On estime généralement que
le prix de l’or et les taux d’intérêt se déplacent dans des directions
opposées.
En d’autres termes, une hausse
des taux d’intérêt serait accompagnée par une baisse du prix de l’or. Comme toutes
les autres suppositions en matière de prix, celle-ci est parfois vraie,
parfois fausse.
Le marché actuel ne concerne que
l’or synthétique, qui réfère à du métal qui n’est jamais livré sous sa forme
physique. La relation actuelle est donc une relation relative aux taux d’intérêt,
parce que les positions sur l’or synthétique, sous forme de contrats à terme,
sont financées par les marchés monétaires de gros. C’est la raison pour
laquelle une rumeur concernant une hausse imminente des taux d’intérêt, si
elle se reflète par une hausse des taux interbancaires, entraîne un déclin du
prix de l’or.
Une telle situation peut se
présenter aujourd’hui parce que le prix de l’or a été capturé par le système
bancaire moderne. Mais ce n’a pas toujours été le cas. Le graphique
ci-dessous montre qu’après 1971, la hausse des taux d’intérêt a été
accompagnée d’une hausse du prix de l’or.
Nous pouvons diviser la décennie
en quatre phases distinctes, numérotées dans le graphique. Au cours de la
première, jusqu’en décembre 1971, les taux d’intérêt étaient en baisse et le
prix de l’or grimpait, comme cela se produirait aujourd’hui. Mais après cette
phase et jusqu’à la fin de la décennie, nous pouvons noter une forte
corrélation positive entre les deux. Pourquoi ?
Ceux d’entre nous qui
travaillaient à l’époque sur les marchés financiers se rappellent peut-être
du développement de la stagflation à la fin des années 1960 et au début des
années 1970, alors que les prix grimpaient sans hausse correspondante de la
demande pour les biens concernés. Les banques centrales se sont retrouvées
dans une situation délicate. En accord avec la pensée macroéconomique
d’après-guerre, les politiques monétaires étaient (et sont encore
aujourd’hui) l’un des outils principaux de promotion de la croissance
économique. L’absence de croissance a donc été blâmée sur un stimulus
insuffisant. Ainsi, les politiques monétaires étaient diamétralement opposées
à la hausse des taux d’intérêt nécessaires à combattre l’inflation des prix.
La conséquence en a été un désir de baisse des taux d’intérêt chez les
banquiers, qui se sont toutefois retrouvés forcés de les faire grimper par
les marchés. C’est la raison logique pour laquelle le prix de l’or a grimpé
pour combattre la hausse du taux d’inflation, plutôt que se trouver supprimé
par une hausse des taux d’intérêt. Vous pourrez l’observer sur le graphique, dans
la phase 2.
La stagflation est restée
évidente jusqu’à la fin de l’année 1974. L’inflation des prix en dollars
mesurée par l’indice des prix à la consommation a augmenté de plus de 25%
cette année-là, pour refléter la hausse du prix du pétrole imposée par
l’OPEP. L’inflation mesurée par l’IPC a atteint un sommet de 12%. Les marchés
des actions se sont effondrés, le Dow a été divisé de moitié et le FT30
londonien a perdu plus de 70% depuis son record à la hausse de 1972. A
Londres, la crise bancaire secondaire, générée par la hausse des taux
d’intérêt, a débouché sur l’effondrement de banques qui avaient prêté de
l’argent à des développeurs immobiliers, ce qui a généré le krach financier
de novembre 1973. Une fois de plus, les économistes grand public ont eu du
mal à comprendre ce qui se passait, parce que l’effondrement de la demande
qui a suivi cette crise aurait dû mener à une déflation, mais les prix ont
continué de grimper.
L’histoire de l’or n’est pas
qu’une question de hausse insuffisante des taux d’intérêt, comme le suggèrent
les débats économiques. Les richesses dont a profité le Proche-Orient suite à
la hausse du prix du pétrole ont bénéficié, en termes occidentaux, à une
société rétrograde qui a investi une portion significative de ses dollars sur
l’or physique. C’était naturel pour les Arabes, qui pensaient que l’or était
une monnaie et que les dollars étaient un drôle de papier. Investir sur l’or
physique leur avait également été recommandé par des banquiers privés
suisses. Le recyclage des pétrodollars sur l’or a régulièrement absorbé la
mise aux enchères d’or par le Trésor des Etats-Unis, qui n’est pas parvenue à
supprimer le prix de l’or.
La crise financière et
l’effondrement des marchés des actions qui lui a fait suite en 1974 nous ont
menés à une troisième phase. Les taux d’intérêt ont décliné après que les
marchés des actions ont commencé à se libérer du sentiment négatif de
l’époque. Le prix de l’or a aussi baissé, et a été divisé par deux depuis
juste en-dessous de 200 dollars en décembre 1974 jusqu’à juste au-dessus de
100 dollars en août 1976. Il était devenu apparent que le monde financier
survivrait, et les rendements des obligations ont plongé alors que les
marchés des actions remontaient. La crainte s’est estompée.
Une fois de plus, le prix de
l’or s’est déplacé en parallèle aux taux d’intérêt, cette fois-ci à la
baisse. Arrive ensuite la quatrième phase. A compter de 1976, l’activité
économique s’est stabilisée et l’inflation des prix a accéléré en fin
d’année, pour porter l’IPC à 13% en 1980. Les taux d’intérêt ont grimpé avec
l’inflation des prix, et l’or est passé de 100 dollars à 850 dollars au
fixing de l’après-midi du 21 janvier 1980. Pour une troisième fois, le prix
de l’or a été corrélé à une hausse des taux d’intérêt.
Nous apprenons des années 1970
que la relation inverse entre l’or et les taux d’intérêt ne devrait pas être
considérée comme normale dans les relations futures de marché. Les produits
dérivés et le marché physique de Londres n’étaient certes pas aussi développés
à l’époque qu’ils le sont aujourd’hui, mais la comparaison avec les années
1970 reste intéressante, notamment compte tenu de l’émergence à l’époque d’un
épisode de stagflation.
Bien que les chiffres officiels
de l’inflation montrent aujourd’hui une absence relative d’inflation des
prix, la raison en est notamment la manière dont cette dernière est calculée.
John Williams, de chez ShadowStats.com, estime que l’inflation actuelle,
calculée comme elle l’était dans les années 1980, est constamment supérieure
à ce que suggèrent les chiffres officiels. Il pense qu’elle est aujourd’hui
de 5%. L’indice Chapwood, compilé tous les trimestres et incluant 500
produits communément achetés dans cinquante villes américaines, rapporte une
inflation similaire à celle des années 1970, avec 9%.
Comme toujours, les statistiques
officielles telles que l’IPC devraient être considérées avec précaution,
comme le confirment les estimations de John Williams et de l’indice Chapwood.
Même l’IPC officiel aura des chances de passer au-dessus de l’objectif de 2%
établi par la Fed d’ici un ou deux ans, si tant est que la hausse des prix
des matières premières et de l’énergie se poursuivait. La raison en est que
les facteurs négatifs qui ont supprimé l’indice, tels que la baisse du cours
du pétrole, finiront par sortir de la statistique pour donner à l’IPC un élan
à la hausse. De plus, la hausse des prix des matières premières n’auront pas
grand-chose à voir avec le niveau de la demande économique aux Etats-Unis,
parce que l’économie des Etats-Unis n’est plus le facteur premier de
l’évolution de ces prix. Ce rôle est désormais joué par la Chine, qui prévoit
d’utiliser de vastes quantités de matières premières pour développer des
infrastructures à l’échelle domestique et aux quatre coins de l’Asie, et
commence donc à en accumuler.
Par cette simple analyse, nous
pouvons voir la manière dont les prix américains ont pu enregistrer une
hausse significative sans que grimpe la demande domestique. En d’autres
termes, une stagflation pourrait se développer aujourd’hui susceptible de
devenir aussi pernicieuse que celle des années 1960. La question reste de
savoir comment la Fed y répondra.
Une chose n’a pas changé au fil
des décennies : la manière dont les banquiers centraux perçoivent les
prix liés, bien que lâchement, à la demande. C’est là la base de l’objectif
d’inflation, qui estime qu’une inflation de 2% correspond à une croissance
économique durable. En termes de macroéconomie conventionnelle, il n’existe
aucune explication à la stagflation, malgré les preuves que cette condition
existe.
Personne n’en est plus surpris
que les membres des conseils décisionnels de la Fed, qui anticipent le même
dilemme que celui auquel leurs ancêtres ont eu affaire pendant la deuxième
phase de notre graphique. L’économie des Etats-Unis stagnera, et l’inflation
des prix grimpera. La Fed se trouvera coincée entre son besoin de maintenir
les taux d’intérêt très bas pour stimuler la demande de crédit, et la
nécessité d’une hausse des taux d’intérêt pour contrôler l’inflation des
prix. Cette fois-ci, une hausse des taux d’intérêt et des rendements des
obligations de plus de 2% pourrait la mener à sa perte, parce que ses pertes
sur investissements en obligations, achetées suite à la crise financière et
tout au long de ses programmes d’assouplissement quantitatif, excèderont très
vite son capital.
Les dynamiques derrière le
marché de l’or sont cependant différentes aujourd’hui de ce qu’elles étaient
au début des années 1970. La dette est si élevée aujourd’hui qu’elle risque
de déstabiliser le système financier tout entier, et rendre impossible pour
la Fed une hausse des taux d’intérêt sans pour autant causer de tsunami
financier. Les gouvernements de Chine et de Russie établissent déjà une
position stratégique sur l’or physique, et les populations chinoise et
indienne, ainsi que d’autres populations asiatiques, ont également fait
preuve d’appétits gargantuesques pour le métal jaune. Plutôt que de partir
d’une position où le Trésor, en 1969, possédait 14% des réserves d’or
existantes, il en possède aujourd’hui moins de 5%. Si tant est qu’il dispose
encore de ses 8.134 tonnes.
Cette fois-ci, le prix de l’or
sera influencé par les pénuries physiques au travers du vieux monde, à mesure
que les Américains et les Européens s’éveilleront à la stagflation, au
dilemme des taux d’intérêt de leurs banques centrales et à la disparition de
leurs réserves d’or.
Au vu de l’état actuel du
marché, notamment si la hausse de la demande chinoise en énergie et en
matières premières se matérialisait dans le cadre de son programme
quinquennal, nous nous retrouverions dans une situation similaire à la phase
2 du graphique ci-dessus. Sur la période, l’or a été multiplié par cinq
depuis 42 jusqu’à 200 dollars en trois ans. Les circonstances actuelles sont
bien différentes, notamment pour ce qui est de l’adoption de taux d’intérêt
négatifs. Mais nous pouvons voir pourquoi, malgré la croissance infinie du
rôle des produits dérivés en tant que mécanisme de contrôle des prix,
certains pensent que la relation entre les taux d’intérêt et le prix de l’or
est traditionnellement une corrélation inverse et continuera de l’être.