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Les
idées libérales n'ont pas bonne presse. N'en déplaise
à Rémi
Godeau, rédacteur en chef de l'Opinion, qui jugeait les
Français « libéraux malgré eux »
suite à un sondage de l'Ifop il y a quelques mois, les propos tenus
durant la dernière campagne présidentielle par Mathieu Laine,
auteur du très remarqué Dictionnaire du Libéralisme,
sont toujours valables aujourd'hui : non seulement les Français
se méfient du libéralisme, mais les libéraux, « parfois
réducteurs et même maladroits », ont leur part de
responsabilité dans l'affaire.
Et c'est bien
là le problème. Car loin de déghettoïser la
critique libérale, certains promoteurs de l'initiative privée
confortent ses détracteurs dans la croyance qu'en matière
économique, la liberté ne profite qu'aux nantis. Erreur
monumentale, mais compréhensible. Ceux-là mêmes qui
imputent le chômage de masse au règne de l'État-providence
ne résistent pas toujours à la tentation de faire du
chômeur le premier responsable de sa situation. Manifestement, si dans
cet enfer socialiste décrit par les libéraux l'entrepreneur
n'est pas assez libre pour entreprendre, le chômeur l'est suffisamment
pour trouver un emploi.
Du point de
vue libéral, certes, ce n'est pas tout à fait absurde. C'est un
fait que le modèle social français dissuade les uns d'embaucher
et les autres de prendre un emploi. En outre, ces deux entraves –
à l'emploi d'un côté, à l'activité de
l'autre – ne sont pas de même nature : on ne peut reprocher
à une entreprise d'employer 50 salariés plutôt que 70,
mais on reproche volontiers au chômeur de ne pas accepter n'importe
quel job lui permettant de « sortir de l'assistanat ».
On dira que
cette critique libérale de la sécurité sociale n'oppose
pas le patron au travailleur, mais le travailleur au profiteur, et que les
vices privés faisant la vertu publique n'inclut pas la paresse du
chômeur, qui est certes un vice privé, mais
« financé » par l'argent du contribuable. La
vérité est plus complexe. En effet, cette critique du profit
sur le dos de la collectivité épargne soigneusement le reste de
la société en prêtant aux seuls chômeurs et
fonctionnaires des comportements observables aussi bien chez les dirigeants
d'entreprise et les honnêtes travailleurs sûrs de leurs
mérites. Les libéraux citant Frédéric Bastiat
à tout bout de champ feraient bien de relire leur maître, qui
définissait l'État comme « la grande fiction à
travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout
le monde ». Pas seulement le cheminot en grève ou le
chômeur en série : tout le monde.
Aussi
sûr que certains chômeurs ne font pas tout leur possible pour
résorber le trou de la sécu, de nombreux employeurs font valoir
leur éligibilité à des aides dont ils pourraient se
passer. Mais le malheur des profiteurs « du bas » est
d'avoir la gueule de l'emploi : malgré leurs grands principes,
les libéraux sont loin d'avoir pour l'employeur profiteur ou l'honnête
travailleur faisant chauffer sa carte vitale la même rancœur
que celle du chômeur assisté.
Bien
sûr, dans le jardin d'Eden de la théorie, le libéralisme
n'est pas cette riposte idéologique de l'ordre social contre
ses laissés-pour-compte que dénoncent les
panégyriques du « modèle
français ». Reconnaissons du moins qu'en pratique, il n'y a
pas de fumée sans feu.
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