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L’unanimité en
faveur du principe de non-discrimination repose sur la vacuité de ce principe
même. Si tout le monde semble d’accord pour dire qu’il ne faut pas
discriminer, les individus pris séparément se trouveraient vraisemblablement
en désaccord si on leur demandait ce que chacun d’entre eux entend
précisément par discrimination. La raison pour laquelle on maintient cet
accord artificiel contre la discrimination est notamment que le concept reste
flou pour la plupart des personnes. À partir de cette observation, on peut
légitimement se demander si réduire la discrimination est une démarche qui
fait sens.
Pour éclaircir
cette interrogation, on peut chercher à comprendre dans un premier temps s’il
est raisonnable de penser que les discriminations sont susceptibles de
disparaître un jour. Pour que cette expérience mentale soit cohérente, il
convient d’imaginer qu’il serait envisageable de ne plus jamais fonder ses
choix sur la base de préjugés, d’opinions, de croyances, de valeurs
personnelles et subjectives mais uniquement sur la base des valeurs
objectives partagées par tout le monde. C’est précisément à ce point que
cette expérience mentale révèle son absurdité : demander un monde sans
discrimination reviendrait à demander un monde sans individus susceptibles de
faire des choix, donc sans individus tout court. Pour arriver à effacer tous
les préjugés, il faudrait d’abord effacer la capacité de choisir.
En outre, si
l’on était personnellement en désaccord avec certains choix effectués sur la
base de préjugés racistes, sexistes, nationalistes etc. une interdiction
serait-elle en mesure de changer les choses ? Ces préférences ne
seraient probablement plus exprimées publiquement, ou le seraient moins, mais
il est peu probable qu’elles disparaitraient automatiquement des esprits.
Imaginons-nous
maintenant directement concerné par un acte de discrimination. Par exemple,
un employeur qui refuserait de nous embaucher parce qu’il a des préjugés
xénophobes. Serions-nous pour autant certain de souhaiter que cette personne
discrimine moins ? Réfléchissons donc à ce qui nous dérange réellement
dans son choix. Il nous dérange que cette personne considère que nous sommes
simplement un élément quelconque dans un groupe homogène : les
« étrangers ». Si l’on considère que ce préjugé est inacceptable,
c’est entre autres parce que l’on pense qu’il est trop simpliste de coller
des étiquettes sur des individus, surtout lorsque ces étiquettes sont trop
génériques. Si nous sommes dérangés, c’est donc parce que l’on pense que
l’étiquette d’ « étranger » ne nous représente pas suffisamment. Il
faudrait pour cela ajouter d’autres étiquettes car on a aussi un genre, une
origine, des croyances intimes, des passions, des diplômes etc.
En
suivant attentivement ce raisonnement, on s’aperçoit donc que ce que l’on
demande en fait n’est pas de discriminer moins mais bien de discriminer
davantage, c'est-à-dire autant de fois qu’il est nécessaire pour retrouver
notre individualité singulière. Si l’on se plaint des actes de
discrimination, c’est finalement parce que l’on ne veut pas être jugé comme
appartenant à un groupe d’individus, mais être jugé en tant
qu’individu. Pour en arriver à un jugement si fin, il faudrait donc
encourager les autres à discriminer davantage et non à cesser toute
discrimination.
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