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Alors
que les ministres des finances et banquiers centraux du G20 sont
réunis à Paris pour tenter de sauver le prochain sommet de
Cannes, une certitude se confirme : telle qu’elle est combattue, la crise
européenne n’a pas d’issue. Depuis des mois et des mois,
les obstacles tardivement dressés sur sa route ont été
à chaque fois balayés ; les autorités européennes
sont plus que jamais dépassées, car ce sont à la fois
les banques et les États qu’il faut désormais conforter.
Le constat est donc simple à dresser, à lire leurs propres
déclarations… ou à enregistrer leur silence.
Les
mégabanques ne s’y réfugient
pas, pour le moins, qui mènent en Allemagne et en France une bataille
ouverte contre leur recapitalisation, comme l’on n’en a jamais
vue. À Berlin, cela prend la dimension d’une véritable
révolte. On se souvient, à ce propos, que Christine Lagarde,
qui connaît son monde, avait précisé que celle-ci devait
être obligatoire, c’est à dire imposée si
nécessaire. Faudrait-il donc sauver les banques malgré elles,
en finit-on par se demander ?
Une
autre interprétation peut être donnée de cette situation ubuesque.
Ne voulant pas être recapitalisées, les banques veulent porter
un coup d’arrêt à des restructurations de dette à
répétition qui ne sont plus le tabou qu’elles ont
été et qui les menacent, n’étant pas non plus
prêtes à accepter que l’on mette le nez dans leurs
affaires. Frédéric Oudéa, Pdg de la Société Générale,
vient de tenir à cet égard un raisonnement éclairant
mais inquiétant : « à quoi servira, a-t-il dit,
d’injecter quelques milliards dans les banques si l’Italie venait
à faire défaut, car cela ne serait pas suffisant », se
réfugiant par ailleurs dans l’affirmation que « le risque
sur l’Italie n’est pas avéré » ? Mais que
faire alors s’il le devient ?
Les
affrontements en cours vont être l’occasion, une fois connu leur
dénouement, de mieux apprécier la toute puissance des banques,
habituées à ce que leur avis soit écouté et suivi
sans discuter.
Raison
pour laquelle on peut craindre que les autorités européennes
placent comme de coutume les curseurs selon des critères
biaisés et finalement arrangeants. De Berlin à Paris, on entend
déjà qu’il faudra agir… là où le
besoin se fera sentir. Amenant, si l’on veut aller au fond de la
question, à s’interroger sur le sens que peut bien avoir un
pansement, s’il n’est pas suivi du traitement intensif des causes
profondes de la fragilité constatée.
Goldman
Sachs vient à son tour de rendre public des simulations, qui
aboutissent à des besoins de recapitalisation des banques
européennes de 298 milliards d’euros. Les hypothèses de
départ sont intéressantes à connaître :
décotes de 60% sur les titres grecs, 40 % sur les irlandais et
portugais, 20 % sur les espagnols et les italiens, en utilisant un ratio de 9
% des fonds propres durs et les hypothèses de dégradation
macro-économiques des précédents stress tests. 68
banques sur 91 échoueraient à des tests menés dans ces
conditions, dont les principales banques allemandes et françaises.
Ce
qui est valable pour les banques va aussi l’être pour les
États. L’échec du plan A était déjà
patent depuis des semaines, mais il se confirme que non seulement les
autorités sont incapables de concevoir un plan B, mais aussi
qu’elles vont enfanter dans la douleur d’un simulacre de plan
A’, bricolé à la hâte pour tenter de
l’afficher à Cannes. Comme on le sait, l’objectif est de
trouver un levier pour augmenter la capacité d’intervention
financière du FESF, afin d’empêcher l’Italie et
l’Espagne de tomber dans le trou, car ce serait la fin de tout. On
parle d’une assurance par le FESF garantissant certaines
émissions obligataires à hauteur de 20 %, dans
l’intention de couvrir d’éventuelles pertes ne
dépassant pas cet ordre de grandeur, afin de rassurer les
investisseurs. C’est mince.
Pendant
ce temps-là, tels des rouleaux compresseurs, les mesures de rigueur
budgétaire créent dans les pays qui les empilent
allègrement – Royaume-Uni, Espagne, Portugal et Grèce
– une détérioration de la situation sociale
impressionnante, désespérée et parfois explosive. Sans
pour autant aboutir à la réduction poursuivie des
déficits publics, en raison de leurs effets sur la croissance et par
ricochet sur les recettes fiscales.
La
Grèce est progressivement paralysée par les grèves qui
se multiplient dans tous les secteurs, ainsi que par des actes de
désobéissance civile et d’occupation de
ministères. Les salariés sont pris en étau entre la
diminution de leur revenu et l’augmentation des impôts et taxes.
La Troïka en est venue à exiger la diminution du salaire
minimum, au prétexte qu’il est plus élevé
qu’en Espagne, au Portugal et dans les pays de l’Europe de
l’Est.
Utilisant
une expression particulièrement adaptée à la situation,
Klaus Regling, le directeur du FESF, a
estimé que la Portugal pourrait devenir une « success story », au moment même où le
gouvernement présentait son projet de budget 2012, annonçant,
« au nom de l’urgence nationale », la suppression
temporaire des 13 et 14éme mois pour les fonctionnaires et
retraités dont les revenus dépassent 1.000 euros mensuels, la
contrepartie accordée en raison de bas salaires. Ainsi qu’une
hausse des taux intermédiaires de la TVA et des coupes dans le budget
de la santé et de l’éducation. Afin de l’aider, et
sur le mode de ce qui a déjà été
réalisé pour la Grèce, la Commission va constituer une
« task force » chargée de mettre
le pays sous surveillance et sous contrôle.
Prise
dans le même tourbillon, l’Espagne va rater son objectif de
réduction du déficit et Standard & Poor’s,
après Fitch, la dégrade, tandis que
le programme de privatisation connaît un nouveau coup
d’arrêt. Tout s’en mêle : les 17 régions ne
contiennent pas leur déficit, les banques sinistrées ne
trouvent pas acquéreurs, la croissance n’est pas au rendez-vous
comme annoncé et le chômage atteint officiellement le taux de 21
%. Sans compter que le secteur bancaire est envahi d’actifs
hypothécaires et de crédits accordés aux promoteurs
immobiliers que l’on fait rouler faute de pouvoir obtenir leur remboursement.
Selon
l’OCDE, l’Irlande donne « des signes encourageants de
reprise », une croissance de 1,2 % étant attendue en 2011.
« Des progrès satisfaisants sont réalisés dans la
réduction du déficit public, mais il faut faire beaucoup plus
», estime-t-elle sans surprendre, considérant ses « atouts
structurels (…), un environnement favorable aux entreprises [une
fiscalisation avantageuse maintenue contre vents et marées], la
flexibilité du marché du travail et une main d’œuvre
qualifiée ».
En
Italie, la croissance s’est affaiblie comme presque partout, tandis que
d’après la Banque d’Italie plane la menace d’un
resserrement du crédit, les banques tentant ainsi
d’améliorer le ratio de leurs fonds propres par rapport à
leurs engagements. À son tour, le pays s’engage dans une spirale
récessive tandis que l’inflation continue de monter.
Hors
zone euro, mais en dépendant totalement, la stagflation est
déjà installée au Royaume-Uni, dont 40 % des
exportations sont dirigées vers l’eurozone,
en baisse en dépit de la dévalorisation de la livre sterling
qui ne joue donc pas son effet. Il en était attendu le contraire, afin
de compenser les conséquences de l’austérité et de
la baisse de la consommation intérieure. Selon une étude de
l’Institute for Fiscal Studies, 600.000 enfants
supplémentaires vont entrer dans la pauvreté entre 2009 et
2012, du fait d’une baisse moyenne des revenus de 7 % sur la même
période, sans équivalent depuis 35 ans, alors que
l’inflation atteint presque 5 % et que les allocations sociales ont
été diminuées.
Mais
il serait erroné de croire que l’Allemagne et la France sont
épargnées. Les prévisions de croissance sont à
nouveau diminuées en Allemagne, passant pour 2012 de 2 % initialement
à 0,8 %. La demande intérieur est
incertaine tandis que les exportations, moteur traditionnel, sont à la
baisse après un feu de paille dû au rattrapage. Elles subissent
le contrecoup de la récession ou de la faible croissance des pays
européens, leur premier débouché. Un resserrement du
crédit est également craint, phénomène
général à toute la région.
En
France, la croissance devrait être de 1 % maximum en 2012, en chute par
rapport à cette année (1,6 %), impliquant l’adoption de
nouvelles mesures de rigueur, une fois le cap des élections
présidentielles passé.
Puisque
l’on ne peut pas l’ignorer, que peut-on attendre du prochain G20
? Des discussions à propos de la taxe sur les transactions
financières, qui permettront à ceux qui l’auront
défendue de reporter sur les autres la faute du fait qu’elle ne
soit pas adoptée. De vague déclarations tarabiscotées
sur la réforme à venir du système monétaire
international, qui n’iront pas jusqu’à proposer un
calendrier, et l’adoption d’un « code de bonne conduite
» pour gérer les flux de capitaux perturbant
l’économie des pays émergents, faisant ainsi de
nécessité vertu. Ainsi que des généralités
sur la relance économique, auxquels les pays disposant
d’excédents vont être invités à contribuer,
les autres se consacrant à la « consolidation budgétaire
». À propos de la stabilisation de la zone euro, on entendra les
pays du BRICS proposer de participer à une recapitalisation du FMI,
afin que celui-ci continue d’y prendre toute sa part. Y voyant une
opportunité de prendre les États-Unis, qui ne veulent pas cotiser,
à contre-pied et de justifier leur montée en puissance au sein
du Fonds. Tout cela est maigre.
Billet
rédigé par François Leclerc
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