Depuis quelques jours s’accumulent différentes nouvelles au sujet de Bitcoin. Il faut dire que la monnaie numérique, relativement sage depuis le début de l’année, recommence à marquer quelques signes de fébrilité avec une volatilité en hausse marquée ces derniers jours. Parallèlement, le monde politique semble à nouveau se pencher sur son existence…
Et depuis la fin du mois de mai, on observe une brusque montée dans le cours du Bitcoin. Depuis le début de l’année, la monnaie numérique oscillait doucement atour de 400€ par Bitcoin, avec une tendance, assez calme, à une hausse modérée. Depuis le 25 mai, en revanche, le prix d’un bitcoin en euros et en dollars a subitement grimpé, affichant rapidement 450€ puis 500€ par bitcoin, pour atteindre plus de 600€ à l’heure où ces lignes sont écrites.
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Bien entendu, on peut très bien mettre cette brusque hausse du cours du Bitcoin sur le compte de la jeunesse de cette monnaie, sur une nouvelle poussée de fièvre plus ou moins irrationnelle. On peut aussi noter que deux phénomènes entretiennent justement cette hausse.
Le premier tient probablement à la ruée des Chinois sur la monnaie numérique : tout indique en effet (à commencer par les volumes traités par OKCoin Exchange, une plateforme chinoise d’échange de Bitcoin) que certains d’entre eux ont jugé le temps venu d’acheter des bitcoins pour échapper aux contrôles des capitaux que les autorités chinoises sont en train de mettre en place en République Populaire. Et même s’il s’agit d’une faible proportion de Chinois qui s’intéressent à ce marché, et même s’il s’agit d’une faible proportion de leurs liquidité, la quantité totale de Chinois et la quantité totale des liquidités disponibles (on parle en trillions de dollars), ajoutés à la relative étroitesse du marché Bitcoin entraînent inévitablement des effets importants sur les cours… Qui bondissent.
Du reste, cette explication permet aussi d’expliquer, au moins en partie, que le cours de l’Ethereum a récemment subi, lui aussi, une hausse notable. Monnaie numérique répondant à des critères différents de Bitcoin, et résolument orientée vers la notion de « smart contract », cette monnaie en plein développement attire un intérêt marqué qui lui permet de se placer actuellement dans le sillage de Bitcoin. En outre, son cours plus modeste (on tourne autour de 18$ actuellement par Ether) offre une entrée plus facile aux investisseurs débutants.
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À ceci s’ajoute pour une bonne part l’anticipation de la prochaine opération d’importance sur la production de Bitcoin : dans un peu plus d’une vingtaine de jours, la récompense pour le minage des blocs va être divisée par deux (« halving »). Rappelons que la monnaie numérique est basée sur la technologie de la blockchain dont la sécurisation est assurée par le minage, c’est-à-dire la vérification d’un bloc de transactions et son ajout au reste de la blockchain. Vérification qui, lorsqu’elle est menée à bien, permet à ceux qui la réalisent de toucher un nombre fixe de bitcoins : 50 depuis la création de Bitcoin, puis 25 à partir du 28 novembre 2012, et normalement 12,5 autour du 10 juillet 2016.
Assez mécaniquement, les bitcoins nouvellement produits seront donc moins nombreux. La production devenant plus faible, le prix devrait sensiblement augmenter (ce qui avait d’ailleurs été observé lors du précédent « halving », le bitcoin gagnant près de 10% autour de cette date), et ce d’autant plus si la demande, elle, continue d’être ferme comme on l’observe actuellement.
Parallèlement, le monde politique recommence à s’agiter sur ces questions de monnaie numérique. Peut-être sont-ce ces mouvements de hausse et cette volatilité qui ont poussé certains politiciens à émettre des borborygmes au sujet de la monnaie numérique ? En tout cas, questions gargouillements impromptus, nous avons été servis du côté du Front National qui n’a pas pu s’empêcher d’expliquer vouloir une loi pour interdire cette abomination en France.
Peut-on s’en étonner ? Par nature, Bitcoin permet l’affranchissement des individus de toute tutelle étatique en séparant de façon étanche leurs activités financières des doigts particulièrement rapaces (et boudinés) de l’État omniventripotent. Un parti qui a placé si haut le rôle de l’État au point d’en faire l’alpha et l’oméga de toute solution aux problèmes des Français ne peut guère laisser se développer une telle technologie, surtout si, in fine, elle remet clairement en cause la façon dont peut être collecté l’impôt (toujours citoyen, toujours festif, toujours légitime et toujours consenti, bien sûr).
De façon diamétralement opposée, notons l’incroyable proposition d’une dizaine de députés LR emmenés par Laure de la Raudière qui souhaitent donner une valeur probante aux enregistrements de transactions authentifiés par une technologie de type blockchain. Deux amendements (n°227 et 229) à l’actuelle loi de modernisation de la vie économique ont en effet été déposés en ce sens et permettraient par exemple d’utiliser une blockchain pour des transferts de propriété, que ce soit des actions ou des biens immobiliers, en remplacement de certains actes (notariés, typiquement).
Certes, l’actuelle écriture de ces amendements laisse une place extrêmement large à la notion même de blockchain et la lie à une définition établie par décret en Conseil d’État, ce qui peut aboutir à tout et surtout n’importe quoi comme le législateur nous y habitue de façon assez régulière. Il ne faudra pas se réjouir trop vite.
Cependant, l’existence même de ces deux amendements permet d’entrevoir comme une lumière au bout d’un long tunnel d’obscurantisme où, enfin, certains députés ont pris la mesure du siècle dans lequel ils s’inscrivent et tentent de s’accommoder des nouvelles technologies. Si, de surcroît, ils font pour une fois l’effort d’incorporer celles qui sont les plus révolutionnaires dans leurs réflexions, on ne peut que les en féliciter.
D’autant que ces amendements signent, en pratique, la fin des monopoles plus ou moins clairs de certaines professions lourdement réglementées qui interviennent lors des passations de propriété, depuis les courtiers boursiers jusqu’aux notaires, et depuis l’achat ou la vente d’actions jusqu’à celles de propriétés immobilières. En pratique, ces deux amendements pourraient provoquer une véritable révolution en France qui prendrait alors une très sérieuse avance dans la maîtrise des technologies à base de blockchain.
Cependant, ne rêvons pas. Ces députés novateurs sauront largement rencontrer l’imputrescible résistance du conservatisme le plus banal dans cette vieille République. Jean-Jacques Urvoas, actuel Garde des Sceaux, faisant preuve de toute l’opacité mentale qu’il faut pour justifier son poste, a d’ailleurs largement fait comprendre qu’il était densément, farouchement et obstinément contre ce genre d’aventure numérique. Devant les notaires, le politicien s’est bien gardé de donner la moindre marge de manœuvre à cette idée abominable pour la corporation en place.
Pour le brave Jean-Jacques, la député voudrait « permettre à la France de prendre une avance juridique en ce qui concerne la reconnaissance des effets juridiques de l’utilisation de la « blockchain » dans les opérations sur instruments financiers et devises », et voyez-vous mes petits amis, « prendre une avance juridique » est quelque chose qu’en France, on ne fait pas : on commence comme ça et, de fil en aiguille, on se modernise, on simplifie la bureaucratie, on élague les vieux machins pourris, on nettoie que dis-je, on kärcherise, et pouf, le pays n’est plus le même et frise l’efficacité. Impensable.
La révolution Bitcoin continuera donc sans les Français, correctement protégés par Urvoas et sa clique. Pour les autres, Chinois en tête, ils y verront l’occasion d’échapper au contrôle des capitaux et peut-être même de se faire une coquette plus-value…