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Leur seuil d’incompétence

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Published : June 14th, 2011
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Les situations de crise ont cela d’intéressant qu’elles mettent à nu les mécanismes dans leur réalité, à condition de ne pas affecter de les ignorer. Jour après jour, le feuilleton du second plan de sauvetage européen de la Grèce en est la démonstration, révélant que les autorités européennes ont pour le moins atteint leur seuil d’incompétence.


On pourra s’interroger sur les raisons de leur impuissance, observant que, devant choisir entre deux maux, elles adoptent invariablement le pire. Et qu’elles sont ainsi elles-mêmes les artisans de l’approfondissement d’une crise dont elles ne savent pas se dépêtrer. La conclusion s’imposera : elles sont dépassées par les événements parce que le système qu’elles essayent de sauvegarder a été trop loin et ne peut plus reprendre pied. L’affirmer pouvait être au début téméraire mais devient à force de se confirmer une banalité.


Deux grands acteurs émergent du drame actuel, dont leur antagonisme est le moteur : le gouvernement allemand d’un côté et la BCE de l’autre, tous les autres étant réduits à la figuration. Le premier est soumis au sein de sa majorité à une opposition grandissante à tout soutien renouvelé à la Grèce, tandis que l’ombre du Conseil Constitutionnel allemand et de sa censure se profile pour assombrir le décor, dès le 5 juillet prochain, date du début des auditions destinées à lui permettre de fixer ensuite les règles d’adoption par le Bundestag des futurs mécanismes européens de sauvetage financier.


La seconde continue de freiner des quatre fers vis-à-vis de tout ce qui pourrait être ressenti par les marchés comme un événement de crédit – expression anodine des banquiers pour évoquer le bouillon qu’ils vont prendre – comme par exemple ce que proposent sans démordre les premiers.


Une autre lecture complémentaire est possible de cette même comédie dramatique. Du FDP allemand au Partido Popular espagnol, du PSD portugais à la Nouvelle Démocratie grecque (dans l’opposition), un vent libéral souffle à nouveau sur l’Europe. Il est toujours question de diminutions des impôts, de coût et de rigidité du marché du travail ainsi que de rééquilibrage des comptes sociaux. Ces adeptes ne voient de salut que dans l’incantation. La même tendance s’observe chez les républicains américains crispés sur la réaffirmation des recettes à l’origine même du désastre dont ils prétendent sortir.


Enfin, dans la même veine et face aux attaques lui reprochant son intransigeance, la BCE en est réduite à utiliser les plus fallacieux arguments, assimilant l’implication des capitaux privés dans le futur plan de privatisation grec à un partage du fardeau, alors que ce sera cadeau, vu les circonstances.


Pour l’avenir et dans l’immédiat occuper la galerie, Vitor Constancio, le vice-président de la BCE, a proposé pour concrétiser ce partage la création d’un « Fonds de résolution de la zone euro » alimenté par les banques, avec pour objet d’intervenir en cas de crise bancaire ou financière. A cette proposition très floue correspondent les projets des taxes sur les transactions financières, en France et peut-être en Allemagne, à l’initiative conjointe du PSD allemand et du PS français. Rien qui ne dénoue dans l’immédiat la situation.


Alors, que se passe-t-il concrètement ? Du jeu du chat et de la souris, on est passé au bras de fer. Pour y mettre fin, Wolfgang Schaüble, le ministre allemand des finances, a choisi une formule éprouvée pour enterrer les problèmes chauds mais pas pour les résoudre : « Pour trouver une bonne solution à laquelle la BCE peut souscrire, à laquelle la BCE doit souscrire, nous avons décidé avec l’Eurogroupe de mettre en place un groupe de travail qui va analyser la marge de manœuvre entre participation des créanciers privés et conséquences négatives sur les marchés financiers ».


L’Allemagne, gardienne du Temple de la banque centrale et de son indépendance veut la faire plier, on en est là !


Le même ministre expliquait juste auparavant qu’il fallait se hâter, car il n’y aurait bientôt plus de créanciers privés en possession d’obligations souveraines grecques, les banques se dépêchant de s’en délester, notamment en les mettant en pension contre des liquidités à la BCE.


Ce qui a conduit les mauvais esprits à qualifier cette dernière de bad bank, et Jürgen Stark, son chef économiste, à monter au créneau : « Nous ne sommes ni naïfs ni ignorants des risques » a-t-il affirmé, reconnaissant que « La BCE et l’Eurosystème [les banques centrales nationales] ont pris des risques supplémentaires sur leur bilan ». Ce qui ne vaut pas démenti pour la bad bank… Martelant une fois de plus : « Il faut arrêter les discussions stériles et se consacrer aux vraies questions, appliquer le programme décidé avec la Grèce », c’est à dire s’en tenir aux restrictions budgétaires et au plan de privatisation.


De fait, afin de ne laisser place à aucune ambiguïté sur ses intentions, la BCE annonce resserrer la corde autour du cou des banques et des gouvernements de la zone des tempêtes en augmentant le taux auquel elle prête ses liquidités.


C’est plus tumultueux du côté allemand, en raison de la fronde qui secoue les groupes parlementaires conservateur et libéral de la majorité. Le vice-président du groupe parlementaire du FDP, Jürgen Koppelin, en venant même a envisager la banqueroute de la Grèce comme une solution préférable à un soutien financier dont le poids ne serait pas partagé par ses créanciers privés. L’heure n’est pas au compromis.


Entre le rééchelonnement volontaire allongeant de 7 ans la maturité des obligations, avancé par les Allemands, et la formule d’un « debt roll-over » – le renouvellement des prêts de plein gré à l’échéance – accepté par la Commission de Bruxelles et la BCE, la nuance peut paraître infime et ne pas justifier une telle bataille au couteau. Le porte-parole d’Olli Rehn a éclairci le tableau : « En fonction de l’opération qu’on effectue, les acteurs du marché peuvent considérer que dans une certaine mesure c’est quelque chose qui ressemble à un événement de crédit, ce que nous voulons éviter depuis le début ». Une formule magique est donc recherchée, quelque part entre les deux, qui a tout du compromis sans principe de circonstance.


Ralliée à la solution du « debt roll-over » – que le Crédit Agricole a déjà déclaré accepter – la BCE a en même temps annoncé qu’elle ne se l’appliquerait pas à elle-même, alors qu’elle est la plus grande détentrice des obligations grecques. Soit pour les avoir achetées sur le marché secondaire, soit pour les avoir prises en pension. Ce qui de facto minore beaucoup la portée de la mesure et aboutit à donner raison aux Allemands qui veulent une mesure effective.


Dans l’immédiat, les taux obligataires à 10 ans grecs et portugais continuent de monter, atteignant 16,525 % et 10,149 % respectivement. George Papandréou, le premier ministre grec, continue de chercher un consensus introuvable et tente d’obtenir le vote par le parlement du nouveau plan d’austérité, au prétexte que le versement de la prochaine tranche du prêt déjà accordé y est conditionné. Une nouvelle grève générale est prévue le 15 juin prochain.


Tenus pour justes bons à presser, les Grecs vont finir par peser sur la décision en ajoutant leur rejet au blocage d’autorités européennes démunies de stratégie crédible de sortie de crise. La dynamique que ces derniers impulsent à leur corps défendant est radicalement inverse.





Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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