Deux
honorables institutions financières européennes viennent avec
les meilleures intentions de leur monde d’envoyer dans la
journée d’hier des signaux contradictoires à propos de
l’état du système bancaire.
N’incitant
pas à croire que tout va pour le mieux, la BCE a incité les
banques à répondre sans lésiner à sa seconde
offre de crédits à trois ans (LTRO) de la fin du mois,
baissant à nouveau pour le permettre la barre de la qualité des
titres qu’elles pourront proposer comme collatéral. Tandis que
l’EBA – l’autorité européenne de
régulation des banques – s’est déclarée
globalement satisfaite des plans de renforcement des fonds propres soumis par
les banques européennes, qui ont le mérite de ne pas afficher
d’importante réduction de leur offre de crédit, le
principal souci des gouvernements. Qui a raison ? qui a tort ? Pourquoi la
BCE prête-t-elle à trois ans si tout devait rentrer dans
l’ordre dans six mois, délai donné par l’EBA ?
Il
pourrait être répondu que la contradiction n’est
qu’apparente, et que l’offre de la BCE vise à
résoudre un problème de liquidité des banques tandis que
la demande de l’EBA vise à renforcer leur solvabilité.
Mais les deux sont en réalité étroitement liées :
moins la solvabilité est grande, plus forte sont les exigences de
liquidité.
La
BCE vient de prendre des mesures complémentaires, avec comme effet de
se défausser des risques liés à son second LTRO
sur sept banques centrales nationales (France, Italie, Espagne, Autriche,
Irlande, Portugal et Chypre) en leur permettant de fixer elles-mêmes
– dans certaines limites non rendues publiques – la liste des
actifs qu’elles vont en contrepartie prendre en pension fin
février, en substitution de la BCE. Ce qui revient à leur faire
supporter le risque afférent, sans qu’elles soient mêmes
solidaires les unes des autres, avec comme soutien leurs seuls États
actionnaires.
En
d’autres termes, si une banque centrale nationale (BCN) veut aider
particulièrement ses banques, elle le peut mais à ses propres
risques, sans que l’Eurosystème ne
soit impliqué. La BCE prône le renforcement de la gouvernance
économique mais pratique en ce qui la concerne
l’opposé en décentralisant le risque afin de le faire
plus directement reposer sur les épaules des États, sans la
soupape de sécurité que représente la création
monétaire. Elle continue donc de fermer le jeu pour ce qui les
concerne.
Mais
où les choses deviennent intéressantes, c’est lorsque
l’on apprend qu’une très grosse décote de deux
tiers de la valeur nominale sera appliquée sur les actifs lors des prises
de pension, afin de tout de même protéger les BCN. Ce qui a
contrario donne une idée de la qualité réelle des
actifs. Entre protéger les BCN et permettre aux banques
d’emprunter en grand, il faut faire un choix qui est en fin de compte
laissé aux États qui vont devoir l’assumer.
Il
en ressort surtout que la BCE ne porte pas le même regard sur la
solidité des bilans des banques que l’EBA, dont les exigences de
renforcement des fonds propres ne combleraient pas une
dépréciation de cette ampleur.
La
déclaration de l’autorité de régulation
mérite que l’on s’y attarde. Son appréciation
n’est pour l’instant que globale, en attendant une analyse des
plans de recapitalisation banque par banque, dont la publication n’a
pas été annoncée. Elle met en avant que ceux-ci vont
aller pour 26% au-delà de ses exigences, pour en tirer comme sage
conclusion qu’une marge de manœuvre existe, au cas où
certaines prévisions ne se révéleraient pas
fondées ! L’EBA garde ainsi la possibilité de demander
des mesures complémentaires, au cas où certains de ces plans ne
se révéleraient pas réalistes; une réserve dont
il faudra confirmation qu’elle n’est pas là pour la forme.
L’autorité
régulatrice insiste sur le fait que les trois quarts du renforcement
projeté proviennent d’augmentations de capital, en
précisant qu’il peut s’agir de l’émission
– déjà réalisée ou non – de titres
obligataires hybrides de dette ou d’obligations contingentes
convertibles, ainsi que d’appels aux réserves (qui
représentent prévisionnellement 16%
du total). Sans plus d’analyse à propos de la réponse
prévisible du marché et de l’égibilité
au titre du capital dur (core tier one) des titres de dette émis dans des
conditions qui méritent d’être examinées.
On
remarque toutefois comment la détente du marché obligataire
résultant des injections massives de la BCE est destinée
à aider les banques afin qu’elles répondent aux demandes
de l’EBA, incitant le marché à répondre
favorablement aux émissions de titres convertibles.
Le
quart restant de l’effort de renforcement provient selon l’EBA de
ventes d’actifs, de la diminution de l’encours de crédit
ou de nouveaux calculs effectués par les banques et minorant les
risques qu’elles prennent. Cette précision visant à répondre
à un article alarmiste du Financial Times à ce sujet. Mais
même cette proportion pose problème, car cela peut
représenter des milliards d’euros d’allégement
fictif des comptes qui pourraient être concentrés dans les
bilans de certaines banques, et entraîner des effets dominos en cas de
pépin…
Objet
habituel de toutes les intentions, le système bancaire reste donc
très fragile. Il se confirme qu’il est nécessaire de
gérer une pénurie de collatéral, étant
donné les besoins de financement des banques. Comme si, pour elles
comme pour les États, le niveau de l’endettement avait atteint
un niveau tel que son refinancement, même étalé dans le
temps, posait problème.
Induisant
la terrible perspective, relevée
par Paul Jorion, de devoir envisager des
restructurations de dettes pour lesquelles des intérêts ont
été perçus. Des provisions pour pertes auraient du être financées au lieu d’être
comptabilisées dans les résultats, mais c’est trop tard !
Les mirifiques taux de rentabilité des banques, dont elles doivent
abandonner le renouvellement, auraient été diminués
d’autant.
On
en revient à cette simple vérité : la machine à
faire de la dette est affaire du passé et doit être
démantelée, la dette restructurée. On sait comment le
coût de telles opérations est difficile a
estimer et combien la tentation est grande de le sous-estimer : une nouvelle
fois, le parallèle entre l’industrie électro-nucléaire
et la finance est saisissant ! Il en résultera ensuite un
véritable crève-cœur – la redistribution de la
richesse – si l’on veut éviter que l’ensemble du
système ne continue de s’écrouler lentement et
douloureusement.
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