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Les signaux contradictoires de nos édiles

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Published : February 14th, 2012
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Deux honorables institutions financières européennes viennent avec les meilleures intentions de leur monde d’envoyer dans la journée d’hier des signaux contradictoires à propos de l’état du système bancaire.


N’incitant pas à croire que tout va pour le mieux, la BCE a incité les banques à répondre sans lésiner à sa seconde offre de crédits à trois ans (LTRO) de la fin du mois, baissant à nouveau pour le permettre la barre de la qualité des titres qu’elles pourront proposer comme collatéral. Tandis que l’EBA – l’autorité européenne de régulation des banques – s’est déclarée globalement satisfaite des plans de renforcement des fonds propres soumis par les banques européennes, qui ont le mérite de ne pas afficher d’importante réduction de leur offre de crédit, le principal souci des gouvernements. Qui a raison ? qui a tort ? Pourquoi la BCE prête-t-elle à trois ans si tout devait rentrer dans l’ordre dans six mois, délai donné par l’EBA ?


Il pourrait être répondu que la contradiction n’est qu’apparente, et que l’offre de la BCE vise à résoudre un problème de liquidité des banques tandis que la demande de l’EBA vise à renforcer leur solvabilité. Mais les deux sont en réalité étroitement liées : moins la solvabilité est grande, plus forte sont les exigences de liquidité.


La BCE vient de prendre des mesures complémentaires, avec comme effet de se défausser des risques liés à son second LTRO sur sept banques centrales nationales (France, Italie, Espagne, Autriche, Irlande, Portugal et Chypre) en leur permettant de fixer elles-mêmes – dans certaines limites non rendues publiques – la liste des actifs qu’elles vont en contrepartie prendre en pension fin février, en substitution de la BCE. Ce qui revient à leur faire supporter le risque afférent, sans qu’elles soient mêmes solidaires les unes des autres, avec comme soutien leurs seuls États actionnaires.


En d’autres termes, si une banque centrale nationale (BCN) veut aider particulièrement ses banques, elle le peut mais à ses propres risques, sans que l’Eurosystème ne soit impliqué. La BCE prône le renforcement de la gouvernance économique mais pratique en ce qui la concerne l’opposé en décentralisant le risque afin de le faire plus directement reposer sur les épaules des États, sans la soupape de sécurité que représente la création monétaire. Elle continue donc de fermer le jeu pour ce qui les concerne.


Mais où les choses deviennent intéressantes, c’est lorsque l’on apprend qu’une très grosse décote de deux tiers de la valeur nominale sera appliquée sur les actifs lors des prises de pension, afin de tout de même protéger les BCN. Ce qui a contrario donne une idée de la qualité réelle des actifs. Entre protéger les BCN et permettre aux banques d’emprunter en grand, il faut faire un choix qui est en fin de compte laissé aux États qui vont devoir l’assumer.


Il en ressort surtout que la BCE ne porte pas le même regard sur la solidité des bilans des banques que l’EBA, dont les exigences de renforcement des fonds propres ne combleraient pas une dépréciation de cette ampleur.


La déclaration de l’autorité de régulation mérite que l’on s’y attarde. Son appréciation n’est pour l’instant que globale, en attendant une analyse des plans de recapitalisation banque par banque, dont la publication n’a pas été annoncée. Elle met en avant que ceux-ci vont aller pour 26% au-delà de ses exigences, pour en tirer comme sage conclusion qu’une marge de manœuvre existe, au cas où certaines prévisions ne se révéleraient pas fondées ! L’EBA garde ainsi la possibilité de demander des mesures complémentaires, au cas où certains de ces plans ne se révéleraient pas réalistes; une réserve dont il faudra confirmation qu’elle n’est pas là pour la forme.


L’autorité régulatrice insiste sur le fait que les trois quarts du renforcement projeté proviennent d’augmentations de capital, en précisant qu’il peut s’agir de l’émission – déjà réalisée ou non – de titres obligataires hybrides de dette ou d’obligations contingentes convertibles, ainsi que d’appels aux réserves (qui représentent prévisionnellement 16% du total). Sans plus d’analyse à propos de la réponse prévisible du marché et de l’égibilité au titre du capital dur (core tier one) des titres de dette émis dans des conditions qui méritent d’être examinées.


On remarque toutefois comment la détente du marché obligataire résultant des injections massives de la BCE est destinée à aider les banques afin qu’elles répondent aux demandes de l’EBA, incitant le marché à répondre favorablement aux émissions de titres convertibles.


Le quart restant de l’effort de renforcement provient selon l’EBA de ventes d’actifs, de la diminution de l’encours de crédit ou de nouveaux calculs effectués par les banques et minorant les risques qu’elles prennent. Cette précision visant à répondre à un article alarmiste du Financial Times à ce sujet. Mais même cette proportion pose problème, car cela peut représenter des milliards d’euros d’allégement fictif des comptes qui pourraient être concentrés dans les bilans de certaines banques, et entraîner des effets dominos en cas de pépin…


Objet habituel de toutes les intentions, le système bancaire reste donc très fragile. Il se confirme qu’il est nécessaire de gérer une pénurie de collatéral, étant donné les besoins de financement des banques. Comme si, pour elles comme pour les États, le niveau de l’endettement avait atteint un niveau tel que son refinancement, même étalé dans le temps, posait problème.


Induisant la terrible perspective, relevée par Paul Jorion, de devoir envisager des restructurations de dettes pour lesquelles des intérêts ont été perçus. Des provisions pour pertes auraient du être financées au lieu d’être comptabilisées dans les résultats, mais c’est trop tard ! Les mirifiques taux de rentabilité des banques, dont elles doivent abandonner le renouvellement, auraient été diminués d’autant.


On en revient à cette simple vérité : la machine à faire de la dette est affaire du passé et doit être démantelée, la dette restructurée. On sait comment le coût de telles opérations est difficile a estimer et combien la tentation est grande de le sous-estimer : une nouvelle fois, le parallèle entre l’industrie électro-nucléaire et la finance est saisissant ! Il en résultera ensuite un véritable crève-cœur – la redistribution de la richesse – si l’on veut éviter que l’ensemble du système ne continue de s’écrouler lentement et douloureusement.


 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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