|
Alors
que la cafouillage européen bat son plein,
les Allemands fortement divisés entre eux sur l’attitude
à tenir, le retour de l’inflation ajoute une nouvelle menace
à celle d’une dette dont on ne sait comment s’en
défaire. Ragaillardie et en terrain connu, la BCE reprend pied et
fourbit ses armes monétaires.
Une
fois encore, les chiffres sont sollicités sans toujours trop
s’embarrasser de leur analyse. L’inflation a ceci de miraculeux
que, si ses causes sont multiples, son remède est unique : le
chiffon rouge agité, les banques centrales remontent leur taux
directeur et le tour est joué ! Sans trop avoir à se soucier
des facteurs à l’origine des hausses de prix.
Regardons-y
de plus près. Eurostat confirme un taux d’inflation de 2,2% pour
la zone euro, les Britanniques sont au-delà, connaissant un taux de
3,3% (calculé en novembre dernier en valeur annuelle), et Ben Bernanke annonce que le danger de la déflation a
« considérablement baissé » aux
Etats-Unis. On remarque que le prix du pétrole et celui des
matières premières alimentaires n’y sont pas pour rien,
n’ignorant pas leur sensibilité à la spéculation
financière. Enregistrant, sans que la corrélation soit
formellement établie, les résultats faramineux que vient
d’annoncer JP Morgan Chase, intervenant de pointe reconnu sur ces
marchés (avec des bénéfices 2010 en hausse de 47% par
rapport à 2009, soit 17,4 milliards de dollars).
Si
l’on entre dans le détail des hausses de prix, par exemple en
Espagne, on constate notamment la forte progression, non seulement du prix
des carburants, mais aussi de celui des transports (+9,2%) ou bien du tabac
et des alcools (+15,2%). Des exemples de hausses qui doivent à
l’augmentation des tarifs et des prélèvements par les
pouvoirs publics et les collectivités. Si l’on regarde par pays,
pour l’ensemble de l’Union européenne où le taux
d’inflation annuel aura été de 2,6% en 2010, on note que
les taux les plus élevés sont en Grèce (+5,2%) ou bien
en Roumanie (+7,9%), là où la crise est particulièrement
forte et la hausse des taxes également.
Dans
des proportions incalculables, les hausses de prix sont imputables aux effets
de la spéculation financière, ainsi qu’aux effets des
plans d’austérité. Pour le moins, il est délicat
dans le contexte actuel d’y trouver la marque de la rencontre entre une
production de biens insuffisante et une demande en forte progression !
Permettant de mieux apprécier la position de la Bank of England, qui ne touche pas à son taux directeur,
mais plus difficilement le retour des foudres rituelles de Jean-Claude
Trichet, président de la BCE, qui laisse coire
qu’une hausse du taux directeur de la banque centrale est dans ces
conditions possible. S’attaquer à la spéculation
financière sur les commodities, avec
des mesures radicales et des résultats tangibles, serait tout de
même plus efficace ! Au lieu de gratter jusqu’à l’os
les budgets publics, réaliser une opération
vérité sur le système bancaire le serait tout autant.
Quelles
qu’en soient les causes, cette inflation va contribuer à la
progression des taux obligataires, rendant encore plus illusoires les solutions
à la crise de la dette qui continuent à être
péniblement mises au point. A ce propos, on ne sait plus qui croire
à Berlin. Les libéraux du FPD s’opposent à tout
accroissement des moyens du fonds de stabilité européen, tandis
que le ministre CDU des finances, Wolgang Schäuble, concède qu’il pourrait
être nécessaire. Son entourage évoque sans plus de
précision des leviers, sur lesquels il serait possible d’agir.
Christine Lagarde suit le mouvement, qui élude tout chiffrage
d’une éventuelle augmentation de moyens du fonds, se refusant
à suivre son homologue belge Didier Reynders
qui parle du doublement des moyens, et se réfugie derrière la
perspective d’une réflexion laissée dans le flou sur
« la palette de moyens » ou bien
« l’architecture du mécanisme » du fonds
de stabilité.
Retrospectivement, on comprend
mieux la prudence avec laquelle Wolfgang Schäuble
a répondu aux avances de José Manuel Barroso,
président de la commission, qui voulait qu’un accord soit fin
prêt pour le prochain sommet européen du 4 février. Les
Allemands sont coincés entre leur rigueur doctrinale à propos
des déficits publics et la nécessité de préserver
leurs marchés européens, qui leur impose de protéger la
zone euro. S’ils peuvent espérer développer leurs
exportations en direction des pays émergents – ils s’y
activent beaucoup – ils n’en ont pas moins besoin que leur base
d’appui européenne ne leur fasse pas exagérément
défaut. L’Union européenne absorbe encore 60% de leurs
exportations et la zone euro 40%. Ils cherchent parallèlement à
limiter le montant de l’addition qui va leur être
présentée, s’efforçant à créer les
conditions pour que les autres Etats la prenne le plus possible en charge.
A
nouveau, les ministres des finances feront le point lundi à Bruxelles,
le week-end leur permettant en attendant de poursuivre les discussions. Les
Allemands pratiqueront l’art du donnant-donnant, exigeant des garanties
d’austérité en contrepartie de l’accroissement de
leur engagement financier, faisant couler les noyés en
prétendant les sauver. Par son irréalisme, cette situation
n’est pas sans rappeler la crise de la dette américaine.
Selon
les prévisions du Congressional Budget
Office, le déficit américain devrait progresser à une
allure vertigineuse si rien n’est fait, la courbe grimpant vers le
ciel. Rien dans la situation politique actuelle d’affrontement durable
ne permet cependant de prévoir un accord possible entre républicains
et démocrates permettant de l’enrayer. Les travaux de la
commission bipartisane Bowles-Simson mise en place
par Barack Obama, afin
d’étudier un plan de réduction du déficit public,
n’ont pas pu réunir en son sein une majorité afin
d’être présentés au vote du Congrès :
ils supposent que soient adoptés des impôts et taxes
supplémentaires (dont une TVA substantielle) et que de fortes coupes
soient opérées dans les programmes sociaux. De quoi
déplaire à tout le monde.
Les
coupes qui ont déjà été réalisées
par les Etats américains donnent un avant-goût de ce qui
pourrait en résulter dans le pays, si des mesures identiques devaient
être prises au niveau fédéral. Leur situation
financière est de plus en plus fragile, comme l’est celle du
marché des obligations municipales (les munis). Un sauvetage
fédéral de certains Etats a déjà
été étudié, mais il se heurterait à un
probable veto républicain, tandis que la Fed a déjà fait
savoir qu’il ne fallait pas compter sur elle.
La
commission Bowles-Simson a établi entre
autre constat qu’en 2025, faute d’intervention, le service de la
dette (le payement des intérêts) absorberait la totalité
des recettes de l’impôt, son coût multiplié par cinq
d’ici là.
Dans
cette phase II de la crise, la question sans solution de la dette prend le
pas sur toutes les autres. Américains, Européens et Japonais
sont logés à la même enseigne, aussi démunis les
uns que les autres. Un nouveau gouvernement vient d’être
formé à Tokyo, avec une fois de plus la mission impossible de
résoudre le problème du déficit abyssal du pays.
Il
faudra bien rechercher à un moment donné une solution globale
à ces crises régionales, dont aucune n’a de solution
isolée, toutes conséquences d’une même bulle
financière trop grosse pour être digérée.
Mais un verrou existe, celui d’un système monétaire
international qui a fait son temps. Les Américains vont s’y
accrocher becs et ongles, car sa réforme serait pour eux la fin.
Billet
rédigé par François Leclerc
Paul Jorion
(*) Un « article presslib’
» est libre de reproduction en tout ou en partie à condition que
le présent alinéa soit reproduit à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
contributions. Il pourra continuer d’écrire comme il le fait
aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
s’exprimer ici.
|
|