La
Grèce va devoir patienter, ayant entretemps réussi à
emprunter 1,625 milliards d’euros à six mois, au taux
pénalisant record de 4,88%, afin de tenir dans
l’immédiat.
La
Commission parle d’une décision prise « dans les
prochaines semaines », et Angela Merkel
veut pour se prononcer attendre les résultats de la mission de la
Troïka, qui vient juste d’arriver à Athènes et doit
y rester une bonne semaine. Le temps de se dégager un peu de la
pression qu’exerce sur elle son allié du FDP, qui anime en Allemagne
le front du refus.
Tous
espèrent ainsi faire retomber la tension que la réunion de
vendredi dernier avait contribué à faire grimper, et gagner du
temps pour trouver une position commune. Christine Lagarde, pour rassurer, a
de son côté déclaré sans savoir comment
qu’« on allait continuer à les aider »,
tandis que George Papandréou appelait les Grecs au « sang froid ». Ce nouveau numéro du
cirque ne fait que commencer, car les intérêts des uns et des
autres sont clairement divergents.
Ce
qui est certain, c’est que plus le temps passe, plus la dette grecque
va être garantie par les Etats via le fonds de stabilité, car
les banques non seulement n’en achètent plus sur le
marché mais s’en délestent autant qu’elles peuvent.
La charge est donc progressivement reportée en totalité sur les
Etats, rien qui ne soit vraiment étonnant.
Dans
l’immédiat, la situation se complique au fur et à mesure
que les bouches s’entrouvrent et que l’on entre dans le
détail des options disponibles, entre lesquelles il va falloir trancher.
La palme revient à Bini Smaghi, gouverneur
de la BCE et farouche opposant à la restructuration de la dette
grecque, qui en est venu à mettre en cause à l’occasion
d’une conférence à Florence « certains gros
investisseurs qui se sont assurés contre ce risque »
et qui poussent au crime en pratiquant « une incitation
perverse »… On finira par tout savoir du comportement des mégabanques et comprendre pourquoi elles font
preuve de sérénité.
D’autres,
comme Jürgen Stark de la même BCE, conservent leur flegme et leur
langue de bois pour affirmer contre toute vraisemblance que la Grèce
est solvable et « n’est pas un puits sans fond »,
afin d’inciter les Européens à remettre le couvert.
Ce
feuilleton va rebondir, ne justifiant pas de suivre au jour le jour les
épisodes de la fièvre qui s’est emparée des
dirigeants européens, Jean-Claude Juncker, ayant une fois reconnu et
laissé échapper dans un accès de franchise que
« quand cela devient sérieux, vous devez
mentir ».
Une
nouvelle réunion des ministres des finances de l’Ecofin – officielle celle-ci – devrait en
début de semaine commencer à se pencher sur l’addition
que les Grecs ont déjà présentée : ils
auraient au dernier pointage besoin de 60 milliards d’euros
supplémentaires, pour couvrir leurs besoins en 2012 et 2013.
Les
Allemands ne sont pas prêts à participer au financement de cette
énorme rallonge, et préféreraient que soit
adoptée comme solution une extension négociée de la
maturité des obligations souveraines grecques venant à
échéance ces deux années-là. La BCE n’est
pas d’accord et les Français se réfugient derrière
elle. Une solution de compromis pourrait aux dernières nouvelles
être trouvée, les Grecs garantissant un nouvel emprunt auprès
du fonds de stabilité européen en fournissant comme
collatéraux des éléments de leur patrimoine. Mais nous
n’en sommes pas là !
Bini
Smaghi prononçait donc ce matin son
instructive conférence, sur laquelle on peut revenir. Car elle
l’a conduit à expliquer – ce qui de prime abord
étonne dans sa bouche – combien s’en remettre aux
marchés financiers pour faire des choix de politique budgétaire
relevait d’une « illusion ». Illusion selon laquelle
« …la gouvernance économique de la zone euro peut
être renforcée, non en augmentant les responsabilités des
politiques (…), mais en déléguant aux marchés
financiers la tâche de sélectionner les politiques
appropriées auxquelles les autorités doivent se
conformer ». Or, selon lui, les marchés
n’apprécient pas correctement la solvabilité des Etats,
car « le risque souverain ne s’apprécie pas
uniquement à l’aune de la capacité d’un pays
à soutenir le poids de sa dette mais aussi de la volonté de
réaliser une politique d’ajustement, incluant des privatisations
et des réformes structurelles ».
Que
d’intéressantes circonlocutions et remarques sur
l’aveuglement des marchés pour justifier que les Etats
européens financent collectivement la dette publique existante au sein
de la zone euro tout en s’imposant une discipline drastique pour la
réduire !
L’épineuse
question des taux auxquels le fonds de stabilité européen
prête aux uns et aux autres va aussi devoir être tranchée.
Olli Rehn, le commissaire
aux affaires économiques, a annoncé un taux compris entre
5,5 et 6% pour les Portugais. La Grèce, dont le taux initial
était de 6,2%, a déjà obtenu l’engagement
qu’il soit réduit d’environ un point en pourcentage.
L’Irlande a bénéficié d’un taux moyen de
5,8% et se bat pour obtenir une réduction de celui-ci. Peut-on
justifier que les taux soient différents suivant les pays et les plans
de sauvetage et qu’ils restent si élevés ? Cette
question, relativement secondaire car cela ne changera rien à leur
insolvabilité finale, n’en reste pas moins hautement symbolique
d’une stratégie irréaliste et sans avenir.
Le
parti socialiste finlandais en a pris acte à sa manière, qui a
décidé de ne voter au parlement le soutien au plan de
sauvetage Portugais – indispensable pour qu’il puisse
être adopté au niveau européen – qu’à
une condition très claire mais assez symbolique étant
donnés les montants : les Portugais devront lever une taxe bancaire
dont le produit sera destiné au remboursement de cette aide
financière, en cas de restructuration de la dette…
Il
est cependant paradoxal de devoir constater que ce n’est pas du
côté des autorités politiques européennes que
l’on peut attendre un minimum de réalisme, mais que l’on
peut par contre en trouver à l’Institute of International
Finance (IIF), le lobby international des mégabanques.
S’inscrivant
dans le cadre d’une consultation publique lancée en janvier
dernier par la Commission, à propos des conditions suivant lesquelles
d’éventuelle faillites de banques systémiques
pourraient à l’avenir être organisées, l’IIF
vient de faire un pas en avant que l’on n’attendait pas. Il admet
que, en dernier ressort, les détenteurs jusqu’alors intouchables
d’obligations senior pourraient
être mis à contribution, ce qui était il y a encore peu
considéré comme un crime de lèse-majesté pour la
restructuration des banques irlandaises. Laissant l’Etat seul avec une
mission impossible.
Les
mégabanques savent, pour ce qui les
concerne, faire quand cela est nécessaire la part du feu. Quitte
à utiliser des instruments de couverture, comme on le voit à
propos des obligations souveraines…
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un «
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alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion
est un « journaliste presslib’ »
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