Jean-Eudes n’a vraiment pas de chance. En quelques années, sa vie a basculé dans l’enfer : il est homéo-sensible. À la suite d’une overdose carabinée d’homéopathie, son corps ne supporte plus le moindre principe actif et Jean-Eudes doit donc, pour survivre, débarrasser ce qu’il mange ou boit de la moindre trace de goût, d’odeur, de saveur, et ne se nourrir exclusivement que de cellulose. Heureusement, l’État français est venu à son secours et lui a octroyé une aide matérielle pour lui permettre d’acheter le matériel nécessaire aux délicates opérations de filtrage et de nettoyage qu’il emploie sur son tofu bio déminéralisé.
Grotesque ? Pas tant que ça. À mesure que la Science progresse et permet à l’Humanité de s’extraire un peu plus tous les jours de l’ignorance et de la stupidité, l’Univers s’ingénie à produire des spécimens toujours plus compacts, plus résistants et plus nombreux de collectivistes joyeux dont le but ultime semble être de dépenser, vaille que vaille, l’argent des autres, et de préférence pour les causes les plus absurdes possibles. Et j’en veux pour preuve le cas à la fois récent et à vrai dire franchement préoccupant de la maison départementale des personnes handicapées de l’Essonne, qui a jugé bon d’accorder une aide financière à un homme de 32 ans souffrant d’électrosensibilité. L’affaire n’avait à l’époque déclenché qu’un intérêt moyen dans la presse. Elle rebondit cependant avec le communiqué de presse de l’Académie de Médecine qui tente de remettre un peu d’ordre dans le salmigondis gluant qu’est devenue cette fumisterie.
En substance donc, nous avons d’un côté Jonathan (le prénom n’a pas été changé), qui est chimiste, aujourd’hui en arrêt maladie, et qui se protège en se couvrant le visage d’un tissu avec un maillage de fil d’argent enrobé de polyuréthane, parce que cela permettrait de filtrer les champs électromagnétiques. Oui, vous avez bien lu, le type se protège sous une burka-magnétique.
Tout a commencé alors qu’il travaille comme technicien de recherche dans un laboratoire de chimie dans les Hauts-de-Seine, en contact direct avec un appareil générant d’importants champs magnétiques, des bruits bizarres, un salaire et des horaires pas top. Au début, explique-t-il, les symptômes sont bénins, puis, pouf, en 2010, cela se dégrade : troubles digestifs, du rythme cardiaque, des pertes de mémoire, une moto russe qui refuse de démarrer, bref, la totale. Bien évidemment, les consultations chez les médecins, ces allopathes approximatifs mécréants, ne donnent rien. Pire : à chaque fois, ils osent l’affront et disent que c’est psychologique au lieu d’immédiatement abonder dans le sens du malade. Heureusement, après moult consultations remboursées par la Sécu (donc, concrètement, vous, les électro-insensibles en bonne santé), c’est le professeur Belpomme, tout acquis à sa cause, qui diagnostique enfin ce qu’il a : il est électrosensible, évidemment !
Depuis, il s’est installé dans un village loin de toutes les ondes électromagnétiques, dans la campagne profonde et loin de toutes traces de civilisation électronique, au milieu de la Creuse l’Essonne sous-développée. Et sa santé s’est, évidemment, améliorée : grâce à un régime sans gluten (cette fraction protéique réputée pour provoquer des champs magnétiques graves) et des balades en forêt et dans la nature, Jonathan a moins de problème de mémoire (mais il porte un joli filet magnétique, des fois que).
De son côté, l’Académie de médecine est, elle, fort surprise. Apprenant que notre chimiste électro-réduit a obtenu une aide publique pour ses petits soucis, elle s’est fendue d’un communiqué de presse dans lequel elle s’interroge sur la pertinence de cette décision. Et à l’appui de son interrogation, elle rappelle quelques éléments factuels dont ne se sont manifestement pas trop embarrassés les pouvoirs publics lorsqu’il s’est agi de distribuer l’argent du contribuable (chapeauté ou non d’alu) :
- plus de 40 études en aveugle à travers le monde ont démontré que les personnes électrosensibles incriminent les ondes sans savoir faire la différence entre un émetteur de radiofréquences éteint ou allumé
- aucune étude sérieuse ne confirme l’efficacité des dispositifs anti-ondes sur la santé
Eh oui, si la faculté est parfaitement consciente qu’il peut très bien y avoir une véritable souffrance des patients déclarés électro-sensibles, elle n’en rappelle pas moins les fondamentaux scientifiques : les expériences en aveugle ont malheureusement toutes conclu à l’incapacité des malades à déterminer s’ils sont ou non en présence d’un champ magnétique (zut et zut), et il n’y a pas, à ce jour, d’études permettant d’établir l’efficacité des dispendieux dispositifs vendus aux malades trop contents de trouver là un moyen, aussi artificiel soit-il, de contrôler leur environnement et de reprendre prise sur leur maladie, mal identifiée (zut et flûte).
(Économiquement en revanche, on peut très facilement expliquer pourquoi, à mesure que les malades sont plus écoutés, ils se font aussi plus nombreux, et pourquoi, dès lors, les fabricants d’amulettes technospatiales se multiplient aussi.)
D’autre part, et l’Académie rejoint ici les remarques maintes fois répétées des libéraux, la distribution de ce genre de roudoudous subventionnés par l’administration ne peut qu’aggraver le problème général que les diagnostics fantaisistes entraînent : les malades ne sont pas réellement soignés puisqu’on leur fournit seulement un effet placebo, on les encourage dans leur représentation faussée de leur maladie en abondant dans leur sens, et pire encore, on envoie un message catastrophique au reste de la population en donnant l’onction administrative à ce type de handicap, ce qui favorisera la recrudescence inopinée et fort commode de nouveaux cas tous plus lacrymogènes les uns que les autres.
En d’autre terme, maintenant que le robinet d’argent public est ouvert, l’électrosensibilité va devenir un mal foudroyant touchant une proportion toujours plus grande d’individus dont le travail, harassant, mal payé et en contact facile avec des substances magnétogènes ou électronuisibles, ne peut être continué sous peine de graves lésions. Vite, indemnisez-moi / prenez-moi en charge / occupez-vous de moi et de mes problèmes.
Bref, tant l’Académie que la personne de bon sens ne peuvent que constater la suite, déjà évoquée dans un précédent édito, de la dérive vers le n’importe quoi new-âge dans lequel s’enfonce mollement la société en général et l’administration française en particulier (élus inclus) : depuis le funeste avènement du principe de précaution dans notre constitution, qui aura plongé le pays dans un formol aussi toxique que le plus totalitaire des socialismes, tout concourt dans ce pays à infantiliser toujours un peu plus les individus en tenant pour acquis que le monde les entourant ne veut que leur perte et que la technologie ne provoquera, à terme, que troubles et maladies désagréables. Et il est donc urgent que tout le monde se serre les coudes pour, d’une part, s’entraider à coup de solidarité forcée (ne discutez pas) et d’autre part que chacun fasse barrage (de son corps s’il le faut) à ces inventions du Diable.
Moyennant quoi, on honnit le gaz de schiste, on interdit les OGM, on fustige les méchantes ondes et on se réfugie bien vite en forêt avec un filet métallique sur la tête.
Tout ceci est extrêmement encourageant pour le futur de ce pays.
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