Un grand nombre des
citoyens patriotes et bien-pensants qui entrent dans la zone de tir
Kubler-Ross qu’est le marchandage avec la réalité tentent d’organiser un détour
ordonné de la gigantesque silhouette de Trump, qui à la manière de Godzilla
vient menacer la démocratie américaine profane autrefois sacrée. Mais je
doute que nous puissions nous échapper dans l’ordre de cette mauvaise météo
politique. Quand des tempêtes frappent, elles font des dégâts.
Nous pourrions débattre
indéfiniment du rôle de l’Homme dans l’origine des époques et vice-versa,
mais en laissant de côté le sens le plus schématique de cette question,
existe-t-il une raison pour laquelle Donald Trump est impropre à occuper le
poste qu’il convoitise ? Je suis personnellement torturé par cette
question : pourquoi lui ? Pourquoi ce personnage vulgaire qui ne
peut pas aligner deux pensées cohérentes ? N’y a-t-il, dans notre nation
de 320 millions d’habitants, pas un seul homme ou une seule femme
suffisamment courageux pour s’opposer aux mafias responsables de la
destruction de tout ce qui nous concerne ? Apparemment non.
Il y a aussi la question
– qui n’est au moment présent que naissante et rhétorique - de savoir où
cette course de décisions et d’actions pourra mener notre pays. Trump semble
vouloir restaurer les années 1950, alors que des armées d’ouvriers
produisaient à tour de bras des machines à laver Maytag et des téléviseurs en
noir et blanc Zenith pour pouvoir nourrir leur famille, que de bien moins
nombreux métèques venus d’autres mondes s’affairaient à tresser des paniers,
qu’Atoms for Peace rendait l’énergie électrique trop peu chère pour se donner
la peine d’installer des compteurs, et que les divertissements populaires
prenaient la chaste forme de Dinah Shore acclamant aux masses à la recherche
d’une vie meilleure de « faire le tour des Etats-Unis en Chevrolet ».
C’était bien évidemment
là l’époque de la jeunesse de Trump (et de la mienne), et si une chose est
plus sûre que le lever du Soleil au petit matin, c’est que les Etats-Unis n’y
reviendront pas incessamment sous peu. Trump et moi-même avons depuis
longtemps fini de grandir en tant qu’organismes humains, et les Etats-Unis
ont cessé de devenir une économie politique techno-industrielle. Les gens s’affaiblissent
et meurent, et sont remplacés par d’autres. Les économies politiques s’essoufflent
et se transforment en de nouveaux ensembles d’activités et de relations.
Les forces de l’Histoire
veulent nous mener vers une nouvelle organisation des choses, et tout ce que
nous percevons aujourd’hui sur le devant de la scène Américaine est la
manifestation d’une résistance à ce voyage, dont la destination est une
nouvelle édition de la vie de tous les jours, repensée à plus petite échelle,
une économie décentralisée bien moins riche en conforts, un travail utile,
une générosité de l’esprit et des affaires plus simples. Ce ne sont pas là
les qualités présentées par Trump, qui n’incarne que le désir grandiose et
peu articulé de « refaire des Etats-Unis une grande nation ».
L’effondrement
institutionnel du Parti républicain tourne à plein régime, et pourrait être
accompagné d’un effondrement tout aussi spectaculaire du Parti démocrate si
le chef du FBI décidait de lancer des poursuites au pénal contre la Fondation
Clinton pour s’être mêlée des affaires du Département d’Etat. Les partis
pourraient plonger dans le désarroi avant le 8 novembre, et nous pourrions
voir arriver de nouveaux candidats aux références douteuses, présentés par de
nouvelles factions politiques. En plus de 200 ans, nous n’avons pas encore vu
une seule élection repoussée ou annulée.
Les observateurs
professionnels de la scène politique semblent ignorer la tempête financière
qui se lève à l’horizon, et ses conséquences potentielles pour les élections
à venir. Il y a des chances que d’ici six mois, les Etats-Unis se retrouvent
dans une situation d’urgence économique, que leurs banques soient fermées et
ses entreprises incapables d’interagir les unes avec les autres. Les réseaux
de distributions pourraient être suspendus, et les magasins vidés. Et les
Américains, perdus dans leurs applications smartphones et leurs fantaisies
peuplées de Kardashians n’ont aucune idée de la fragilité du système dont ils
dépendent.
Avant la fin de l’année,
les Etats-Unis apprendront quelque chose des usages du désordre. L’un d’entre
eux sera la construction d’un consensus cohérent face à ce qui se passe dans
le monde, délié de nos fantaisies et de nos désirs personnels. Si nous ne retrouvons
pas déchirés en cours de route.