Les
situations de crise ont cela d’intéressant qu’elles
mettent à nu les mécanismes dans leur réalité,
à condition de ne pas affecter de les ignorer. Jour après jour,
le feuilleton du second plan de sauvetage européen de la Grèce
en est la démonstration, révélant que les
autorités européennes ont pour le moins atteint leur seuil
d’incompétence.
On
pourra s’interroger sur les raisons de leur impuissance, observant que,
devant choisir entre deux maux, elles adoptent invariablement le pire. Et
qu’elles sont ainsi elles-mêmes les artisans de
l’approfondissement d’une crise dont elles ne savent pas se
dépêtrer. La conclusion s’imposera : elles sont
dépassées par les événements parce que le
système qu’elles essayent de sauvegarder a été
trop loin et ne peut plus reprendre pied. L’affirmer pouvait être
au début téméraire mais devient à force de se
confirmer une banalité.
Deux
grands acteurs émergent du drame actuel, dont leur antagonisme est le
moteur : le gouvernement allemand d’un côté et la BCE de
l’autre, tous les autres étant réduits à la
figuration. Le premier est soumis au sein de sa majorité à une
opposition grandissante à tout soutien renouvelé à la Grèce,
tandis que l’ombre du Conseil Constitutionnel allemand et de sa censure
se profile pour assombrir le décor, dès le 5 juillet prochain,
date du début des auditions destinées à lui permettre de
fixer ensuite les règles d’adoption par le Bundestag des futurs
mécanismes européens de sauvetage financier.
La
seconde continue de freiner des quatre fers vis-à-vis de tout ce qui
pourrait être ressenti par les marchés comme un événement
de crédit – expression anodine des banquiers pour
évoquer le bouillon qu’ils vont prendre – comme par
exemple ce que proposent sans démordre les premiers.
Une
autre lecture complémentaire est possible de cette même
comédie dramatique. Du FDP allemand au Partido
Popular espagnol, du PSD portugais à la
Nouvelle Démocratie grecque (dans l’opposition), un vent
libéral souffle à nouveau sur l’Europe. Il est toujours
question de diminutions des impôts, de coût et de rigidité
du marché du travail ainsi que de rééquilibrage des
comptes sociaux. Ces adeptes ne voient de salut que dans l’incantation.
La même tendance s’observe chez les républicains
américains crispés sur la réaffirmation des recettes
à l’origine même du désastre dont ils
prétendent sortir.
Enfin,
dans la même veine et face aux attaques lui reprochant son
intransigeance, la BCE en est réduite à utiliser les plus
fallacieux arguments, assimilant l’implication des capitaux
privés dans le futur plan de privatisation grec à un partage du
fardeau, alors que ce sera cadeau, vu les circonstances.
Pour
l’avenir et dans l’immédiat occuper la galerie, Vitor Constancio, le
vice-président de la BCE, a proposé pour concrétiser ce
partage la création d’un « Fonds de résolution
de la zone euro » alimenté par les banques, avec pour objet
d’intervenir en cas de crise bancaire ou financière. A cette proposition
très floue correspondent les projets des taxes sur les transactions
financières, en France et peut-être en Allemagne, à
l’initiative conjointe du PSD allemand et du PS français. Rien
qui ne dénoue dans l’immédiat la situation.
Alors,
que se passe-t-il concrètement ? Du jeu du chat et de la souris,
on est passé au bras de fer. Pour y mettre fin, Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, a
choisi une formule éprouvée pour enterrer les problèmes
chauds mais pas pour les résoudre : « Pour trouver une
bonne solution à laquelle la BCE peut souscrire, à laquelle la
BCE doit souscrire, nous avons décidé avec l’Eurogroupe de mettre en place un groupe de travail qui va
analyser la marge de manœuvre entre participation des créanciers
privés et conséquences négatives sur les marchés
financiers ».
L’Allemagne,
gardienne du Temple de la banque centrale et de son indépendance veut
la faire plier, on en est là !
Le
même ministre expliquait juste auparavant qu’il fallait se
hâter, car il n’y aurait bientôt plus de créanciers
privés en possession d’obligations souveraines grecques, les
banques se dépêchant de s’en délester, notamment en
les mettant en pension contre des liquidités à la BCE.
Ce
qui a conduit les mauvais esprits à qualifier cette dernière de
bad bank,
et Jürgen Stark, son chef économiste, à monter au
créneau : « Nous ne sommes ni naïfs ni ignorants des
risques » a-t-il affirmé, reconnaissant que « La
BCE et l’Eurosystème [les banques
centrales nationales] ont pris des risques supplémentaires sur leur
bilan ». Ce qui ne vaut pas démenti pour la bad bank…
Martelant une fois de plus : « Il faut arrêter les
discussions stériles et se consacrer aux vraies questions, appliquer
le programme décidé avec la Grèce »,
c’est à dire s’en tenir aux restrictions
budgétaires et au plan de privatisation.
De
fait, afin de ne laisser place à aucune ambiguïté sur ses
intentions, la BCE annonce resserrer la corde autour du cou des banques et
des gouvernements de la zone des tempêtes en augmentant le taux auquel
elle prête ses liquidités.
C’est
plus tumultueux du côté allemand, en raison de la fronde qui
secoue les groupes parlementaires conservateur et libéral de la
majorité. Le vice-président du groupe parlementaire du FDP,
Jürgen Koppelin, en venant même a envisager la banqueroute de la
Grèce comme une solution préférable à un soutien
financier dont le poids ne serait pas partagé par ses
créanciers privés. L’heure n’est pas au compromis.
Entre
le rééchelonnement volontaire allongeant de 7 ans la
maturité des obligations, avancé par les Allemands, et la
formule d’un « debt
roll-over » – le renouvellement des prêts de plein
gré à l’échéance – accepté par
la Commission de Bruxelles et la BCE, la nuance peut paraître infime et
ne pas justifier une telle bataille au couteau. Le porte-parole d’Olli Rehn a éclairci le
tableau : « En fonction de l’opération qu’on
effectue, les acteurs du marché peuvent considérer que dans une
certaine mesure c’est quelque chose qui ressemble à un
événement de crédit, ce que nous voulons éviter
depuis le début ». Une formule magique est donc
recherchée, quelque part entre les deux, qui a tout du compromis sans
principe de circonstance.
Ralliée
à la solution du « debt
roll-over » – que le Crédit Agricole a
déjà déclaré accepter – la BCE a en
même temps annoncé qu’elle ne se l’appliquerait pas
à elle-même, alors qu’elle est la plus grande
détentrice des obligations grecques. Soit pour les avoir
achetées sur le marché secondaire, soit pour les avoir prises
en pension. Ce qui de facto minore beaucoup la portée de la mesure et
aboutit à donner raison aux Allemands qui veulent une mesure
effective.
Dans
l’immédiat, les taux obligataires à 10 ans grecs et
portugais continuent de monter, atteignant 16,525 % et 10,149 %
respectivement. George Papandréou, le premier ministre grec, continue
de chercher un consensus introuvable et tente d’obtenir le vote par le
parlement du nouveau plan d’austérité, au prétexte
que le versement de la prochaine tranche du prêt déjà
accordé y est conditionné. Une nouvelle grève
générale est prévue le 15 juin prochain.
Tenus
pour justes bons à presser, les Grecs vont finir par peser sur la
décision en ajoutant leur rejet au blocage d’autorités
européennes démunies de stratégie crédible de
sortie de crise. La dynamique que ces derniers impulsent à leur corps
défendant est radicalement inverse.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
article presslib’ » est libre de
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions.
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