Peu importe ce qu’on pense de l’actuelle ministre du Chômage, force est d’admettre qu’elle n’a laissé personne de marbre avec la loi qui, si elle est un jour votée, portera peut-être son nom. Je dis « si », parce qu’à mesure que la polémique enfle, on peut légitimement se demander dans quel état la loi et la ministre se présenteront dans les prochaines semaines devant l’Assemblée pour le vote.
Tout avait pourtant commencé … mollement. On se souvient de l’arrivée d’un Emmanuel Macron présenté comme turbolibéral par les incultes habituels, et le vote d’une loi à son nom qui, tout compte fait, réussissait la prouesse de libérer un peu la desserte de cars dans les régions. Il est assez peu probable que les 1300 emplois créés dans le foulée soient responsables du petit ralentissement observé dernièrement dans la hausse du chômage, mais reconnaissons à l’initiative d’avoir malgré sa grande timidité donné une indication claire pour le pays : oui, retirer des contraintes, libérer des secteurs de l’emprise étatique ou monopolistique permet bien de créer des emplois, n’en déplaise à Gérard Filoche.
Lorsqu’El Khomri a débarqué avec son projet de loi, on pouvait donc raisonnablement s’attendre à deux choses : d’une part, compte-tenu de l’expérience Macron, un petit pas pouvait être fait dans la bonne direction. D’autre part, on savait que tout ce que le pays compte de tenants d’un immobilisme d’airain se lèverait comme un seul homme pour la combattre, de la même façon qu’on eut le droit à toutes les manœuvres possibles pour saboter la loi Macron et la dissoudre dans le corps syndical français (avec un certain succès, il faut dire).
Bien sûr, la notion même de « petit pas en avant » est hautement débattable, et le débat est d’ailleurs largement ouvert ; citons au passage la tribune dans le Monde d’un collectif composé d’économistes inexplicablement pas issus des sérails habituels où régulièrement la fine fleur trotskiste branlouille de la rhétorique pour casser des briques, collectif qui se permet le toupet de noter quelques points positifs au projet d’El Khomri, ce qui démontre au passage une belle inconscience pour la carrière de ses membres. Concernant Tirole, qui en fait partie et qui est maintenant vilipendé par une presse outrée de sa position favorable, on pourra penser que son Nobel lui accorde un certain détachement, je présume…
Et bien évidemment, ce petit « pas en avant » s’entend pour un gouvernement qui n’a jamais fait la preuve de la moindre initiative réelle, et qu’en terme de réforme, tous ses efforts se sont toujours traduits par une réduction palpable des libertés et une augmentation (parfois explosive) de la paperasserie, de la complexité bureaucratique et, bien sûr, de la ponction fiscale.
Autrement dit, on se doit d’observer la plus grande prudence au sujet de cette loi, tant son parcours apparaît déjà complètement miné.
En outre, et c’est encore plus symptomatique de l’état du pays, la polémique qui s’est installée ressemble de plus en plus à une magnifique bataille d’infirmes où une impressionnante brochette de collectivistes, c’est-à-dire des gens pas équipés pour réfléchir, tentent d’expliquer ce qu’il faudrait faire (ou ne pas faire) au gouvernement, c’est-à-dire des gens pas équipés pour écouter. Des idiots qui crient à des sourds, voilà qui promet quelques moments décibels.
Il n’y a en effet aucun doute à avoir : comme l’évoque Nathalie MP en conclusion d’un récent billet, la liste de ceux qui s’opposent au projet en dit très long sur la bataille avant tout idéologique qui se livre ici. Bien qu’étant au XXIème siècle, tout indique en effet que cette loi a été conçue dans le cadre de la lutte des classes, qu’elle a été analysée par les syndicats, les politiciens et une partie des salariés dans le cadre de la lutte des classes, et elle est donc combattue dans le cadre de la lutte des classes.
Pas étonnant, dès lors, de trouver de tels cris d’orfraie de la part de toute une partie de la société, à commencer par celle qui a toujours été en pointe dans la lutte pour un accroissement de la collectivisation du pays. Pas étonnant de trouver la joyeuse troupe de l’UNEF embringuée dans cette nouvelle lutte, de Caroline de Haas et sa pétition au millions d’e-mails non vérifiés (ah, le bonheur simple d’utiliser des e-mails « jetables » sur yopmail.com ou jetable.org !) jusqu’aux éternels étudiants à l’instar de William Martinet qui fait absolument tout pour suivre les traces baveuses de Bruno Julliard (ou tant d’autres avant lui), exfiltré sans mal de l’UNEF pour pouvoir grenouiller sous les ors de la République à la Mairie de Paris.
Au passage, on ne pourra s’empêcher d’avoir une pensée émue (ou au moins, amusée) pour ces étudiants, ces salariés, ces syndiqués « conscientisés » qui défileront, banderoles en main, pour être sûrs que rien ne change et qui, quelques années plus tard dans une France devenue le Venezuela de l’Europe, pleureront parce qu’effectivement, rien n’a changé.
Car oui, grâce à une fuite en avant forcenée dans la déresponsabilisation des individus, par un capitalisme de connivence galopant qui infuse maintenant toute la société, par l’inscription autoritaire de chaque salarié et de chaque patron dans une lutte des classes aussi artificielle qu’obligatoire, on a depuis bien longtemps troqué le Code de l’Honneur contre celui du Travail. Tout y semble mieux défini, plus proprement rangé dans une myriade de petites cases dans laquelle chacun sait qu’il doit tomber pour répondre aux exigences du législateur, des syndicats, des administrations et des politiciens. Au passage, cela explique très bien pourquoi, au pays des Droits de l’Homme et de la « Liberté guidant le Peuple », les Français sont les salariés les moins heureux au travail.
J’ai écrit il y a plusieurs mois déjà, lorsqu’El Khomri abordait le sujet de cette loi, qu’elle présentait déjà tous les signes du renoncement total à toute réforme. Je l’ai réécrit au moment où la polémique à commencé à enfler, les premiers jets de cette loi fuitant « inopinément » dans la presse. Et finalement, peu importe la valeur de cette loi : elle est devenue, presqu’instantanément, ce qu’il faut abattre dans la partie jacassante de l’opinion.
Dès lors, soyons lucide et rendormons-nous : il n’y aura pas de réforme. Le cirque continue exactement comme prévu, et la France, définitivement calcifiée, va donc inexorablement continuer à produire assistanat, chômage et misère.
Ce pays est foutu.