Chère (et cher) Madame, Je vous écris pour vous remercier d'avoir
refusé le chèque qui m'aurait permis de remplir un peu mon frigidaire
désespérément vide.
Selon mes calculs, trois nanosecondes se sont écoulées
entre la présentation du chèque et l'arrivée sur mon compte des fonds
nécessaires à son paiement. Je fais référence, évidemment, au dépôt
mensuel automatique de mon salaire, ma prime de recherche et mes droits
d’auteur, une procédure qui, je dois l'admettre, n'a cours que depuis
vingt-huit ans.
Il est vrai que vous n'étiez pas encore née... Il faut
d'ailleurs vous féliciter d'avoir saisi cette fugace occasion pour débiter
mon compte des 50 euros de frais pour le désagrément causé à votre
banque. Ma gratitude est d'autant plus grande que cet incident m'a incité à
revoir la gestion de mes finances. J'ai en effet remarqué qu'alors que je
réponds personnellement à vos appels téléphoniques et vos lettres, je suis en
retour confronté à l'entité impersonnelle, exigeante, programmée, qu'est
devenue votre banque virtuelle via des messages enregistrés qui font plus
barrage filtrant que communication.
A partir d'aujourd'hui, je décide donc de ne négocier
qu'avec une personne de chair et d'os, appréciant particulièrement la
bonne chair. Les mensualités de mon crédit ne seront dorénavant plus
automatiques mais arriveront à votre banque par chèques adressés
personnellement et confidentiellement à un(e) employé(e) de votre banque que
je devrai donc sélectionner. Sachez que toute autre personne ouvrant un
tel pli consiste en une infraction au règlement postal.
Vous trouverez ci-joint un formulaire de candidature que
je demanderai à l'employé(e) désigné(e) de remplir. Il est vrai qu’il
comporte huit pages, j'en suis désolé, mais pour que j'en sache autant sur
cet employé(e) que votre banque en sait sur moi, je n’ai pas le choix. Notez
que toutes les pages de son dossier médical doivent être contresignées par un
notaire, et que les détails obligatoires sur sa situation financière
(revenus, dettes, capitaux, obligations) doivent s'accompagner des documents
concernés.
Ensuite, à MA convenance, je fournirai à votre employé(e)
un code PIN qu'il/elle devra révéler à chaque rendez-vous. Il est regrettable
que ce code ne puisse comporter moins de 28 chiffres mais, encore une fois,
j'ai pris exemple sur le nombre de touches que je dois presser pour avoir
accès aux services téléphoniques de votre banque.
Mais, l'imitation n’est-elle pas une flatterie des plus
sincères ? Lorsque vous me téléphonez, pressez les touches comme suit :
Immédiatement après avoir composé le numéro, lequel sera surtaxé par un 0892,
veuillez presser l'étoile (*) pour sélectionner votre langue. Ensuite le 1
pour prendre rendez-vous avec moi ; le 2 pour toute question concernant un
retard de paiement ; le 3 pour transférer l'appel au salon au cas où j'y
serais ; le 4 pour transférer l'appel à la chambre à coucher au cas où je
ferais ma sieste ou autre occupation verticale ; le 5 pour transférer l'appel
aux toilettes au cas où je coulerais un bronze ; le 6 pour transférer l'appel
à mon GSM si je ne suis pas à la maison ; le 7 pour laisser un message sur
mon PC.
Dans ce cas, un mot de passe vous sera nécessaire. Ce mot
de passe sera communiqué à une date ultérieure à la personne de contact
autorisée mentionnée plus tôt. Le 8 pour retourner au menu principal et
écouter à nouveau les options de 1 à 7 ; le 9 pour toute question ou plainte
d'aspect général. Le contact sera alors mis en attente, au bon soin de mon
répondeur automatique qui vous diffusera en intégralité la symphonie n° 9 de
Ludwig Von Beethoven ; enfin, le 10, à nouveau pour sélectionner la langue.
J’ai bien conscience que ceci peut augmenter l'attente mais
une musique inspirante (le boléro de Ravel) sera jouée durant ce laps de
temps. Malheureusement, mais toujours suivant votre exemple, je devrai
infliger le prélèvement de frais pour couvrir l'installation du matériel
utile à ce nouvel arrangement.
Respectueusement,
Votre humble client.
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