Plus
la dette nous submerge, moins l’on sait quoi faire d’elle !
Ce qui devrait inciter à se poser deux questions toutes
simples et liées entre elles : pourquoi a-t-elle pris cette ampleur
et comment peut-on s’en débarrasser, puisque l’on ne
parvient pas à la rembourser ?
Une
remarque préliminaire s’impose : dette publique et dette
privée sont tellement enchevêtrées qu’elles
devraient être prises en compte sans les distinguer. Montrer du doigt
la première et escamoter la seconde, c’est désigner une
victime sacrificielle, afin de présenter comme inévitable une
rigueur budgétaire destinée à restreindre
prioritairement les prestations de l’Etat providence et ses domaines
d’intervention, ainsi que de pratiquer des réformes
structurelles.
Mais
si l’on considère la seule dette publique, d’où
provient donc son déséquilibre budgétaire qui n’a
fait que s’accentuer au fil des trente dernières
années ? Une fois pris en compte l’impact important sur les
dépenses que les plans de relance engagés depuis le
début de la crise ont
représentés, on peut estimer celui des mécanismes
fiscaux très orientés qui ont été à
l’origine de la baisse des recettes publiques. Doit également
être ajoutée à la dette sa charge financière, qui
croît au fil de son refinancement. Tout ceci soustrait, la vision que
l’on peut avoir de la dette en sort changée. La
présentation qui est aujourd’hui faite d’un Etat vivant au dessus de ses moyens est non seulement sommaire, elle
est tendancieuse. D’où l’intérêt d’une
analyse des causes de l’augmentation des déficits publics, afin
de contester les fondements de remèdes présentés comme
inévitables et d’en présenter d’autres.
Si
le montant de la dette est connu, le coût de son remboursement ne
l’est pas. Il ne se mesure pas uniquement en termes financiers mais
aussi en coût social, une grandeur que l’on n’a pas
l’habitude d’intégrer dans le calcul économique.
Les plans de rigueur budgétaire qui se multiplient ont en commun de
plonger progressivement dans la précarité des pans entiers de
la société et d’accentuer sa polarisation. Ils induisent
aussi un ralentissement de l’activité économique, qui
diminue encore les recettes fiscales de l’Etat. Créant une
spirale descendante qui annonce de longues années de récession
et d’austérité.
Cette
politique peut-elle aboutir ? Rien n’est moins sûr, si
l’on considère la profondeur du trou qu’il faut combler et
la nécessité de prêter assistance à des Etats qui
ne peuvent plus rembourser leurs dettes, même en multipliant les
mesures de rigueur budgétaire. Car leurs besoins financiers
cumulés potentiels sont tels que l’Europe ne dispose pas des
moyens d’assurer son propre sauvetage. Ce qui la conduit, comme on
vient de le constater, à rechercher d’autres soutiens
financiers.
Les
mécanismes qui sont à l’étude ont un objectif en
commun : soustraire des griffes du marché les Etats qui
sont tombés dans le trou ainsi que ceux qui pourraient prochainement
les y rejoindre. Leur accorder des taux préférentiels pour
refinancer leur dette et étaler son remboursement afin
d’éviter des défauts atteignant le système
financier. Et ne pas renouveler de restructuration de dette. Sans en avoir
les moyens, les Etats cherchent à jouer le rôle de
prêteurs en dernier ressort, puisque celui-ci n’est plus
dévolu que marginalement à leur banque centrale commune. Ne
pouvant assumer leur propre risque, vu son ampleur, ils cherchent donc
à le faire assumer par d’autres.
A
ce sujet, José Manuel Barroso et Herman van Rompuy
viennent de faire un appel du pied discret aux membres du G20 en leur
adressant une lettre commune. « Nous allons mettre en oeuvre ces mesures de manière rigoureuse et en
temps utile, et nous sommes certains qu’elles contribueront à
une résolution rapide de la crise. Cependant, le fait que nous,
Européens, remplissions notre rôle ne suffira pas à
assurer une reprise mondiale et une croissance équilibrée. Il
demeure nécessaire que l’ensemble des partenaires du G20 agissent
de façon conjointe dans un esprit de responsabilité commune et
en poursuivant un objectif commun ».
En
effet, il s’agit de réunir quelque mille milliards d’euros
pour abonder le principal fonds de sauvetage européen, si ce
n’est plus, et les premiers contacts pris avec les dirigeants chinois
montrent que cela ne va pas être une mince affaire. Tout le monde est
donc sollicité pour mettre au pot, FMI compris, ce qui implique
l’accord des Américains.
La
vérité est triste à dire, et encore plus à
admettre, mais la restructuration de la dette grecque, pour laquelle il a
fallu s’y reprendre à deux fois, pourrait faire école. Le
Portugal est un client sérieux pour en bénéficier et,
l’élan pris, pourquoi s’arrêter là ?
José Manuel Barroso vient de déclarer que la seconde
décote grecque est « unique et exceptionnelle »,
mais Charles Dallara l’avait
déjà affirmé lors de la négociation de la
précédente ! Après tout, pourquoi certains pays
bénéficieraient-ils d’une remise de peine et
d’autres en seraient exclus ?
Il
existe donc une autre logique que celle du refinancement hasardeux de la
dette, qui a longtemps été niée avant d’être
reconnue du bout des doigts. Certes, elle implique de reconstituer les fonds
propres des banques au fur et à mesure qu’elle est engagée.
Dans le cas de la nouvelle décote grecque, des fonds publics vont
déjà devoir être mobilisés pour remettre à
flot certaines banques, mais leur emploi va être limité car il
pose immédiatement le délicat problème des conditions
qui devraient les accompagner. Les banques ne veulent pas en entendre parler
et les Etats ne peuvent plus en écarter le principe.
En
poursuivant cette logique et en la généralisant, à quoi
aboutirait-on ? A la création sur fonds publics de good banks récupérant les
dépôts et les actifs sains des banques actuelles – qui
deviendraient des bad banks
– afin de laisser leurs actionnaires en tête à tête
avec ce qui subsisterait de leurs actifs, dont les titres de la dette
souveraine après décote. Ce serait la conséquence ultime
d’une restructuration d’ensemble de la dette publique, en guise d’épilogue
un juste transfert financier inverse…
L’argent
reviendrait ainsi à l’endroit où il est
nécessaire.
Billet
rédigé par François Leclerc
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