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En 2013, puis en 2014 lorsque les questions du Taper et de la
normalisation de la politique monétaire ont été évoquées, les grands noms de
la Banque mondiale , les patrons de JP Morgan, Citi , Goldman se sont émus.
Ils ont évoqué avec un bel ensemble le problème de la liquidité des marchés,
en particulier obligataires. Ils l’ont évoquée pour se plaindre bien entendu
de son insuffisance; les marchés sont trop étroits et trop peu profonds
disaient ils. Ils accusaient les régulations.
A cette époque, la question semblait simplement technique, et bien peu
parmi les analystes et les commentateurs y ont prêté attention.
Je revisite cette question de la liquidité, la question des
liquidités, et celle de la valeur. Et je soutiens que ce n’est pas une
question technique, c’est une question fondamentale , nous sommes en
l’évoquant au plus profond du nouveau système financier et monétaire mondial.
Nous sommes à la racine de la Valeur et du dirigisme de la Valeur.
J’ai souvent développé l’idée que la crise, c’est quand les évolutions
cessent d’être linéaires, progressives, dérivables; la crise c’est quand la
rupture intervient. Une crise, concrètement, cela prend l’image d’un trou. Au
lieu d’une succession d’une infinité de points qui s’adaptent, qui collent à
la réalité eh bien la crise c’est la cassure: les points cessent de se
succéder les uns près des autres, de façon ordonnée et on passe dans le
discontinu.
Quand l’adaptation quotidienne, en continu entre les abstractions, les
idées, les marchés, les prix, les pratiques, les processus ne se fait
pas alors, un jour les ajustements se produisent et ils le font brutalement.
La marche du monde est fondée sur le Développement Inégal (et son
exploitation capitaliste) et c’est la raison, c’est la cause pour laquelle
les crises sont récurrentes.
Le dirigisme par exemple est le moyen de s’opposer aux ajustements
spontanés, quotidiens, il se finit toujours par une crise: témoin l’URSS.
Bien que marxiste en théorie, l’URSS a longtemps nié la Loi de la Valeur,
faussé le système des prix lequel n’est que le système qui « réalise »
les préférences des gens, elle a cru pouvoir y échapper, vivre dans un
système de prix faux, et cette Loi de la Valeur s’est imposée
brutalement, par l’effondrement total.
La Chine est moins stupide, elle a un secteur ouvert donc exposé à la Loi
de la Valeur et un secteur dirigiste; et une partie des dirigeants, surtout à
la PBOC, voudraient que progressivement, pour réduire les risques de
crise, on ouvre plus, on libéralise.
Les banquiers centraux sont des dirigistes; ils prétendent réguler
les taux d’intérêt c’est à dire la pénalité que les hommes historiquement,
psychologiquement et socialement imposent au futur, ils fixent le prix qui
est le moins susceptible de manipulation!
Pour le fixer ils sont obligés de diriger, de mettre des
béquilles, des interdits, des mensonges; ainsi ils créent de la monnaie vraie
et fausse, inventent des théories fausses, enfument.
Les banquiers centraux renouvellent l’expérience soviétique en
tirant parti de des mouvements de la modernité vers l’abstraction et le soft,
en prétendant s’opposer à la déflation qui découle du progrès des
techniques, en s’opposant aux disparitions d’entreprises non adaptées
etc. Les hommes eux mêmes en s’opposant à la disparition de
tout ce qui est inadapté, produisent les crises. Les banquiers
centraux n’échappent bien sur pas à la Loi de la Valeur, c’est à dire à
l’équivalent de la Loi de la Pesanteur en économie et un jour, tout va
s’effondrer, comme le système soviétique.
Et cela prendra encore une fois l’apparence, le mode d’apparaître d’une
crise de liquidité: ce sera le trou. Il n’y aura pas de contrepartie
parce que personne ne croira plus aux fausses valeurs. Le monde moderne s’est
installé dans la déconnexion des valeurs, dans la frivolité de la valeur et
un jour il n’y aura plus personne pour croire à ces valeurs. Fausse
monnaie, fausses valeurs, fausses paroles, faux écrits, bref Faux Monnayeurs
dans tous les sens du terme.
Quand un invariant, quand quelque chose que l’on croyait stable et acquis,
vient à lâcher les comportements que l’on pensait stables se modifient. Tout
lâche de proche en proche car nous avons organisé la fongibilité, la
contagion. . Et quand cela lâche, les données changent , les raisons pour
lesquelles on trouvait un acheteur , une contrepartie, la liquidité donc, eh
bien ces raisons disparaissant les acheteurs aussi disparaissent. S’agissant
de l’argent ou du quasi-argent, de la fortune, tout cela s’envole au paradis
de la monnaie.
En ce sens on comprend mieux la crise des subprime hypothécaires comme
rupture d’un invariant, cet invariant, c’est la croyance dans la hausse
perpétuelle des prix de l’immobilier. Quand on a vu chuter les prix de
l’immobilier en 2006 , puis 2007, on a compris qu’ils ne monteraient pas
jusqu’au ciel, et le « on », les acheteurs ont disparu.
On peut aussi proposer un degré supérieur de sophistication dans l’analyse
de la crise: c’est quand l’illusion que l’on pouvait toujours trouver à se
refinancer sur le marché de gros du refinancement s’effondre que la crise
arrive. Tout se bloque, c’est le vide. Les demandeurs de liquidités sur le
marché des « repos » sur l’eurodollar à Londres ,
s’aperçoivent qu’il n’y a plus rien. La liquidité s’est envolée.
évaporée.
Je pense que vous commencez à comprendre la notion de valeur et celle de
liquidité: elles sont inextricablement liées. Dans le monde moderne ou mieux
post-moderne.
C’est pour cela que l’on ne peut pas répondre aux questions qu’est ce que
la liquidité ou les liquidités: elles ne sont pas créées par la Banque
Centrale , elles résultent du bon fonctionnement des marchés. Elles résultent
des comportements et des désirs, des peurs. Des appétits. Les banques
centrales, elles, ne créent que des liquidités potentielles, palliatives qui
peuvent ou non prendre vie selon que les gens y croient ou pas. Changer des
chiffres dans des livres de comptes n’est efficace que si les gens, modifient
leur comportement en conséquence, si ils y croient, si ils croient en
l’illusion. C’est la question de la transmission, cela marche ou cela ne marche
pas.
L’un des gouverneurs de la Fed en 2009 est allé plus loin quand il a dit:
« la liquidité je ne sais pas ce que c’est , mais je pense
que cela a à voir avec la croyance que l’on peut vendre plus cher que
l’on a acheté ».
Et ce gouverneur place la liquidité là ou elle doit être placée; dans la
tête des opérateurs. Dans la croyance. Il la place aussi dans l’illusion,
l’illusion que l’on peut toujours vendre plus cher. L’illusion que les arbres
peuvent monter jusqu’au ciel. La liquidité ne subsiste que tant qu’un marché
est haussier, tant que la croyance que l’on peut vendre plus haut subsiste,
résiste, domine.
La crise, autrement dit, c’est quand la liquidité disparaît. Autrement
dit, c’est quand le consensus sur la valeur disparaît.
Est ce que la liquidité est le signe, l’indication d’un marché sain? C’est
douteux car on ne voit pas pourquoi les opérateurs agiraient sainement,
rationnellement! Rien n’autorise à le croire, au contraire puisque nous
sommes dans des phénomènes de foules, dans des manifestations de
l’engouement, autrement dit des « animal spirits », autrement dit
de l’irrationnel.
La liquidité est le baromètre de l’appétit pour le jeu, de l’appétit pour
le risque, c’est le baromètre de l’envie, du « greed ».
En sens inverse la disparition de la liquidité est le signal que cet
appétit se réduit. Quand on a faim on mange tout, quand on a moins
faim, on chipote. Le signal peut concerner l’ensemble des éléments qui
composent l’univers du jeu ou une partie simplement. En cas de perte d’appétit
on peut manger moins ou devenir sélectif, ne manger que ce que l’on préfère,
devenir exigeant, faire le difficile. Donc la baisse d’appétit, on s’en
aperçoit plus ou moins. La liquidité doit s’apprécier à la fois dans
l’ensemble et dans les divergences de comportement des éléments de
l’ensemble. Les divergences c’est la disparition de l’unanimité.
Les fondements de l’investissement sont normalement la rentabilité
et la solvabilité. On achète des actions parce que l’entreprise est rentable
et on souscrit des obligations parce qu’elle est solvable. Le dirigisme a
consisté à faire disparaître ces fondements à créer un appétit par défaut; on
n’achète plus les actions et les obligations en vertu de
leurs mérites mais en fonction de la comparaison avec autre chose. On a
supprimé l’attrait de tous les placements afin de canaliser , de diriger par
un entonnoir toutes les ressources vers ces actifs financiers. Peu à peu les
mérites des actions et des obligations ont été escamotés. C’est d’ailleurs la
raison de la vogue des ETF et autres gestions passives; à quoi sert d’être
actif et intelligent si la performance vient d’ailleurs que de soi et de
sa capacité à apprécier les mérites? La passion rapporte plus que l’action.
On a remplacé les fondements des marchés par une mécanique. Cette
mécanique a transmuté les actifs financiers et l’acte d ‘investir. Le moteur
de l’investissement c’est le momentum, c’est à dire non pas
l’appréciation de la valeur, mais la croyance en la magie des tendances.
La croyance que comme cela a monté beaucoup et longtemps et défié toute
rationalité , cela va continuer. Le momentum et la croyance dans le momentum,
c’est la magie de la tendance. C’est l’institution d’un invariant, d’une
continuité miraculeuse: la Tendance.
Les réflexions les plus sophistiquées ne portent plus sur la valeur des
actifs mais sur la détection. Toute la recherche est fondée sur ce Graal:
détecter. Détecter quoi? Mais détecter le « Top » bien sur c’est a
dire le moment ou il faudra vendre.
On a remplacé les fondements de l’investissement à savoir la rentabilité
et la solvabilité par une seule chose : la vendabilité. C’est un
barbarisme que je crée pour indiquer que l’acte d’investir n’est plus fondé
sur la responsabilité, sélection, appréciation de la rentabilité et de la
solvabilité, mais qu’il est fondé sur la capacité à vendre avant les autres,
d’où le terme, le vendabilité. La capacité à trouver
contrepartie. On a transformé la rentabilité et le risque de défaut en risque
de liquidité. Risque de ne pas trouver d’acheteur. L’ennui comme le dit
cyniquement Bernanke, c’est que toutes les actions émises , toutes les
obligations doivent être détenues par quelqu’un et donc la ruine de toute une
classe de gens est écrite. Mais c’est une autre histoire.
C’est cela le pouvoir miraculeux des banques centrales et je ne me
trompe pas quand je dis que ce sont des alchimistes, ils ont transmuté
deux fondements objectifs en une seule qualité, la liquidité. Les
marchés ont muté, la conditionnalité des valeurs qui était auparavant la
rentabilité et la solvabilité est devenue besoin inconditionnel, coûte que
coûte de la liquidité .
Et c’est tout le sens de la modernité financière: la croyance au
« PUT » (l’option de vente) , c’est dire la croyance que toujours
la liquidité sera là, fournie par une contrepartie: les banques centrales.
Bruno
Bertez
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