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Dans La
Presse de samedi dernier, le chroniqueur financier Michel
Girard présente des données intéressantes sur qui payait
combien d'impôt au Québec en 2005. Des données qui
viennent contredire le mythe qu'on entend parfois (mais bien moins souvent me
semble-t-il qu'il y a une ou deux décennies, depuis que le chiffre de
40% des contribuables qui ne paient pas d'impôt à cause de
revenus trop modestes est devenu largement connu) selon lequel les riches ne
paient pas d'impôt.
En fait, les
«riches» — ceux qui ont un revenu de 100 000$ et plus
— et la classe moyenne paient beaucoup d'impôt, une proportion
démesurée en fait des recettes totales en impôt des deux
ordres de gouvernement par rapport à leur poids au sein de la
population.
Il y a au Québec 5,8
millions de contribuables, c'est-à-dire de gens qui font une
déclaration de revenu, qu'ils soient salariés à temps
plein ou étudiants travaillant à temps partiel,
retraités ou ménagères déclarant quelques revenus
de placement. Si l'on divise cette population en trois groupes, ceux qui font
moins de 50 000$ par année, ceux qui font de 50 000 à 100 000$,
et ceux qui font 100 000$ et plus, on observe les proportions suivantes (j'ai
arrondi les chiffres):
Catégorie
nombre de
personnes % des
contribuables % des impôts
payés
0 à 50 000$
4 800 000
82
33
50 000 à 100 000$
871 000
15
38
100 000$ et plus
169 000
3
29
Les 3% des contribuables qui ont
un revenu de 100 000$ et plus paient donc presque autant d'impôt sur le
revenu au total, soit près du tiers des recettes de Québec et
d'Ottawa, que les 82% qui font moins que 50 000$ par année. Et comme
le souligne Michel Girard, «pour être vraiment
"équitable" envers notre noyau des 169 000 contribuables
fortunés, il faut préciser que, en fin de compte, ils versent
plus d'impôts que les 4,8 millions de contribuables à revenu
plus faible. Pourquoi? Parce que ces contribuables se sont partagé
plus de 2 milliards de dollars d'aide financière directement
versée par l'entremise de programmes gouvernementaux destinés
majoritairement aux gens à plus faible revenu, comme le soutien aux
enfants, les crédits de TVQ et TPS, la prestation fiscale pour
enfants, etc.»
En 2004, l'Institut économique de Montréal avait publié, sous la signature de Norma
Kozhaya, un cahier de
recherche qui présentait des données similaires sur les
impôts payés en 2001 (note pour ceux qui ne le savent pas
encore: chaque fois que je réfère à des études
passées de l'IEDM, on comprendra que je parle de documents auxquels
j'ai moi-même contribué en tant que directeur des publications
de 2000 à 2007). Les données ont un peu évolué,
le nombre de personnes à revenus élevés ayant
augmenté pendant cette période surtout à cause de l'inflation.
Mais les proportions sont à peu près les mêmes.
Le cahier présentait
toutefois une autre donnée intéressante (voir le Tableau 2
à la page 10): la proportion du revenu total pour chaque groupe.
Certaines personnes pourraient penser que si les «riches» paient
29% de l'ensemble des impôts, c'est peut-être parce que leurs
revenus correspondent à peu près à 29% des revenus de
l'ensemble des contribuables. Les données du cahier permettaient de
voir que ce n'était pas le cas. Ainsi, les 2% de riches à
l'époque payaient 22,5% des impôts totaux, mais leurs revenus ne
comptaient que pour 13% des revenus de l'ensemble des contribuables. Les
11,7% de personnes de la classe moyenne gagnaient 27,7% des revenus totaux
mais payaient 37,5% des impôts totaux. Quant aux 86,3% des
contribuables gagnant moins de 50 000$, leurs revenus correspondaient
à 59,3% du total, mais ils ne payaient que 40% des impôts.
Un peu moins de la moitié
de ces personnes dans la catégorie des plus bas revenus, soit 39,8% de
tous les contribuables, ne payaient pas d'impôt en 2001. Après
les avoir enlevés, on en déduit (ces calculs n'ont pas
été faits dans le cahier) que ceux qui restent dans ce groupe
comptaient pour environ 45% des contribuables, gagnaient autour de 45% du
revenu total, et payaient 40% de l'impôt total. On pourrait donc dire
que ce sont eux, ceux qui faisaient entre 25 000 et 50 000$ (tout cela est
évidemment approximatif, puisqu'il faudrait tenir compte des personnes
à charge, déductions, etc.), qui formaient en 2001 la
véritable «classe moyenne» au Québec et qui
contribuaient aux dépenses publiques en proportions égales
à leur poids démographique et à leurs revenus. Tous les
contribuables gagnant plus de 50 000$ (et il faut vraiment avoir de
l'imagination pour croire qu'on est riche avec un tel salaire brut) étaient
des victimes du régime d'imposition progressif qui fait en sorte que
plus on a un revenu élevé, plus la proportion payée en
impôt augmente.
On pourrait évidemment
identifier d'innombrables effets pervers découlant de ce siphonage
fiscal. Mais mentionnons les deux plus évidents ici.
Le Québec était en
2001, et est probablement toujours, la province comptant la plus importante
proportion de contribuables ne payant pas d'impôt. Sur le plan
politique, comme on l'a déjà mentionné à maintes
reprises, il est évident que pour près de la moitié des
électeurs québécois, une baisse d'impôt n'a donc
pas grand intérêt — ils n'en profiteront pas. Au
contraire, ils pourraient conclure qu'ils bénéficieront de
moins de transferts fiscaux et de services «gratuits» si les
revenus du gouvernement se mettent à diminuer (semble-t-il que les
lois de la physique le permettent, mais on n'a jamais observé le
phénomène).
Par ailleurs, plus les personnes
que notre système considère comme «riches» (et je
parle maintenant des 18% des contribuables ayant un revenu supérieur
à 50 000$) subissent un fardeau fiscal élevé, plus on
doit s'attendre à ce qu'elles adoptent des comportements en
conséquence. Elles auront recours à l'évasion fiscale,
travaillerons moins, iront s'installer ailleurs ou ne viendront pas s'installer
au Québec, etc. Le Québec ayant un système fiscal plus
progressif que les autres provinces, on ne se surprendra donc pas s'il compte
moins de riches. Alors que 2% de contribuables québécois
faisaient 100 000$ et plus en 2001, ils étaient 3,7% des contribuables
ontariens, soit presque le double; quant à ceux qui faisaient entre 50
000 et 100 000$, les proportions étaient respectivement de 11,7 et
16,5%.
Les partisans de la gogauche
crétine qui souhaitent qu'on augmente encore plus la
progressivité du régime fiscal, et donc le fardeau fiscal des
plus riches, ont trouvé le moyen idéal de ne pas pouvoir
financer leurs beaux programmes sociaux. Le Québec est
déjà «riche en pauvres et pauvre en riches»
comparé aux autres provinces. En faisant fuir encore plus les riches
qui paient une part disproportionnée des impôts, et en
empêchant la classe moyenne de s'enrichir, on s'assurerait de devoir
augmenter le fardeau fiscal de ceux qui resteraient avec des revenus
modestes. Créer une masse de personnes à faible revenu
surtaxées pour financer un État qui intervient dans tout:
voilà le programme de la gogauche.
Martin
Masse
Le Quebecois
Libre
Martin Masse est né à Joliette en 1965. Il
est diplômé de l'Université McGill en science politique
et en études est-asiatiques. Il a lancé le cybermagazine
libertarien Le Québécois Libre en février 1998. Il a
été directeur des publications à l’Institut
économique de Montréal de 2000 à 2007. Il a traduit en
2003 le best-seller international de Johan Norberg, Plaidoyer pour la
mondialisation capitaliste, publié au Québec par l'Institut
économique de Montréal avec les Éditions St-Martin et
chez Plon en France.
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