Contraint à l’exil pour des raisons que je n’aurais jamais cru possibles,
je foule aujourd’hui une terre dont les particularités sautent aux yeux du
Français que je suis.
Tout d’abord, j’ai posé mon regard sur un paysage naturel où les nombreux
sites se marient avec une agriculture dont la France a perdu jusqu’au
souvenir. Ici, pas de monoculture subventionnée par l’Union Européenne :
les champs sont restés des mosaïques aux couleurs de blé, de tournesol, de
maïs, et les vignes, lorsqu’elles s’étendent en bordure des villages, les
prolongent en même temps qu’elles les protègent d’une urbanisation excessive.
Ici les fermes sont sensiblement de même taille, les exploitations sont à
dimension humaine. J’ai vu paître des vaches dans un cadre bucolique,
précisément à leur place, là où les hommes les ont sélectionnées depuis des
temps immémoriaux pour se nourrir.
Bien entendu, cette agriculture bénéficie d’aides publiques afin de
garantir sa pérennité, mais ce n’est pas tant l’aspect économique lié à
l’indépendance alimentaire qu’elle suppose que l’entretien des paysages
naturels qui en découle qu’il faut considérer ici : la contrepartie n’a
pas de prix.
Cette nature préservée se manifeste partout : ici il n’y a aucune
ville que l’on ne quitte sans se plonger tout à coup dans un univers végétal,
et rares sont les lieux où l’on ne voit poindre à l’horizon des sommets de
pierre dessinant un tableau changeant. Si la Suisse est une toile, c’est une
toile de Maître, dont le coup de pinceau ne cesse de se produire.
J’ai le sentiment d’avoir cerné la vraie richesse de ce pays, celle que
les anciens ont transmis aux nouvelles générations, celle dont les vivants
ont pour lourde tâche de transmettre à leur tour.
Ce sont les mots que je voulais vous dire, moi le petit Français, issu
d’une famille de paysans qui a vu la France se suicider en confiant la
gestion de son agriculture à l’Union Européenne soumise aux lobbies des
firmes multinationales, et qui voit aujourd’hui ses agriculteurs se suicider
au rythme d’un tous les deux jours.
Nous sommes des héritiers. C’est en l’oubliant que l’on meurt
définitivement.
Sébastien
Jallamion
|