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Lorsqu’on
parle d’économie, ce qui vient à l’esprit ce sont
des statistiques. On pense au produit intérieur brut, à
l’indice des prix à la consommation, au taux de chômage,
etc. Toutefois, il ne suffit pas d’utiliser des statistiques et des
équations mathématiques pour qu’on puisse parler de
science. Encore faut-il que les raisonnements qui les soutiennent
décrivent correctement l’objet de recherche. Or lorsqu'on
analyse ceux qui sous-tendent les statistiques économiques populaires,
il n’y a rien de moins sûr. L’usage qu’on fait du
concept de « croissance économique » en est une
illustration.
La
« richesse nationale » n’est pas quantifiable
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Selon la
science économique populaire, il y a croissance économique
lorsqu’il y a augmentation des dépenses de consommation de la
part des ménages et des gouvernements et augmentation de certaines
dépenses des entreprises en biens de production. Le total de celles-ci
est qualifié de « produit intérieur
brut ». La part du PIB attribuée aux dépenses de
consommation est tellement grande qu’on qualifie communément la
consommation comme étant le moteur de l’économie. Or
avant même de mesurer cette « richesse
économique », il faudrait s’entendre sur sa
définition, car elle ne fait pas l'unanimité. Cependant, les
économistes statisticiens tiennent pour acquis que les dépenses
en sont une juste représentation.
La richesse
d’une nation ne peut être quantifiée, car les biens et les
services qui y sont offerts ne sont pas évalués de la
même façon d’un individu à l’autre. En
économie, le calcul est d’abord ordinal,
c’est-à-dire que chaque individu évalue ses besoins selon
les circonstances en leur donnant un ordre de priorité. De
« petites » dépenses peuvent représenter
pour lui une « grande » richesse et vice versa. Parce
que les dépenses de l’un ne représentent pas les choix de
l’autre, elles n’ont pas la même valeur pour tous. Doit-on blâmer
le radin de biaiser le PIB ou rejeter cette statistique parce qu’elle
ne tient pas compte de ses choix personnels?
Au-delà de
l’incommensurabilité des valeurs, on doit aussi déplorer
la pratique d’additionner les dépenses gouvernementales à
celles des individus. Que des gens bénéficient des
dépenses gouvernementales ne constitue pas une raison suffisante pour
les mettre sur un pied d’égalité avec les dépenses
effectuées par les individus. Elles dépendent
entièrement des revenus des contribuables et ne correspondent pas
nécessairement aux choix qu'auraient faits ceux-ci si on leur avait
laissé leur argent.
Le calcul du PIB met
tellement l’accent sur la consommation comme mesure de richesse
qu’il en banalise l’endettement. Cela fait l’affaire de
certains gouvernements qui s’endettent à coeur joie. Les dettes
publiques sont vues comme insignifiantes de la part des gouvernements pour
deux autres raisons. D’abord, par l’entremise de
l’inflation monétaire, le gouvernement fédéral a
le loisir de les refiler partiellement à ceux qui les financent.
Ensuite, parce qu’on définit erronément l’inflation
comme étant une hausse des prix des biens et des services de
consommation.
Le taux
d’inflation ne correspond à aucune réalité
individuelle
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De la
même façon qu’on ne peut représenter la richesse
par les dépenses des uns et des autres, on ne peut identifier
l’inflation aux dépenses plus élevées pour les
mêmes services. Lorsqu’un individu réalise qu’il
obtient moins de services pour son argent, ses priorités changent et
ses choix ne sont plus les mêmes. En dépensant autrement, il ne
dépense pas nécessairement plus. Le taux d’inflation ne
reflète pas sa réalité. À l’instar du PIB,
les dépenses d’autrui ne le concernent pas. Cela ne signifie pas
qu’il soit indifférent à la perte de son pouvoir
d’achat, mais plutôt qu’il est indifférent à
la perte « moyenne » du pouvoir d’achat
exprimé par le taux d’inflation. Constater qu’on en a
moins pour son argent relève d’une évaluation
individuelle, pas d’une évaluation qui se veut collective.
Le PIB corrigé
ou ajusté par l’inflation des prix ne constitue pas une
meilleure représentation de la richesse, car l’une et
l’autre statistiques prétendent additionner des valeurs qui ne
peuvent l’être. De sorte que lorsqu’on dit que
l’inflation est sous-estimée, on ne fait pas allusion à
un calcul conservateur, mais à la sous-estimation qualitative de ses
conséquences. De la même manière, on ne peut pas affirmer
que l’inflation étant sous-estimée le PIB est surestimé,
car le PIB donné ne représente pas plus une erreur de calcul,
mais une somme n’ayant aucune signification.
On
n’aura donc pas une meilleure idée de l’inflation en
comptabilisant également la hausse des biens et des services non
répertoriés dans les indices d'inflation, mais en portant une
attention à la quantité de monnaie mise en circulation et
à ses conséquences. De nos jours, la croissance
monétaire est beaucoup plus importante que la croissance des
différents indices d’inflation. Malgré qu’elle ne
se traduise pas entièrement par une hausse des prix des biens
répertoriés dans ces indices, qu’elle incite à la
consommation et qu’elle tende à augmenter le PIB, elle ne
contribue pas à la richesse pour autant. L'existence de la monnaie
facilite la création de richesse, mais une augmentation de sa quantité
ne la facilite pas plus. Au contraire, cela risque de lui nuire.
Quelques
conséquences de l’inflation monétaire sur la richesse
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On doit
rappeler que la monnaie d’aujourd’hui voit le jour surtout sous
forme de prêt, via le système des réserves
fractionnaires. C’est-à-dire que les institutions
financières prêtent plus d’argent qu’elles en
possèdent dans leurs coffres. Cela se fait avec la
bénédiction du gouvernement. La « monnaie de
crédit » vient donc accompagnée de dette. Celui qui
l’emprunte paie un intérêt, tandis que le prêteur le
reçoit. Toutefois, les deux profitent de monnaie qui n’est le
fruit d’aucun travail, du sacrifice et de l’épargne de
personne.
Non seulement on ne se
retrouve pas plus riche à la suite d'une croissance monétaire,
mais, au contraire, on risque fort de s’en retrouver plus pauvre, car
ce nouvel argent incite à la consommation sans qu’il y ait eu
production au préalable. Il y a une consommation nette de richesse qui
se réalise subrepticement sur le dos de la population en
général et de l’épargnant en particulier. Ceux qui
en profitent sont ceux qui y ont accès en premier, soit surtout les
gouvernements et quelques institutions financières. Il s’agit d’une
redistribution des richesses dont les politiciens parlent peu.
Une monnaie qui
n’a comme seule valeur que la confiance en l’émetteur est
apte à se déprécier rapidement lorsque cette confiance
est remise en question. Sa valeur tend à diminuer lorsqu’elle
est créée en abondance. Or c’est l’un des nombreux
avantages de la monnaie métallique sur la monnaie
contrôlée par l’État, on ne peut pas la
créer comme on veut.
La monnaie
utilisée et imposée par l’État n’est pas le
fruit d’un travail au même titre que la monnaie
métallique. Celle-ci a d’abord été un minerai
recherché, duquel on a extrait le métal, qu’on a ensuite
fait fondre en pièces homogènes pour en faire un moyen
d’échange pratique. C’est à travers ce processus
que certains métaux utilisés à d’autres fins ont
également été utilisés comme monnaies. Au
contraire, la monnaie de crédit a historiquement vu le jour à
titre d’obligation remboursable en monnaie métallique. On a
ensuite abandonné le métal à partir duquel elle tirait sa
valeur. On est passé d’un bien comme monnaie à une dette
comme monnaie, d’un actif à un passif, d’une richesse
à une croyance.
Croissance
monétaire vs croissance économique
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Trop
d’économistes se perdent en conjectures à savoir combien
de monnaie fiduciaire il devrait y avoir en circulation. Plusieurs sont
d’avis que la croissance monétaire devrait croître au
même rythme que le PIB « réel »,
c’est-à-dire le PIB moins l’inflation des prix des biens
répertoriés. D’autres sont d’avis qu’il importe
plutôt de maintenir une certaine proportionnalité entre les
deux, etc. Cependant, invariablement, ils préfèrent qu’il
y ait plus de monnaie que pas assez.
À trop voir la
science dans les chiffres, l'économiste mathématicien perd son
temps à calculer l'incalculable. Il confond la croissance
monétaire avec la croissance économique et prétend qu'on
peut accroître celle-ci en augmentant celle-là. Or la croissance
économique n’a nul besoin d’une croissance
monétaire parallèle. En revanche, elle a besoin d’une
réduction des contrôles de l’État, car son essence
est la liberté d’échanger sa propriété, ce
que l’État ne respecte pas, ou si peu.
Ce qui fait la science
est la rigueur intellectuelle et celle-ci n’a nul besoin de se traduire
en formule mathématique. Cela dépend de son objet de recherche.
Or l’économie s’y prête mal. Elle n’est pas
une question de statistiques, d’équations mathématiques,
de biens et de services, mais d’action humaine qui vise un but. Une
science qui réussit à confondre profanes et experts est une
science qui a besoin d’être révisée.
André
Dorais
André Dorais a étudié en philosophie
et en finance et vit à Montréal. Essai originellement
publié par Le
Québecois Libre
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