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Minimum de réalisme

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Published : May 11th, 2011
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Category : Editorials

 

 

 

 

La Grèce va devoir patienter, ayant entretemps réussi à emprunter 1,625 milliards d’euros à six mois, au taux pénalisant record de 4,88%, afin de tenir dans l’immédiat.


La Commission parle d’une décision prise « dans les prochaines semaines », et Angela Merkel veut pour se prononcer attendre les résultats de la mission de la Troïka, qui vient juste d’arriver à Athènes et doit y rester une bonne semaine. Le temps de se dégager un peu de la pression qu’exerce sur elle son allié du FDP, qui anime en Allemagne le front du refus.


Tous espèrent ainsi faire retomber la tension que la réunion de vendredi dernier avait contribué à faire grimper, et gagner du temps pour trouver une position commune. Christine Lagarde, pour rassurer, a de son côté déclaré sans savoir comment qu’« on allait continuer à les aider », tandis que George Papandréou appelait les Grecs au « sang froid ». Ce nouveau numéro du cirque ne fait que commencer, car les intérêts des uns et des autres sont clairement divergents.


Ce qui est certain, c’est que plus le temps passe, plus la dette grecque va être garantie par les Etats via le fonds de stabilité, car les banques non seulement n’en achètent plus sur le marché mais s’en délestent autant qu’elles peuvent. La charge est donc progressivement reportée en totalité sur les Etats, rien qui ne soit vraiment étonnant.


Dans l’immédiat, la situation se complique au fur et à mesure que les bouches s’entrouvrent et que l’on entre dans le détail des options disponibles, entre lesquelles il va falloir trancher. La palme revient à Bini Smaghi, gouverneur de la BCE et farouche opposant à la restructuration de la dette grecque, qui en est venu à mettre en cause à l’occasion d’une conférence à Florence « certains gros investisseurs qui se sont assurés contre ce risque » et qui poussent au crime en pratiquant « une incitation perverse »… On finira par tout savoir du comportement des mégabanques et comprendre pourquoi elles font preuve de sérénité.


D’autres, comme Jürgen Stark de la même BCE, conservent leur flegme et leur langue de bois pour affirmer contre toute vraisemblance que la Grèce est solvable et « n’est pas un puits sans fond », afin d’inciter les Européens à remettre le couvert.


Ce feuilleton va rebondir, ne justifiant pas de suivre au jour le jour les épisodes de la fièvre qui s’est emparée des dirigeants européens, Jean-Claude Juncker, ayant une fois reconnu et laissé échapper dans un accès de franchise que « quand cela devient sérieux, vous devez mentir ».


Une nouvelle réunion des ministres des finances de l’Ecofin – officielle celle-ci – devrait en début de semaine commencer à se pencher sur l’addition que les Grecs ont déjà présentée : ils auraient au dernier pointage besoin de 60 milliards d’euros supplémentaires, pour couvrir leurs besoins en 2012 et 2013.


Les Allemands ne sont pas prêts à participer au financement de cette énorme rallonge, et préféreraient que soit adoptée comme solution une extension négociée de la maturité des obligations souveraines grecques venant à échéance ces deux années-là. La BCE n’est pas d’accord et les Français se réfugient derrière elle. Une solution de compromis pourrait aux dernières nouvelles être trouvée, les Grecs garantissant un nouvel emprunt auprès du fonds de stabilité européen en fournissant comme collatéraux des éléments de leur patrimoine. Mais nous n’en sommes pas là !


Bini Smaghi prononçait donc ce matin son instructive conférence, sur laquelle on peut revenir. Car elle l’a conduit à expliquer – ce qui de prime abord étonne dans sa bouche – combien s’en remettre aux marchés financiers pour faire des choix de politique budgétaire relevait d’une « illusion ». Illusion selon laquelle « …la gouvernance économique de la zone euro peut être renforcée, non en augmentant les responsabilités des politiques (…), mais en déléguant aux marchés financiers la tâche de sélectionner les politiques appropriées auxquelles les autorités doivent se conformer ». Or, selon lui, les marchés n’apprécient pas correctement la solvabilité des Etats, car « le risque souverain ne s’apprécie pas uniquement à l’aune de la capacité d’un pays à soutenir le poids de sa dette mais aussi de la volonté de réaliser une politique d’ajustement, incluant des privatisations et des réformes structurelles ».


Que d’intéressantes circonlocutions et remarques sur l’aveuglement des marchés pour justifier que les Etats européens financent collectivement la dette publique existante au sein de la zone euro tout en s’imposant une discipline drastique pour la réduire !


L’épineuse question des taux auxquels le fonds de stabilité européen prête aux uns et aux autres va aussi devoir être tranchée. Olli Rehn, le commissaire aux affaires économiques, a annoncé un taux compris entre 5,5 et 6% pour les Portugais. La Grèce, dont le taux initial était de 6,2%, a déjà obtenu l’engagement qu’il soit réduit d’environ un point en pourcentage. L’Irlande a bénéficié d’un taux moyen de 5,8% et se bat pour obtenir une réduction de celui-ci. Peut-on justifier que les taux soient différents suivant les pays et les plans de sauvetage et qu’ils restent si élevés ? Cette question, relativement secondaire car cela ne changera rien à leur insolvabilité finale, n’en reste pas moins hautement symbolique d’une stratégie irréaliste et sans avenir.


Le parti socialiste finlandais en a pris acte à sa manière, qui a décidé de ne voter au parlement le soutien au plan de sauvetage Portugais – indispensable pour qu’il puisse être adopté au niveau européen – qu’à une condition très claire mais assez symbolique étant donnés les montants : les Portugais devront lever une taxe bancaire dont le produit sera destiné au remboursement de cette aide financière, en cas de restructuration de la dette…


Il est cependant paradoxal de devoir constater que ce n’est pas du côté des autorités politiques européennes que l’on peut attendre un minimum de réalisme, mais que l’on peut par contre en trouver à l’Institute of International Finance (IIF), le lobby international des mégabanques.


S’inscrivant dans le cadre d’une consultation publique lancée en janvier dernier par la Commission, à propos des conditions suivant lesquelles d’éventuelle faillites de banques systémiques pourraient à l’avenir être organisées, l’IIF vient de faire un pas en avant que l’on n’attendait pas. Il admet que, en dernier ressort, les détenteurs jusqu’alors intouchables d’obligations senior pourraient être mis à contribution, ce qui était il y a encore peu considéré comme un crime de lèse-majesté pour la restructuration des banques irlandaises. Laissant l’Etat seul avec une mission impossible.


Les mégabanques savent, pour ce qui les concerne, faire quand cela est nécessaire la part du feu. Quitte à utiliser des instruments de couverture, comme on le voit à propos des obligations souveraines…



Billet rédigé par François Leclerc



Paul Jorion




(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’ » qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.   

 

 

 

 

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Paul Jorion, sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières années dans le milieu bancaire américain en tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La Découverte : 2007).
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