef (les banques françaises
satisfaites de leur laisser faire le boulot).
«
Sur la sortie de crise de la zone euro, nous en sommes près, tout
près » a pourtant déclaré François
Hollande. Sans doute a-t-il voulu exprimer sa satisfaction en constatant que
les gouvernements espagnol, grec et portugais venaient bon gré mal
gré à résipiscence et que le chapitre allait être
clos. C’est vite tirer un trait sur les conséquences sociales
qui vont en découler et croire que cela fera solde de tout compte.
A
la question qui lui a été posée lors de son interview
à la presse européenne – comment ramener la croissance ?
– François Hollande a répondu en s’appuyant sur
deux leviers. Le retour à « la confiance », qui
résultera de la sortie de crise de la zone euro qu’il pressent,
lorsque « les pays bien gérés » pourront financer
leur dette à « des taux raisonnables » grâce aux
interventions du MES et de la BCE, l’application de ce qu’il
présente comme un « pacte de croissance », auquel il
rajoute le produit de la future taxe sur les transactions financières
et les crédits structurels de la Commission pour arrondir les 120
milliards d’euros qui n’existent pour l’instant que sur le
papier. Au mieux, cela constitue une position d’attente, mais à
quoi ?
«
L’austérité n’est pas une fatalité »,
proclame-t-il, elle est simplement une réalité destinée
à durer, fabriquée par une machine à désendetter
qui n’est pas bien réglée.
Billet
rédigé par François Leclerc
Son livre, FUKUSHIMA,
LA FATALITÉ NUCLÉAIRE vient de paraître aux
éditions « Osez la République sociale ! » [148
pages - 11 euros.] Vente en ligne ici
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