Il existe dans le monde
médiatique financier une large proportion d’imbéciles qui avalent jusqu’à la
dernière des salades tragiques et désespérées que notre société est capable d’inventer
pour se convaincre que notre vie techno-industrielle pourra se poursuivre
indéfiniment, malgré les avertissements que nous fait parvenir la réalité –
et notamment les contes de fées concernant le pétrole : nous avançons
jour après jour vers notre indépendance énergétique… le « miracle »
du pétrole de schiste nous permettra de conduire jusqu’à WalMart indéfiniment…
nos puits déborderont comme si nous étions en Arabie Saoudite… Don’t worry,
be happy !
L’un de ces croyants
véritables est John Mauldin, grand arnaqueur du monde de l’investissement et
rédacteur du bulletin Thoughts
From the Frontline, qui a jeté sur moi l’opprobre dans sa plus
récente parution. Après s’être payé ma tête, il a écrit ceci :
« J’écris depuis
des années déjà que le pic pétrolier est un amas de bêtises. Mes lecteurs de
longue date savent que je crois en l’accélération continuelle des
transformations technologiques, mais je dois admettre que je n’ai pas pu
prédire la transformation exponentielle des activités de forage telle qu’elle
se développe aujourd’hui. Les changements qui se produisent sous nos yeux
sont à en couper le souffle, et sont jusqu’à présent largement passé inaperçus. »
Mauldin sera déçu de
découvrir que les fameuses activités de forage et de fracturation dont il
fait l’éloge finiront par accélérer l’épuisement des puits qui, au mieux,
produisent quelques centaines de barils de pétrole par jour, et ce seulement
pendant un an, après quoi leur production diminue de moitié pour s’épuiser
sous quatre ans. Les comparses des intérêts publics de Cambridge Energy
Research (le moulin de propagande de Dan Yergin pour l’industrie de schiste)
ont sans doute forcé un gallon de Kool Aid dans l’estomac de notre pauvre John.
Il croit encore en tous les bobards qu’ils sont capables d’inventer – « aujourd’hui,
certains puits peuvent produire à 10 dollars le baril ».
La vérité, c’est que l’industrie
de schiste ne pourrait pas enregistrer de profits même à 100 dollars le
baril. Le boom du forage et de la fracturation qui a débuté en 2005 a été
financé par des obligations à haut risque et à haut rendement ainsi que par d’autres
sources douteuses et mal garanties. Les revenus enregistrés par l’industrie
ces quelques dernières années proviennent de la location de terrains à des
gens plus sots encore. Maintenant que le prix de l’or a perdu plus de 50% en
un an, nous avons moins de chances de voir ces financements toxiques un jour
remboursés. Puisqu’il s’est agi de financements de « fonds de tiroirs »,
tout laisse supposer que les producteurs de schiste auront des difficultés à
emprunter plus pour maintenir le rythme de forage nécessaire au maintien d’une
longueur d’avance sur l’épuisement des puits. Ils commencent aussi à manquer
d’endroits à forer.
Nous finirons par
observer la frénésie de l’industrie de schiste de 2005 à 2015 comme un très
intéressant tour de force industriel alimenté par le désespoir. Il aura
permis à une industrie chancelante d’utiliser ses infrastructures et son
personnel, et aura offert de l’espoir aux rêveurs. Mais économiquement, il ne
sera jamais allé bien loin. La production de pétrole de schiste ralentira en
2015, et les financements disponibles ne seront plus jamais suffisants pour
ramener la production à son niveau antérieur à l’effondrement des prix.
Jamais.
D’autres vérités
inconfortables devraient venir tempérer les fantaisies délurées des hipsters
comme Mauldin. La première est que l’âge du pétrole abordable est passé. Tout
le pétrole qui deviendra disponible à partir de maintenant coûtera très cher –
qu’il vienne du Bakken, des fonds marins ou de l’Arctique. Et son coût sera
trop élevé pour nous permettre de maintenir en vie notre société
techno-industrielle. C’est pourquoi le système financier du monde implose :
nous ne pouvons emprunter suffisamment au futur pour maintenir notre petit
jeu en place, et nous ne pouvons rembourser l’argent qui a déjà été emprunté.
Nous devrons commencer une nouvelle partie, plus en phase avec la contraction
et une consommation énergétique réduite. Pour les personnes au pouvoir, ce n’est
pas une solution acceptable. Elles sont déterminées à maintenir en place leur
matrice de rackets à tout prix, et la conséquence en sera sans doute un
effondrement des économies et des gouvernements.
Les économies
industrielles font face à une situation qui leur sera fatale : un
pétrole à plus de 75 dollars le baril écrase les économies, et un pétrole à
moins de 75 dollars écrase les sociétés pétrolières. Nous oscillons depuis 2005
entre ces deux conditions. En conséquence, aux Etats-Unis, la classe moyenne
s’appauvrit. Toutes les manipulations financières qui visent à soutenir Wall
Street et les marchés boursiers Potemkine ont été menées aux dépens de la
classe moyenne, aujourd’hui privée d’emplois, de revenus, de vocations, de
stabilité et de perspectives d’avenir. Elle ne peut plus se permettre de
consommer de pétrole. Cette dynamique de déflation énergétique, pour
reprendre les termes de Steve Ludlum, du blog Economic Undertow,
représente une boucle de rétroaction qui nous mènera tout droit vers un
changement de paradigme, vers une organisation moins étendue, plus locale,
plus réelle.
Les hipsters et
profiteurs ne le croiront pas jusqu’à ce qu’ils se trouvent devant le fait
accompli. Ce sont ces mêmes idiots qui croient que nous pourrons continuer de
rouler en voiture par d’autres moyens – voitures sans chauffeur, électriques…
- et qui pensent que les Hommes ont une raison de s’envoler vers d’autres
planètes alors qu’ils n’ont pas pu démontrer pouvoir continuer de vivre sur
celle-ci.
Comme je l’ai dit la
semaine dernière, les Etats-Unis sont au plus bas d’un cycle de connaissance
d’eux-mêmes et sont incapables de comprendre ce qui leur arrive. La fiesta
techno-industrielle a été une expérience si spéciale que nous ne pouvons
imaginer la voir toucher à sa fin. L’une des solutions est de croire en des
sornettes complètement détachées de réalité. Comme Tom McGuane l’a écrit il y
a quarante ans : « la vie aux Etats-Unis a changé, et seul un clown
aurait pu manquer de s’en apercevoir. Être un clown était donc une
possibilité ».