A
l’image de celle des ministres des finances et des chefs d’Etat
et de gouvernements – bien que sur un pied plus modeste – la vie
d’un chroniqueur de l’actualité de la crise permet de
beaucoup voyager. Nous étions à Bruxelles et nous nous
dirigeons maintenant les uns et les autres vers Séoul, pour le G20,
après une brève escale à Washington, à
l’occasion de la réunion du comité de politique
monétaire de la Fed.
Pour
être clairement formulées, les conclusions du sommet de
Bruxelles devront toutefois attendre une nouvelle rencontre, prévue en
décembre prochain. Il est pour l’instant sorti de celui qui
vient de se terminer l’adoption du principe d’un mécanisme
de crise permanent, destiné moins à sauver tel ou tel pays
– car des conditions drastiques devront être acceptées
pour en bénéficier – que la zone euro elle-même,
car elle pourrait être en fin de compte menacée
d’éclatement. Entérinant l’apport du FMI dans le
dispositif financier et envisageant de mettre à contribution les
banques européennes, détentrices d’obligations
d’Etat appelées à être dépréciées
; s’efforçant donc de minorer l’apport des Etats
eux-mêmes.
Une
procédure simplifiée, prévue au traité de
Lisbonne, devrait permettre de formaliser le principe de ce mécanisme
en l’amendant tout en évitant la tenue de
référendums, sans toutefois supprimer l’étape
ultime de la ratification par les Etats, toujours susceptible de donner lieu
à des surenchères et des demandes de compensation compliquant
et retardant les choses.
Les
désaccords à propos de la nature des sanctions encourues par
les Etats fautifs ont été provisoirement écartés
– celles-ci suscitant elles-mêmes des controverses – mais
il est envisagé d’adjoindre le déficit
prévisionnel des régimes de retraite, sous une forme qui doit
encore être étudiée, au ratio de déficit
budgétaire (3% par rapport au PIB).
Tout
en ayant dû s’adapter à l’éventualité
d’accidents de parcours, de plus en plus prévisibles, la ligne
dure adoptant comme priorité absolue la réduction des
déficits publics a donc été réaffirmée.
Les modalités de mise en œuvre du cofinancement public-privé
de la restructuration de la dette des pays ne pouvant éviter de faire
défaut vont cependant donner beaucoup de fil à retorde à
ceux qui vont devoir les définir. Les banques européennes
risquent en effet d’être simultanément dans
l’obligation d’appliquer de nouveaux ratios correspondant au
rapport fonds propres/engagements (Bâle III), tout en devant
enregistrer une décote sur certains de ceux-ci, pourtant
jusqu’à maintenant réputés les plus sûrs.
Nul doute qu’elles vont à nouveau brandir la menace d’une
diminution future du volume du crédit bancaire, afin de préserver
autant qu’il sera possible la rentabilité des capitaux
immobilisés au titre de leurs fonds propres.
Une
course de vitesse est désormais engagée entre la
détérioration de la situation des pays européens
entrés dans la zone des tempêtes et la mise au point du nouveau mécanisme
de crise. Le délai d’un peu moins de trois ans qui est pour
l’instant octroyé est-il vraisemblable, les
événements risquant fort de se précipiter ?
La
guerre des monnaies, quant à elle, n’attendra pas de telles
échéances lointaines. L’accord de façade des
ministres des finances du G20 va être au cœur des débats
des chefs d’Etat et de gouvernement au G20 proprement dit, mais comment
aller au-delà des proclamations générales alors que la
guerre se poursuit et que les contradictions d’intérêt
s’accroissent ?
A
son tour, la banque centrale indonésienne vient d’annoncer
qu’elle réfléchissait à des dispositions
interdisant les aller-retours
à court terme des capitaux sur son territoire, dans une tentative de
juguler le carry-trade dont elle est
victime, comme de nombreux pays émergents. Depuis le
début de l’année, 12 milliards de dollars sont
entrés dans le pays, la Bourse de Djakarta connaissant une
envolée de ses cours de 40%. La roupie indonésienne se
valorisant par rapport au dollar (et au yuan qui y reste arrimé).
Le
président sud-coréen Lee Myung-Bak,
hôte du prochain G20, a pour sa part estimé que les pays doivent
avoir le pouvoir d’agir unilatéralement afin de contrôler
l’afflux de capitaux étrangers. Selon lui, ces mesures ne
devraient pas être perçues comme un contrôle des capitaux,
mais comme « une politique macro-prudentielle », sous
l’égide du G20. Voilà qui annonce de sérieuses
discussions.
En
réalité, personne ne sait comment arrêter la guerre qui a
été engagée, le marché monétaire
étant largement incontrôlable et n’obéissant
qu’aux règles qu’il se donne empiriquement. Une chose est
donc que la Fed ne mette pas dans l’immédiat de l’huile
sur le feu, en limitant sa nouvelle émission monétaire. Une
autre est de rendre sages des capitaux habitués à faire comme
ils l’entendent, dans le cadre du libre établissement des
parités de change par le marché et de la spéculation
à très grande échelle qui en tire profit.
La
tenue de la réunion de la Bank of Japan, au
lendemain de celle de la Fed, n’est pas faite pour calmer le jeu : les
Japonais n’ont pas le choix et doivent résister à
l’appréciation du yen qui se poursuit et que les
décisions de la Fed devraient encore amplifier.
En
conséquence, le G20 pourrait se traduire par une montée en
puissance des critiques envers la politique américaine, de plus en
plus directement mise en cause par les Chinois. Chen Deming, le ministre du
commerce, a déclaré que l’émission des dollars par
les Américains « n’étaient plus sous contrôle
», important de l’inflation en Chine, tandis que Xie Xuren, le ministre des
finances, expliquait que les émetteurs des « grandes monnaies de
réserve » – nom de code du dollar dans le langage
diplomatique chinois – devraient suivre une politique économique
responsable.
Sans
doute rejoignait-il ainsi, sans le dire, l’analyse qu’a servi tout cru Bill Gross, le directeur
général du fonds obligataire américain PIMCO, l’un
des plus grands créanciers privés des Etats-Unis.
« La dette publique, en réalité, a toujours eu des
ressemblances avec une escroquerie à la Ponzi.
A ceci près que les Etats-Unis ont parfois remboursé leur dette
nationale, accréditant le postulat que tant qu’on pouvait
trouver des créanciers pour rembourser les emprunts anciens, et en
acheter de nouveaux, le jeu pourrait continuer
indéfiniment », a-t-il expliqué.
« Désormais, la croissance étant mise en doute, il
semble que la Fed a poussé la logique de Charles Ponzi
un peu plus loin », a-t-il poursuivi, faisant
référence au programme d’achats de titres de la dette
publique que la Fed s’apprête à engager.
« La
Fed, dans les faits, est en train de dire aux marchés de ne pas
s’inquiéter de nos déficits budgétaires, dont elle
sera l’acheteur de premier et peut-être de dernier
ressort », a-t-il conclu, en s’exclamant finalement :
« Je vous le demande: y a-t-il jamais eu de machine de Ponzi plus éhontée ? Non, jamais.
Celle-là est tellement unique qu’elle exige un nom nouveau. Je
l’appelle la machine de Sammy, en l’honneur de l’Oncle Sam
et des hommes politiques (ainsi que des citoyens) qui nous ont conduits
à ce moment critique de l’Histoire ».
Dans
l’immédiat, ce sont les Chinois qui vont sauver la mise des
Américains, leur réalisme les amenant à ne pas vouloir
précipiter le mouvement. Fu Ying, vice-ministre des affaires
étrangères chinoise, a ainsi déclaré au Figaro :
« Je pense que la présidence française devrait avoir la
patience d’écouter chacun, notamment en ce qui concerne la
réforme du système monétaire ». En
référence aux intentions proclamées par Nicolas Sarkozy
de faire avancer durant la prochaine présidence française du
G20 la réforme du système monétaire international
– parmi de nombreux dossiers – elle a précisé :
« Nous avons une année devant nous. Nous verrons bien quelles
sont les propositions qui pourront aboutir à un consensus, ce qui
n’a rien d’évident avec la présence de pays aussi
divers ».
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il
pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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