Avant-propos: La réorganisation du monde est un processus
bien avancé. Nous quittons un monde structuré par des Etats détenteurs de
Constitutions nationales pour entrer dans une nouvelle ère d’une
planète mondialisée et régie par des firmes transnationales, voire
globales, détentrices de traités et autres accords de libre-échange.
Les traités de libre-échange ont cette particularité d’introduire une
philosophie de droit commercial dans les arcanes des législations nationales.
Si rien n’est fait pour interrompre le phénomène, le contrat commercial
et les myriades de directives et ordonnances qui en émanent tendront à supplanter
toujours plus la loi tout en atténuant le rôle des élus.
Forts de leurs nouvelles prérogatives, les bénéficiaires du nouveau
système entendent faire valoir leurs « droits » financés par
l’argent des perdants, à savoir le public. D’aucuns peuvent juger que ce
nouveau droit est inique. Peut-être. Il n’en demeure pas moins qu’il a été
légalisé par les tenants du pouvoir de l’ancien monde.
Voici le cas de TransCanada, entreprise parmi tant d’autres, qui accuse un
Etat, en l’occurrence les Etats-Unis, de manque à gagner. La réclamation
fait suite à la renonciation, en 2015, par le président Obama de
construire un nouvel oléoduc Keystone XL qui aurait coûté en tout 5,4
milliards de dollars! Elle demande à titre de dédommagement la modique
somme de 15 milliards de dollars, soit presque 3 fois le coût de
l’investissement!
L’extravagance de ce genre de chiffres devrait nous alerter sur l’étendue
du pouvoir dont se prévalent ces personnes. Quel (contre-) pouvoir
détiendrait encore un Etat comme la Belgique qui tente vaillamment de
résister au typhon qu’est le CETA, frère jumeau du TTIP?
La réponse à cette interrogation est de taille car la philosophie,
l’éthique et le court-termisme financier observables et observés de ces
nouveaux souverains font craindre une divinisation pathologique du
dieu-argent, qui porte aussi le nom de Mammon … un des sept princes de
l’enfer.
Liliane Held-Khawam
RAPPEL de l’article 3 du TFUE (Fonctionnement de l’UE):
1. L’Union dispose d’une compétence exclusive dans les
domaines suivants:
a) l’union douanière;
b) l’établissement des règles de concurrence nécessaires au fonctionnement du
marché intérieur;
c) la politique monétaire pour les États membres dont la monnaie est l’euro;
d) la conservation des ressources biologiques de la mer dans le cadre de la
politique commune de la pêche;
e) la politique commerciale commune.
2. L’Union dispose également d’une compétence exclusive pour la conclusion
d’un accord international lorsque cette conclusion est prévue dans un acte
législatif de l’Union, ou est nécessaire pour lui permettre d’exercer sa
compétence interne, ou dans la mesure où elle est susceptible d’affecter des
règles communes ou d’en altérer la portée.
A découvrir ci-dessous
La compagnie de pipelines canadiens TransCanada Inc poursuit en
justice le Gouvernement Américain et demande 15 milliards $ de dédommagement
pour l’annulation de la construction de l’oléoduc transfrontalier Keystone XL
entre les USA et le Canada.
Sur la base de l’accord de libre-échange nord-américain (Aléna),
TransCanada a présenté sa demande d’arbitrage. Cet exemple souligne la
dangerosité et la perversité des accords de libre échange comme le TTIP
(Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Europe
et les USA).
15 milliards $ pour faire pression sur les Gouvernements
Le pipeline Keystone XL aurait dû transporter le pétrole des sables
bitumineux de l’Alberta, Canada à Steele City dans le Nebaska, USA. Après 7
ans d’hésitations, le président Obama a décidé en octobre 2015 de ne pas
autoriser la construction de ce pipeline car il entre en contradiction avec
les actions prises contre le réchauffement climatique.
C’est cette décision que TransCanada Inc attaque les USA et demande la
somme pharamineuse de 15 milliards $ de dédommagement. TransCanada Inc pense
que la décision du président Obama est «arbitraire et injustifiée en
regard du traité commercial USA-Canada et qu’il s’agit d’une discrimination.
Les retards et la décision ultime de ne pas délivrer le permis est une
décision politique, directement contraire aux études du gouvernement US au
lieu d’être basée sur les mérites du pipeline Keystone. TransCanada Inc a
investi des milliards $ dans ce projet et ce refus ôte toute valeur à nos
investissements. ».
L’entreprise se prépare à une lutte longue et coûteuse contre le
Gouvernement américain et se dit prête à refaire une demande pour construire
ce pipeline.
Détail piquant : TransCanada demande un dédommagement de 15
milliards $ alors que les coûts de la construction étaient devisé à 5,4
milliards $. Cette demande stratosphérique aurait pour effet de « faire
réfléchir et dissuader » tout gouvernement qui désirerait se mettre en
travers d’un futur projet pétrolier. Le lobby pétrolier US et
Canadien soutient cette démarche.
Les grandes entreprises se sont octroyées des droits légaux afin
de s’accaparer l’argent des contribuables.
TransCanada invoque le chapitre 11 de l’ALENA qui stipule qu’un
investisseur (TransCanada) peut poursuivre un État s’il juge que ses droits
économiques ont été violés ou qu’il a été exproprié de manière injustifiée et
que ce faisant, il perd des profits potentiels.
En un mot, si un Etat prend une décision qui nuit à la stratégie
d’affaires d’une entreprise, celle-ci peut poursuivre le Gouvernement.
En 2015, le Canada a déboursé 172 millions $ à différentes
entreprises et le Mexique 204 millions $. Pour le moment, les
États-Unis n’ont pas à cette date encore perdu de cause. Jusqu’à
aujourd’hui, la tactique utilisée par les corporations est de brandir la
menace judiciaire pour aller récolter une partie des montants demandés.
Souvent sans même avoir commencé à investir dans les projets contestés
!
TransCanada souligne les ambitions des grandes entreprises qui sont à la
base de ces accords commerciaux. Comme elle ne peut pas construire ce
très profitable pipeline, elle demande une compensation financière aux
contribuables américains. Qu’importe les problèmes climatiques, la pollution
ou la santé des habitants, tant qu’il y a de l’argent à se faire.
Les politiques doivent être conscients de ce stratagème en soutenant ce genre
d’accord et la population doit être informée sur le détournement d’impôts.
60% des cas gagnés par les entreprises contre 40% pour les Gouvernements
Les firmes nord-américaines impliquées dans le schiste, les sables
bitumineux, les forages, les mines, la chimie et toutes les autres formes
d’activités qui mettent en péril l’environnement et la santé des populations
scrutent ou se servent des failles dissimulées dans ces accords afin de
mettre à table les gouvernements.
Par le passé, la plupart des disputes sur les accords commerciaux (ISDS
Investor State Dispute Settlement) se passaient dans un couloir Nord-Sud
(pays riches et pauvres) avec des flux financiers à sens unique.
Aujourd’hui avec ces nouveaux accords entre pays riches, la tentation des
entreprises de se servir dans les caisses plaines au-travers d’actions en
justice, est une tentation trop grande pour être écartée.
Statistiquement, 60% des cas ISDS sont remportés par des entreprises et
seuls 40% sont gagnés par les entités publiques. Les coûts de ses
actions en justice varient de 8 à 30 millions $ selon l’United Nation
Conference Trade and Developement. Le jeu en vaut largement la chandelle pour
les multinationales et la multiplication des cas est une question de pure
logique mathématique.
Protestations inutiles
« TransCanada devrait avoir honte de tenter d’extirper des
milliards $ aux contribuables américains afin de faire exploser ses bénéfices
après avoir été stoppée dans sa tentative de construction d’un sale et
dangereux pipeline de pétrole bitumineux dans nos terrains »
s’est plaint Michael Brune, CEO de Sierra Club.
Le son de cloche est totalement différent chez TransCanada qui
s’appuie sur le droit légal qui lui a été transféré au travers de l’accord
NAFTA.
A l’échelle européenne, rappelons que l’accord TTIP (USA-Europe) utilise
les accords de l’ALENA comme inspiration pour établir les règles de cet
accord qui se négocie en secret dans les couloirs de Bruxelles.
Alors que tout cela ne fait aucun sens, une question émerge :
Pourquoi certains gouvernements sont-ils si déterminés à faire
prendre autant de risque à l’argent versé par les contribuables en faveur
d’entreprises sans scrupules ?
(connaissancedesenergies.org parue le 09 nov. 2015 )
L’oléoduc Keystone XL était censé parcourir plus de 1 350
km à travers les États-Unis. (©TransCanada Corporation)
Le président américain Barack Obama a annoncé vendredi le rejet du projet
controversé d’oléoduc « Keystone XL » entre le Canada et les
États-Unis. Retour sur 7 ans d’incertitudes ayant abouti à cet abandon, à
trois semaines du début de la
COP21.
Controverse : une voie de transit pour les sables bitumineux
canadiens
A l’étude depuis 2008, Keystone XL est un projet d’oléoduc
transfrontalier de 1 897 km de long entre le Canada et les États-Unis.
Ce « pipeline » d’un peu plus de 90 cm de diamètre visait à relier
aussi directement que possible Hardisty côté canadien (Alberta) à Steele City
côté américain (Nebraska). Il existe déjà un oléoduc dénommé
« Keystone » entre ces deux zones mais il emprunte une route plus
longue que le trajet envisagé pour Keystone XL (il traverse une partie du
Canada jusqu’au Manitoba).
En construisant la voie « Keystone XL », la société canadienne
TransCanada souhaitait faciliter l’acheminement du pétrole brut canadien issu
des sables bitumineux (mélange de
bitume brut, de sable, d’eau et d’argile) dans l’Alberta jusqu’aux raffineries du Texas. D’une
capacité de transport évaluée à 830 000 barils par jour, cet oléoduc
était également présenté par TransCanada comme une infrastructure nécessaire
face à la hausse de la production américaine de pétrole
de schiste au sein de la formation géologique de Bakken, dans les
États américains du Montana et du Dakota du Nord.
Depuis plusieurs années, Keystone XL restait toutefois dans l’attente du
feu vert américain. Le projet a rencontré une vive opposition des
associations écologistes qui craignaient des dégâts environnementaux liés à
cet oléoduc et qui dénonçaient également la nature des hydrocarbures
importés : l’extraction du bitume inclus dans les sables bitumineux et
sa transformation en un mélange d’hydrocarbures plus léger génère en effet
davantage d’émissions de gaz
à effet de serre que la mise en production de types de pétroles plus
« légers ».
Pour le Canada, l’exploitation des sables bitumineux s’accompagne
d’importants enjeux économiques : elle a permis d’augmenter la
production canadienne de pétrole de 34% entre 2009 et 2014, ce qui fait du
pays le 4e producteur mondial de pétrole en 2014(1) derrière
les États-Unis, l’Arabie saoudite et la Russie. Le nouveau Premier ministre
canadien, Justin Trudeau(2),
a regretté la décision américaine de vendredi, tout en rappelant que les
relations entre son pays et les États-Unis ne se limitaient pas à ce seul
projet qui a souvent focalisé l’attention.
Épilogue : un projet « pas dans l’intérêt
national » des États-Unis
Dans sa déclaration de vendredi(3),
Barack Obama a confirmé le rejet de Keystone XL par le Département d’État
américain(4) et
avancé plusieurs explications à cette décision. In fine, le projet
n’apporterait pas une contribution significative à l’économie américaine sur
le long terme selon le Président, rappelant au passage que le taux de chômage
dans le pays a chuté à hauteur de 5%. Il a par ailleurs expliqué que les prix
du gaz, déjà très bas aux États-Unis, ne seraient pas réduits grâce à ce
pipeline, comme l’avaient avancé certains promoteurs du projet.
Le rejet de Keystone XL a enfin une forte portée symbolique à 3 semaines
de la COP21 à Paris. Barack Obama a rappelé à plusieurs reprises dans son
intervention que les États-Unis étaient prêts à assumer un rôle de
« leader » dans la lutte contre le changement climatique. La
Maison Blanche jugeait ainsi que ce projet aurait pu « saper le
leadership mondial » des États-Unis. Souhaitant faire preuve
d’exemplarité, Barack Obama a précisé qu’importer « du pétrole brut plus
sale » ne renforcerait en outre pas la sécurité
énergétique des États-Unis.
C’est cette dimension symbolique qu’a dénoncé le PDG de TransCanada(5) Russ
Girling. Estimant que « la rhétorique l’avait emporté sur la
raison », il a émis l’idée que les États-Unis puissent
potentiellement privilégier des importations de pétrole provenant « du
Venezuela ou d’Iran » dans le futur plutôt que du Canada. Rappelons
toutefois que le Canada est de loin le premier fournisseur de pétrole des
États-Unis devant l’Arabie saoudite : près de 37% des importations
américaines de brut et de produits pétroliers(6) provenaient
de ce pays en 2014.
Le pétrole de schiste américain a enfin changé la donnée aux États-Unis.
Barack Obama a rappelé qu’il avait fixé, il y a 3 ans, l’objectif de réduire
les importations américaines de pétrole de moitié d’ici à 2020. C’était chose
faite dès l’an dernier, les États-Unis étant devenus entre temps les premiers
producteurs de pétrole au monde.
Voie de transit envisagé pour Keystone XL et oléoducs
existants (©TransCanada Corporation)
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