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Même monde opaque

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Published : May 13th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

Les parallèles n’ont pas manqué d’être soulignés entre la crise économique et financière mondiale que nous continuons de subir et la catastrophe nucléaire de Fukushima qui se poursuit. Toutes deux mises dans le même sac, celui d’un système dont les justifications ont été dans les faits mises brutalement en cause et dont les supposés bienfaits s’effacent dans les deux cas devant les désastres qu’il suscite.


Une nouvelle opportunité vient de se présenter permettant d’opérer un autre rapprochement : des stress tests (tests de résistance) vont être presque simultanément menés en Europe dans le but d’éprouver la solidité des banques et celle des centrales nucléaires. Avec en commun de chercher à démontrer qu’elles le sont, tout du moins dans leur grand majorité, à l’exception éventuelle de quelques victimes expiatoires. Illustrations un peu trop criantes de ces opérations de propagande qui semblent désormais être l’âme même de l’action politique, que l’on préfère appeler plus noblement stratégie de communication.


On avait déjà remarqué, lors des précédents tests bancaires, qu’ils obéissaient à une méthodologie biaisée, n’ayant pas comme objectif de déterminer des points de rupture – leur fonction présumée – mais de se limiter à tester des cas calibrés pour aboutir à des résultats connus d’avance. Au regrettable risque de laisser croire que ces cas ont été choisis pour les besoins de la cause, celle bien entendu des ordonnateurs. Qu’est-ce qui pourrait nous laisser penser que cela sera cette fois-ci différent, si l’on ne tient pas compte des sempiternelles promesses qui les accompagnent ?


Il y a cependant une différence notable entre ces deux tests. La méthodologie de ceux des banques a été élaborée par l’European Banking Authority (EBA) et rendue publique au terme de consultations qui ne l’ont pas été. Elles sont d’une technicité financière à faire fuir. Celle des centrales nucléaires n’a pu être encore adoptée au sein du collège des responsables européens de la sûreté nucléaire, faute d’accord entre eux. Nous en connaissons mieux les arguments, notamment grâce à Günter Oettingher, le commissaire européen, qui a clairement refusé d’apposer sa signature sur ce qu’il a appelé devant les députés européens « un test de résistance allégé ». Les mêmes responsables devront se réunir une nouvelle fois, les 19 et 20 mai. « Le contenu est plus important que le calendrier. Le public souhaite des tests de résistance crédibles couvrant un large éventail de risques et répondant aux questions de sécurité. » a déclaré le commissaire.


Le débat a porté sur l’inclusion ou nom dans les tests des risques de chute d’avion ou d’attentat terroriste (les deux n’étant pas incompatibles). Deux hypothèses rejetées, au prétexte d’un calendrier serré à respecter, qui permettrait uniquement de tester les effets de catastrophes naturelles (en utilisant des données pré-existantes, a-t-il été précisé).


Le commissaire demandait également que les résultats fournis par chaque pays soient validés par un autre, comme lorsque l’équipage vérifie l’amorçage des toboggans dans un avion ! Parmi ses opposants figuraient les pays les plus nucléarisés d’Europe, dont la France et la Grande-Bretagne. L’autre argument utilisé pour refuser de tester ces risques qualifiés d’humains : les adopter reviendrait à recaler en bloc tout le parc européen des centrales nucléaires… Autre variante : en raison de leur objet, on ne pourrait pas en publier leurs résultats, à quoi bon donc les mener ?


Que peut-il maintenant se passer ? Pour les tests des banques, nous savons déjà qu’un risque qui fait pourtant les manchettes et sur lequel planche tous les analystes en a été exclu : celui de décotes de la dette souveraine. Pour les centrales nucléaires, nous sommes dans un autre monde que celui feutré de la finance et nous pouvons en prédire un peu plus.


Faute d’un accord entre la Commission et les régulateurs européens, le dossier sera renvoyé devant le Conseil européen, où siègent les 27 chefs d’Etat ou de gouvernement. Le prochain se tient justement fin juin. Dans la grande tradition des négociations européennes, on parle déjà de la possibilité d’utiliser une formule du type actions imputables à l’homme, afin d’obtenir un accord dont l’application sera ensuite laissé à la discrétion de ceux qui auront à le mettre en musique…


Que vont donc à coup sûr révéler les stress tests des banques et des centrales nucléaires ? Que ces deux univers sont parties prenantes de mondes opaques, n’entendent pas rendre de comptes et veulent se soustraire à toute procédure de contrôle public.


S’agirait-il alors d’un même monde, expression d’un unique modèle de société ? Il serait alors justifié de les mettre dans le même sac.




Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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