Comme nous
l’expliquions, les manipulations des taux peuvent osciller à la
hausse ou à la baisse et sont rarement unidirectionnels. Cela offre de
belles opportunités de spéculer sur les marchés de
dérivés. Ces marchés font souvent parler d’eux
sans qu’on sache exactement de quoi on parle.
Les
dérivés classiques basés sur les contrats futures comme
les forwards (dérivés portant sur les
matières premières et les devises), les caps et les floors (dérivés portant sur les taux
d’intérêt), et les CFD (Contracts For Difference, similaires aux futures
mais offrant une gamme plus large), sont des contrats de transfert de risque portant
sur un actif réel ou financier appelé sous-jacent. Cela peut donc
être un stock de marchandises, un prêt à
intérêt variable, ou des devises. Puisqu’il s’agit
d’un contrat portant exclusivement sur le risque, il n’y a pas de
transfert de la valeur notionnelle du contrat (la valeur totale du sous-jacent
couvert). Il
porte sur un transfert des variations du prix de ce sous-jacent. Concrètement,
cela entraîne en moyenne des transferts de 0 à 10% de la valeur
du notionnel.
D’autres
dérivés ne suivent pas le même mécanisme de
transfert de risque. Les swaps, par
exemple, sont des contrats où les parties échangent leurs
positions sur les paiements d’intérêts de leurs
crédits respectifs. Ainsi, quelqu’un qui paye un
intérêt variable peut échanger sa position avec un autre
qui paye un intérêt fixe. Dans ce type de contrat, il n’y
a pas non plus de transfert du
sous-jacent. En outre, le transfert prévu est déterminé
dès le départ par le contrat.
Les ABS (Asset-Backed Securities) et leurs
dérivés, les CDO (Collateralized Debt Obligation), n’impliquent pas non plus de
transfert du sous-jacent. Il s’agit de regrouper des actifs d’une
même catégorie, généralement des titres de dette,
pour créer un fonds dont le droit sur les rendements (les paiements
d’intérêt) est vendu sous forme structurée.
Supposons, par
exemple, que le rendement global d’un fonds de € 50 millions est
de 10%. On peut créer trois tranches : junior, mezzanine et
senior. La tranche junior donne droit au rendement correspondant à un
sous-jacent de € 25 millions de ce fonds. Vendu pour € 20
millions, il permet un rendement de 12,5% au lieu de 10%. La
tranche mezzanine donne droit à un rendement calculé sur un
sous-jacent de € 15 millions du fonds. Vendu à € 18
millions, il donnera un rendement de 8,34% seulement. Finalement, la tranche
senior basée sur un rendement sur un sous-jacent de € 10
millions est vendue à € 15 millions, ce qui donne un rendement
final de 6,67%.
L’intérêt
des tranches mezzanine et senior ne semble pas évident à
première vue. En fait, il est dans le fait que si le sous-jacent fait
défaut (par exemple, un débiteur est incapable de rembourser
l’achat de sa maison), leur risque de supporter des pertes est moindre.
En effet, celui-ci n’est pas distribué de façon
homogène. La tranche mezzanine est protégée à hauteur
de € 25 millions de pertes par la tranche junior, laquelle compense son
exposition au risque par un rendement plus élevé. La tranche
senior est à son tour protégée à hauteur de
€ 40 millions d’euros, la valeur sous-jacente totale des tranches
junior et mezzanine, d’où son prix plus élevé et
son rendement plus bas. Les uns achètent de la sécurité
sur un sous-jacent à l’origine plus risqué, et les autres
achètent un rendement plus élevé mais risqué sur
un sous-jacent à l’origine moins rentable. Encore une fois, il
n’y a pas de transfert de sous-jacent, mais seulement un droit de
transfert du rendement.
Finalement,
les CDS (Credit Default Swap) et les options (et
similaires comme les warrants et
les options binaires) sont les seuls instruments dérivés impliquant
un éventuel transfert du
sous-jacent concerné. En effet, ces produits donnent un droit à
exécuter une opération d’achat ou vente du sous-jacent
lors qu’un évènement prévu dans le contrat
dérivé a lieu.
Dans le cas
des options, l’évènement en question est l’atteinte
d’un seuil de prix qui rend rentable l’exécution de
l’achat ou de la vente des actions ou obligations. En ce qui concerne
les CDS, l’évènement est un défaut de paiement du
sous-jacent, c’est-à-dire, des titres de dette. Si
l’évènement déclenche l’activation du CDS,
ceci signifie que le vendeur du CDS doit acheter le sous-jacent au prix fixé
dans le contrat (et évidemment, pas au prix de marché lors du
défaut).
Les contrats
de dérivés les plus traditionnels (options et futures) sont
généralement échangés sur des marchés
organisés tels que le CBOT (Chicago
Board of Trade) et Euronext.Liffe.
Dans ce cadre, les contrats sont standardisés et une chambre de
compensation (clearing house)
garantit les transferts de variation de marge et des sous-jacent en exigeant
des dépôts de garantie ainsi que d’autres assurances (e.g. ligne de crédit certifiée par une
banque).
Les contrats
plus exotiques (pratiquement tous les autres dérivés) sont
majoritairement échangés sur des marchés de gré
à gré (OTC, Over-the-counter). La transparence sur ces marchés est
variable. Certains acteurs sont aussi fiables que les marchés
organisés. Ils offrent les services d’une chambre de
compensation et beaucoup d’information sur les produits en question.
D’autres cependant sont plus opaques et n’offrent que peu de
garanties sur l’exécution des contrats.
Aussi divers
soient-ils, les contrats de dérivés en tant que tels ne présentent
guère de problème. Ces contrats consistent tout au plus à
des transferts de variations de prix ou de sous-jacents. Si le capital
engagé est exclusivement alloué à ces transferts de
volatilité et n’a pas d’autre rapport avec le reste de
l’économie, alors il est simplement transféré
d’un agent à un autre sans autre perte pour l’économie
réelle. Le marché des dérivés permet alors de
limiter les pertes de capital, car ce qui est perdu/gagné dans un
contrat dérivé couvre une position gagnante/perdante dans le
marché réel.
En ce qui
concerne les spéculateurs purs, tant que leur capital est purement
monétaire et sans aucune dépendance vis-à-vis du reste
de l’économie, leurs pertes et gains sont eux-aussi contenus sur
le marché des dérivés. Ce qui est perdu par un
spéculateur est récupéré par un autre.
En conclusion,
tant que le marché de dérivés est fondé dans son
intégralité par des actifs en circulation et par des capitaux
monétaires réellement disponibles, il est entièrement
neutre par rapport au reste de l’économie. Autrement dit, il ne
peut pas rendre le marché plus volatile puisque justement il absorbe
toute la volatilité engendrée dans les marchés des
sous-jacents.
A
suivre : Quand le marché des dérivés
déraille
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