|
Ce
n’est pas seulement la semaine qui commence qui est de tous les
dangers, mais aussi les années qui vont suivre. Car s’il est une
chose sur laquelle tout le monde s’accorde dans les sphères du
pouvoir, c’est que le monde occidental est entré dans une nouvelle
phase. Une décennie, ou même plus, de lent désendettement
est prévue, le temps qu’il faudra pour dégonfler la
bulle, en espérant que cela sera progressif et non pas brutal. Tout
l’art consistant à le contrôler grâce à un
pilotage à vue qui s’avère calamiteux.
Une
récession économique de longue durée accompagnera ce
processus, occasion d’une nouvelle et paradoxale avancée de la
financiarisation, avec pour effet de lourds effets sociaux. Toutes les
prévisions à long terme l’annoncent, la croissance
économique est en berne et le seul débat en cours porte sur le
fait de savoir si nous sommes déjà ou non entrés dans la
récession. L’expression « rigueur permanente » a
déjà été prononcée, qui annonce la
couleur.
La
crise européenne n’est pas seulement l’épicentre de
ce phénomène, elle en dévoile aussi tous les aspects.
Chaque médaille ayant son revers, il se révèle que le
fort degré d’intégration économique
européenne est aujourd’hui un facteur paradoxal de
généralisation de la crise. Bien que hors zone euro, le
Royaume-Uni dépend pour ses exportations de la bonne santé de
ses voisins, et il en va de même pour l’Allemagne. Sans parler de
l’étroite imbrication de la dette publique et privée dans
le système bancaire de la zone euro.
L’hypothèse
selon laquelle des réformes structurelles – c’est à
dire la diminution du coût du travail, pour appeler les choses par leur
nom – vont permettre de relancer la machine est un contre-sens
magistral ânonné par des idéologues ayant perdu leurs
repères et se réfugiant dans leurs certitudes. Ce sont les
revenus de la rente qu’il faudrait lourdement taxer. La
stratégie qu’ils préconisent ne peut
qu’accélérer l’entrée en récession de
l’économie et par ricochet amplifier la crise financière.
Dans
les allées ombragées et sinueuses du pouvoir, les avis
divergent de plus en plus sur le chemin à suivre afin de contenir une
crise qui n’envisage pas de cesser de rebondir et de
s’élargir. Derrière la sérénité
affichée, il y a du désarroi dans l’air. Des bras de fer
sont engagés dans l’urgence, qui vont devoir déboucher
sur des compromis à la va-vite : un sommet européen se tiendra
dans sept jours et un G20 des chefs d’Etat et de gouvernement dans
trois semaines.
Aucun
miracle ne peut en être attendu, après tant de mois de
tergiversations et de plans successifs qui ont échoués. Un
nouveau plan définitif est fiévreusement recherché, issu
de compromis devant être obtenus à l’arraché avec
les banques et entre les Allemands et les Français. Articulé en
trois volets – décote grecque supplémentaire,
recapitalisation des banques, renforcement de l’effet de levier du FESF
– il fera tout a minima et à la tête du client pour les
banques, s’il est bouclé.
Aux
dernières nouvelles, cela n’en prend pas le chemin. Les
qualificatifs ne manquent pas pour parler des jours à venir :
décisifs, cruciaux, etc… Ah, si les mots pouvaient être
magiques !
Grand
magicien, le système bancaire n’est pas moins à son tour
pris dans des tenailles et se débat. L’augmentation de ses fonds
propres au titre de la réglementation de Bâle, dont il faudrait
anticiper l’application, et conjointement la couverture de la nouvelle
décote des titres grecs, en attendant la suite, va
accélérer la baisse de leur rendement financier et les amener
à poursuivre des cessions de leurs actifs ainsi qu’à
restreindre leurs opérations de crédit. Elles en tirent
argument pour minorer la décote qu’elles vont finalement
accepter, menaçant en dernière instance de vendre leurs
obligations espagnoles et italiennes, ce qui précipiterait la hausse
brutale des taux de ces deux pays. Tout se tient étroitement par la
barbichette.
Les
mégabanques sont confrontées à
la fin de leur âge d’or, elles aussi. Avant la dégradation
de BNP Paribas par Standard & Poor’s,
l’agence Fitch avait déjà
dégradé des mégabanques : UBS,
Royal Bank of Scotland, Loyds Banking
Group, elle vient de placer sous surveillance la Société
Générale, Deutsche Bank et BNP Paribas, mais aussi Barclays
Crédit Suisse, Goldman Sachs et Morgan Stanley. Le gratin est presque
au complet !
Un
autre bras de fer tout aussi feutré se poursuit parallèlement
à propos du financement du sauvetage de l’Europe,
puisqu’il s’agit désormais d’elle et non plus
d’un seul pays (avec les résultats que l’on sait). Le
montage qui semble avoir été trouvé pour accroître
l’effet de levier financier du FESF, destiné à faire
face, est comme il était prévisible construit au petit pied.
L’effet levier en question ne pourra pas dépasser le facteur 5
et il n’est pas certain que les investisseurs se satisferont
d’une assurance qui ne les garantira qu’à concurrence de
1/5 éme de leurs pertes sur leurs achats
obligataires, au vu de la décote grecque qui s’annonce.
Où
dans ces conditions trouver un renfort, puisque les portes de la BCE sont
obstinément closes et que les Etats ne veulent pas remettre au pot du
FESF ? Un pas de deux est engagé avec le FMI, dont il est
espéré qu’il pourrait mettre à disposition des
lignes de crédit à titre de précaution,
destinées à aider l’Espagne et l’Italie en leur
accordant des taux inférieurs à ceux du marché. Mais la
bataille fait rage dans les coulisses, car cela impliquerait une augmentation
des fonds du FMI, ce dont les Américains et les Allemands ne veulent
pas entendre parler. Ses péripéties s’inscrivant dans le
contexte plus large de l’évolution du rôle futur du FMI,
de l’implication grandissante des pays émergents en son
sein, ainsi que de la réforme du système monétaire
international. Une sacrée pelote de nœuds.
La
suite immédiate du film n’est pas difficile à
prédire, une fois les feux du G20 éteints. Après celui
de la Grèce, le plan de sauvetage du Portugal va devoir être
revu, car le pays entre à son tour dans une spirale récessive
sur le même modèle. Celui de l’Irlande aussi, pour ne pas être
en reste. L’Espagne va continuer à lentement dériver vers
la zone des tempêtes pour finalement y entrer, tandis que le coût
de la gigantesque dette italienne va augmenter, la rendant à un moment
donné insupportable. En douter n’est pas raisonnable, au vu des
épisodes précédents et des difficultés
accumulées qui assaillent ces pays.
C’est
alors que les vrais problèmes ne vont plus pouvoir être
éludés. Car la révision des traités
européens qui se profile, avec pour but de graver dans le marbre une
rigueur budgétaire permanente, n’aura pas eu le temps
d’intervenir, sans compter qu’elle ne ferait qu’empirer
encore la situation. Tel un effet de manche des dirigeants, destiné
à faire croire qu’ils ont encore la main, assimilant la relance
de la construction européenne à des mesures de basse police
fiscale.
La
chute brutale des rémunérations et du niveau de vie de larges
secteurs de la population grecque est l’expression de cette politique.
Le pays est devenu une chaudière qui menace d’exploser, à
tel point qu’il a été tenté, sans y parvenir, de
monter un gouvernement d’union nationale pour essayer de maintenir le
couvercle. Les grèves, débrayages, occupations et
manifestations se succèdent sans désemparer. Des secteurs
entiers de l’activité économique et de l’Etat sont
tour à tour paralysés. Cinq grèves
générales ont déjà été
organisées depuis le début de l’année. Combien de
temps cela va-t-il pouvoir durer ainsi ?
Après
le Portugal, l’Espagne s’annonce être le prochain
laboratoire grandeur nature de la même politique brutale de rigueur,
à la faveur du retour au pouvoir annoncé de la droite
espagnole. Une affaire toute aussi explosive que la Grèce, si ce
n’est plus. Comment comprendre les yeux doux faits aux indignés
par les sommités de la finance et de la politique (dernières en
date : José Luis Barroso, Herman van Rompuy,
Vladimir Poutine et Angela Merkel) si ce
n’est en se disant qu’elles craignent qu’un autre effet de
levier soit en train d’opérer ? Que ces minorités
agissantes puissent rencontrer une forte compréhension et soutien dans
l’opinion publique et que ce ne soit pas un feu de paille. Que
l’exaspération en vienne à progressivement
l’emporter sur la résignation et qu’il va falloir
l’intégrer dans l’équation, mais comment ?
On
voit bien poindre d’autres signaux, qui pourraient faire croire que le
système financier, après avoir été laissé
en liberté, pourrait passer sous le régime de la liberté
surveillée. Mais il ne s’agit une nouvelle fois que de fausses
solutions, qui prétendent agir à la périphérie et
qui laissent intact le noyau des problèmes. Le G20 va faire sonner les
trompettes pour annoncer l’adoption de normes renforcées de
capitaux propres pour une liste de 28 établissements
systémiques (dénommés SIFI), qui va finalement
être rendue publique, passant outre la pudeur des mégabanques
craignant d’être « stigmatisées ». Plus en arrière plan et lointain, la séparation des
activités de dépôt et de banque d’affaires revient
à la surface. Inscrite aux Etats-Unis dans la réglementation
Volcker – mais non pourvue des
décrets d’application la rendant opérationnelle –
préconisée par la Commission Vickers en Grande-Bretagne –
mais repoussée à plus tard – cette séparation
indécise est préconisée au sein de la
social-démocratie allemande et par les socialistes français,
tous deux prétendant au pouvoir dans un proche avenir.
Toutes
ces solutions tournent autour du pot. La première prétend
protéger les banques de leurs propres errements, la seconde les
déposants des banques, laissant ces dernières jouer seules
comme elles l’entendent dans la cour des grands, comme si celle-ci
pouvait être isolée de celle des petits. Encore une vue de
l’esprit qui témoigne d’une grande méconnaissance
du système financier.
De
nouveaux accidents de parcours sont inévitables, survenant en raison
de la dynamique même de la crise, déjouant le lent et
destructeur mouvement de désendettement à petit feu qui nous
est promis. Combien de temps les dirigeants européens vont-ils mettre
pour admettre que le jouet est cassé ? Faute de s’y
résoudre, ils vont simplement finir par faire plonger
l’économie dans une récession
généralisée, empirant encore la crise financière
au lieu de la résoudre. Leur refus de combattre celle-ci à la
racine les conduit à s’accrocher vaille
que vaille à leur unique stratégie : s’en remettre au
système financier tel qu’il est. Mais celui-ci leur joue bien
des tours et ils en viennent à s’inquiéter.
Au
seuil de la remise de son mandat de président de la BCE, Jean-Claude
Trichet multiplie les actes testamentaires. « Il n’est pas
possible de laisser un système financier, et par voie de
conséquence un système économique au niveau mondial, qui
soit aussi fragile » a-t-il déclaré. Estimant que nous
étions « au milieu du gué », il a poursuivi ainsi :
« nous avons devant nous la tâche de rendre le système
financier mondial beaucoup plus solide, beaucoup moins fragile ». Un
aveu pour le moins tardif, sans concéder la moindre autocritique et
infléchir la ligne accordant la priorité à
l’austérité budgétaire, qui exprime néanmoins
une profonde incertitude pour la suite.
Les
campements permanents précaires des indignés se multiplient
à Francfort, Londres, New York, Amsterdam et Montréal, comme
autant d’expressions de cette mauvaise conscience que le monde de la
finance a toujours évacué avec superbe. Wall Street et La City
sont symboliquement devenus des camps retranchés entourés par
des voyous qui ne veulent pas travailler. Mais que fait la police ?
Billet
rédigé par François Leclerc
|
|