|
Ce texte est un « article presslib’ » (*)
Il
est fait aujourd’hui grand cas dans les cercles gouvernementaux, faute
de pouvoir se prévaloir d’autres succès notable,
d’une stabilisation de la situation financière faisant suite
à la phase aiguë de la crise, qui a été dominée.
Sans encore reconnaître franchement que cette nouvelle phase est
chronique (qu’elle est installée), mais sans continuer à
se hasarder à en prédire le calendrier de sortie. On entend
bien dire, ici ou là, que l’on est entré dans l’après
crise, mais ce sont des propos légers et téméraires
qui ne sont pas repris par les politiques, devenus prudents à force de
voir leurs pronostics démentis.
Est-on
bien certain, en réalité, que la situation financière
soit si stabilisé que cela ? Les
éléments constitutifs de nouveaux dérapages, qui
pourraient se révéler très sévères, ont en
effet été clairement identifiés. Rien de moins que de
nouvelles profondes secousses des marchés hypothécaires
américain résidentiel et commercial, chacun selon ses
échéances et sa logique. Aboutissant à ce que le
château de cartes des actifs financiers bâti sur son socle
s’écroule à nouveau, retouchant durement des
établissement bancaires qui sont loin d’avoir digéré
(déprécié en termes comptables) les conséquences
du précédent effondrement et reconstitué d’autant
leurs fonds propres. L’incertitude, à propos de cette nouvelle
séquence de la crise, portant d’avantage sur son ampleur que sur
sa venue.
Parallèlement,
il se confirme que d’autres dangers, plus masqués mais non moins
réels, sont en train de monter en puissance. Effets paradoxaux du
dispositif majeur du sauvetage des banques instauré afin
qu’elles puissent tenir à flot : la mise à
disposition de liquidités sans restrictions de volume et à
très bas coût. Plaçant les artisans de cette politique
devant un choix impossible de plus, car son arrêt comme sa poursuite
auraient des conséquences potentiellement redoutables.
Il
a été suffisamment souligné, pour qu’il ne soit
pas nécessaire d’y revenir longuement, que les mégabanques ont profité des largesses des
banques centrales pour jouer dans les meilleures des conditions de coût
au grand casino. Les prêts à long terme de la BCE
représentent ainsi à ce jour 670 milliards d’euros, ceux de
la Banque d’Angleterre 185 milliards de livres, non compte tenu des 134
milliards de livres de garanties d’Etat fournies par le gouvernement
aux banques pour qu’elles empruntent sur les marchés. Afin de
leur faciliter la tâche, presque toutes les salles du casino sont restées
ouvertes depuis le début de la crise, sans que des mesures de
régulation ne soient intervenues, sauf celle où l’on joue
à la roulette de la titrisation, qui n’a toujours pas repris son
activité, les martingales s’étant révélées
inopérantes.
Il
a aussi été constaté que ces mêmes mégabanques sont désormais accros
aux liquidités-cadeaux, devenues selon le mot et le diagnostic
d’un financier connaissant la musique, une morphine dont elles ne
peuvent plus se passer. Les amenant à jouer gros et à prendre
de plus en plus de risques, et à nouveau à sous-évaluer
celui-ci. A gonfler une nouvelle bulle financière avec beaucoup de
constance et d’inconscience, alors qu’elles ont gagné en
taille, leur nombre s’étant réduit, accroissant les
risques systémiques et le coût de futures éventuelles opérations
de sauvetage. Celles-ci n’étant plus dans les moyens des Etats
déjà surendettés et sommés de réduire
leurs déficits.
Il
est moins connu que, selon la Banque des règlements internationaux,
les mégabanques auraient globalement
déjà reconstruit leurs bilans pour un montant supérieur
aux dépréciations qu’elles ont déjà
effectuées (en application de valorisations comptables flatteuses). La
BRI a calculé que mille milliards de dollars auraient été
affectés à cette tâche, réunis grâce aux
emprunts à bas taux et à court terme obtenus des banques
centrales, qui leur permettent de prêter, mais à taux
élevé et à long terme, sur les marchés.
C’est
précisément ce mécanisme, qui dans un premier temps leur
a procuré une assise, qui est en train de devenir un inquiétant
facteur d’instabilité dans un second. Car il est
enregistré, toujours par la BRI, que les emprunts des banques sont de
plus en plus à court terme, accroissant leurs fréquents besoins
de refinancement. Compte non tenu du besoin devant lequel elles sont de
reconstituer à nouveau leurs fonds propres, au fur et à mesure
des dépréciations qu’elles poursuivent au titre de leurs
engagements passés, de celles qu’elles vont devoir entreprendre
si une nouvelle crise survient, ou bien qui résulteront des taux de
défaut à la hausse de leurs prêts traditionnels.
Résultant enfin des exigences d’augmentation de leurs fonds
propres formulées par le Comité de Bâle, auxquelles elles
vont devoir souscrire et qu’elles cherchent à diminuer et
à étaler dans le temps. Tout cela fait beaucoup à
financer, surtout si les taux du marché devaient grimper et si les
banques centrales commençaient à fermer leurs robinets.
La
crainte que le cumul de tous ces besoins aboutisse à une demande et
par voie de conséquence une augmentation des taux exigés par
les marchés, vu leur importance, permet de mieux comprendre les
raisons pour lesquelles il est quasiment intimé l’ordre aux
Etats, avec tant d’insistance, de diminuer au plus vite leur endettement.
Les générations futures, qu’il faut préserver,
ayant donc bon dos. Car l’accroissement de la dette publique, ainsi que
le risque grandissant de défaut des Etats les plus faibles, exerce une
pression sur les taux obligataires, dont les banques craignent de faire
également les frais en se présentant sur les marchés.
Il
a en effet été calculé, par des analystes de Barclays,
que les résultats des banques seraient, dès 2012, atteints dans
des proportions importantes mais variables selon les banques, afin d’absorber
les hausses des taux obligataires à venir, dans le cadre
d’éventuelles émissions obligataires qui ne seraient pas
garanties par les Etats. Il est donc indispensable, pour que les
gouvernements et les banques centrales puissent commencer à
réduire leurs programmes de soutien aux banques, afin
d’évacuer le danger que représente la bulle
financière en cours de constitution, que les Etats s’engagent
sans tarder dans la réduction de leurs déficits, afin de les
banques en subissent le moins possible le contre-coup
sur les marchés.
D’autant
qu’un autre effet est redouté. Une hausse générale
des taux sur les marchés obligataires publics et privés, qui
réagissent l’un vis à vis de l’autre, auraient pour
conséquence mécanique une baisse de la valeur actualisée
des obligations émises par les banques, pesant sur
l’évaluation de leurs fonds propres. Celles-ci, ayant par
ailleurs augmenté considérablement leurs achats
d’obligations d’Etat, dans le but de renforcer ces mêmes
fonds propres et d’anticiper le durcissement de la
réglementation bancaire, sont donc à un double titre
vulnérables à l’évolution du marché
obligataire. Dans un premier temps, elles ont ainsi contribué, aux
côtés des banques centrales, à limiter la hausse des taux
des obligations d’Etat, mais leur action a ses limites, qui sont
semble-t-il atteintes.
C’est
donc pour répondre aux besoins de financement des
établissements financiers que les Etats doivent lever le pied quant
à leur endettement. Suivant une logique irréductible : il
est nécessaire de soulager le marché obligataire afin que les
banques puissent s’y financer à meilleur coût, condition
à la levée progressive des mesures de soutien dont elles
bénéficient, qui alimentent une bulle financière
potentiellement dangereuse pour le système financier.
Demain
sera un autre jour.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ?
(La Découverte : 2007).
|
|