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Marché des dérivés : de quoi parle-t-on exactement ?

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Published : May 28th, 2013
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Comme nous l’expliquions, les manipulations des taux peuvent osciller à la hausse ou à la baisse et sont rarement unidirectionnels. Cela offre de belles opportunités de spéculer sur les marchés de dérivés. Ces marchés font souvent parler d’eux sans qu’on sache exactement de quoi on parle.


Les dérivés classiques basés sur les contrats futures comme les forwards (dérivés portant sur les matières premières et les devises), les caps et les floors (dérivés portant sur les taux d’intérêt), et les CFD (Contracts For Difference, similaires aux futures mais offrant une gamme plus large), sont des contrats de transfert de risque portant sur un actif réel ou financier appelé sous-jacent. Cela peut donc être un stock de marchandises, un prêt à intérêt variable, ou des devises. Puisqu’il s’agit d’un contrat portant exclusivement sur le risque, il n’y a pas de transfert de la valeur notionnelle du contrat (la valeur totale du sous-jacent couvert)[1]. Il porte sur un transfert des variations du prix de ce sous-jacent. Concrètement, cela entraîne en moyenne des transferts de 0 à 10% de la valeur du notionnel.


D’autres dérivés ne suivent pas le même mécanisme de transfert de risque. Les swaps, par exemple, sont des contrats où les parties échangent leurs positions sur les paiements d’intérêts de leurs crédits respectifs. Ainsi, quelqu’un qui paye un intérêt variable peut échanger sa position avec un autre qui paye un intérêt fixe. Dans ce type de contrat, il n’y a pas non plus  de transfert du sous-jacent. En outre, le transfert prévu est déterminé dès le départ par le contrat.


Les ABS (Asset-Backed Securities) et leurs dérivés, les CDO (Collateralized Debt Obligation), n’impliquent pas non plus de transfert du sous-jacent. Il s’agit de regrouper des actifs d’une même catégorie, généralement des titres de dette, pour créer un fonds dont le droit sur les rendements (les paiements d’intérêt) est vendu sous forme structurée.


Supposons, par exemple, que le rendement global d’un fonds de € 50 millions est de 10%. On peut créer trois tranches : junior, mezzanine et senior. La tranche junior donne droit au rendement correspondant à un sous-jacent de € 25 millions de ce fonds. Vendu pour € 20 millions, il permet un rendement de 12,5% au lieu de 10%.[2] La tranche mezzanine donne droit à un rendement calculé sur un sous-jacent de € 15 millions du fonds. Vendu à € 18 millions, il donnera un rendement de 8,34% seulement. Finalement, la tranche senior basée sur un rendement sur un sous-jacent de € 10 millions est vendue à € 15 millions, ce qui donne un rendement final de 6,67%.


L’intérêt des tranches mezzanine et senior ne semble pas évident à première vue. En fait, il est dans le fait que si le sous-jacent fait défaut (par exemple, un débiteur est incapable de rembourser l’achat de sa maison), leur risque de supporter des pertes est moindre. En effet, celui-ci n’est pas distribué de façon homogène. La tranche mezzanine est protégée à hauteur de € 25 millions de pertes par la tranche junior, laquelle compense son exposition au risque par un rendement plus élevé. La tranche senior est à son tour protégée à hauteur de € 40 millions d’euros, la valeur sous-jacente totale des tranches junior et mezzanine, d’où son prix plus élevé et son rendement plus bas. Les uns achètent de la sécurité sur un sous-jacent à l’origine plus risqué, et les autres achètent un rendement plus élevé mais risqué sur un sous-jacent à l’origine moins rentable. Encore une fois, il n’y a pas de transfert de sous-jacent, mais seulement un droit de transfert du rendement[3].


Finalement, les CDS (Credit Default Swap) et les options (et similaires comme les warrants et les options binaires) sont les seuls instruments dérivés impliquant un éventuel transfert du sous-jacent concerné. En effet, ces produits donnent un droit à exécuter une opération d’achat ou vente du sous-jacent lors qu’un évènement prévu dans le contrat dérivé a lieu.


Dans le cas des options, l’évènement en question est l’atteinte d’un seuil de prix qui rend rentable l’exécution de l’achat ou de la vente des actions ou obligations. En ce qui concerne les CDS, l’évènement est un défaut de paiement du sous-jacent, c’est-à-dire, des titres de dette. Si l’évènement déclenche l’activation du CDS, ceci signifie que le vendeur du CDS doit acheter le sous-jacent au prix fixé dans le contrat (et évidemment, pas au prix de marché lors du défaut).


Les contrats de dérivés les plus traditionnels (options et futures) sont généralement échangés sur des marchés organisés tels que le CBOT (Chicago Board of Trade) et Euronext.Liffe. Dans ce cadre, les contrats sont standardisés et une chambre de compensation (clearing house) garantit les transferts de variation de marge et des sous-jacent en exigeant des dépôts de garantie ainsi que d’autres assurances (e.g. ligne de crédit certifiée par une banque).


Les contrats plus exotiques (pratiquement tous les autres dérivés) sont majoritairement échangés sur des marchés de gré à gré (OTC, Over-the-counter). La transparence sur ces marchés est variable. Certains acteurs sont aussi fiables que les marchés organisés. Ils offrent les services d’une chambre de compensation et beaucoup d’information sur les produits en question. D’autres cependant sont plus opaques et n’offrent que peu de garanties sur l’exécution des contrats.


Aussi divers soient-ils, les contrats de dérivés en tant que tels ne présentent guère de problème. Ces contrats consistent tout au plus à des transferts de variations de prix ou de sous-jacents. Si le capital engagé est exclusivement alloué à ces transferts de volatilité et n’a pas d’autre rapport avec le reste de l’économie, alors il est simplement transféré d’un agent à un autre sans autre perte pour l’économie réelle. Le marché des dérivés permet alors de limiter les pertes de capital, car ce qui est perdu/gagné dans un contrat dérivé couvre une position gagnante/perdante dans le marché réel.


En ce qui concerne les spéculateurs purs, tant que leur capital est purement monétaire et sans aucune dépendance vis-à-vis du reste de l’économie, leurs pertes et gains sont eux-aussi contenus sur le marché des dérivés. Ce qui est perdu par un spéculateur est récupéré par un autre.


En conclusion, tant que le marché de dérivés est fondé dans son intégralité par des actifs en circulation et par des capitaux monétaires réellement disponibles, il est entièrement neutre par rapport au reste de l’économie. Autrement dit, il ne peut pas rendre le marché plus volatile puisque justement il absorbe toute la volatilité engendrée dans les marchés des sous-jacents.


A suivre : Quand le marché des dérivés déraille


 

 



[1] En fait, la plupart des opérateurs financiers évitent la livraison du sous-jacent, laissant ce transfert aux producteurs et distributeurs du sous-jacent.

[2] Le rendement acheté est de € 2,5 millions, c’est-à-dire, 10% de € 25 millions. Or, comme l’acheteur de la tranche paye € 20 millions, son rendement est de € 2,5 millions sur un investissement de € 20 millions, donc 12,5%

[3] Les CDO suivent la même structure d’un ABS, mais leur sous-jacent n’est pas composé d’un titre de dette, mais des ABS.

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Gabriel A. Giménez-Roche est professeur et responsable du département économie du Groupe ESC Troyes et maître de conférences à Sciences Po Paris. Son domaine de recherche est l'analyse économique de l'entrepreneuriat et son contexte socio-institutionnel. Il est également chercheur associé de l’Institut économique Molinari.
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