Dans
le
billet précédent, inspiré du dernier film de Rabah Ameur-Zaïmeche (Les Chants de Mandrin),
nous avons retracé les contours historiques des campagnes de
contrebande entreprises par Louis Mandrin et sa bande. Dans ce
deuxième billet, nous discuterons davantage des implications
éthiques de la contrebande. Mandrin doit-il être
considéré comme un bandit ou est-il envisageable de penser
qu’il puisse au contraire être un héros ?
Pour
commencer, rappelons simplement la chose suivante : être dans
l’illégalité ne signifie pas nécessairement agir
de manière immorale. Pour évaluer la moralité
d’une action, on cherche habituellement à comprendre si elle est
nuisible. Ainsi, lorsqu’on cherche à savoir si la contrebande
est une action moralement acceptable, il faut d’abord chercher à
comprendre à qui elle pourrait nuire.
De
toute évidence, les contrebandiers ne nuisent ni aux fournisseurs, ni
aux clients. L’appui logistique dont les Mandrins
bénéficiaient des deux côtés de la
frontière franco-savoyarde traduit clairement un large assentiment de
l’ensemble de la population. Les différents témoignages
historiques dont nous disposons corroborent en effet du soutien des
fournisseurs et des bénéficiaires. Les producteurs et les
commerçants savoyards pouvaient ainsi écouler des produits qu’ils
n’auraient pas pu vendre autrement et les clients français accédaient
à des marchandises de meilleure qualité et à un meilleur
prix que celui habituellement offert par les Fermiers généraux.
Les
seules personnes négativement affectées par les campagnes de
contrebande des Mandrins étaient justement ces Fermiers généraux,
qui constataient une baisse de leurs profits dans la région. Cette
situation n’était que le résultat d’une
intensification de la concurrence là où les Mandrins
agissaient. Cela était-il immoral ?
Si
la concurrence était confondue avec la nuisance, alors toute nouvelle
entreprise qui entre sur le marché serait par définition considérée
comme immorale, car nuisible. Or, d’évidence, cela semble
légitime à tous que des individus se lancent dans de nouvelles
entreprises, quitte à ce que cela remette en question des positions
bien établies. Cette nuance est fondamentale. Les Mandrins n’étaient
d’ailleurs pas des marchands ordinaires, car ils prenaient des risques
considérables - qui leur furent in fine fatals. Le succès de
leur commerce dépendait, en effet, largement de leur capacité
à assurer la protection physique de leurs clients pendant les
marchés.
Ainsi,
même si les Mandrins agissaient dans l’illégalité,
on ne saurait pas pour autant les considérer comme des bandits (dans
la mesure où ils ne contraignaient personne à vendre ou
à acheter) mais comme des héros car, en plus d’être
marchands ordinaires, ils luttaient contre les marchés entravés
en prenant des risques pour fournir des produits qui n’auraient pas pu
être disponibles autrement.
Pour
conclure, retenons la réplique
clé du film : « Oyez, oyez : après avoir
affronté les dangers de l’Orient et les gapians
du roi, les Mandrins sont de retour pour un nouveau marché libre.
Juste au-dessus de votre cité près du vieux moulin, nous vous
attendons sous la protection de nos armes pour découvrir nos
trésors ».
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