Dans un livre posthume (1997) - The
Logic of Action 1 -, Murray Rothbard évoquait,
pp. 316-17, les trois grandes questions à quoi, selon lui, était confrontée
alors la théorie de la monnaie:
- comment faire échapper la monnaie du contrôle du gouvernement;
- la banque libre et l'obligation de 100% de couverture comptable,
- la définition de l'offre de monnaie.
1.
Les règles de droit.
A
la racine de ces questions se trouvent plus ou moins
cachées les règles de droit, de justice naturelle (propriété, responsabilité
et échanges économiques).
En particulier, semble enracinée dans l'oubli de beaucoup, l'interdiction de
convertibilité des substituts de monnaie bancaires en monnaie or décidée par
les législateurs nationaux depuis la décennie 1930 d’abord au plan national,
puis au plan international (1971-73).
Cette
interdiction a eu pour conséquence que les substituts de monnaie bancaires
sont devenus des substituts de rien, du 'néant habillé en monnaie".
Ce bouleversement a été considérable et nous en vivons aujourd'hui un des
effets.
Il faut être dirigeant irresponsable pour ne pas s'en soucier.
Mais il faut être tout autant irresponsable pour vouloir créer une union
bancaire de la zone euro, à l'ignoré et à l'invisible de chacun.
2.
Garantie de la monnaie et contrefaçon.
Cela
ne doit pas cacher la démarche qu’ont adoptée les Etats, les derniers
siècles.
Elle a consisté d’abord à dire qu’ils étaient, chacun, garants de la valeur
ou de la quantité de leur monnaie et que, pour faire face aux contrefacteurs,
ils avaient la solution.
Et l’Etat – ou le législateur peu importe - en
question a mis en œuvre le privilège de monopole de production ou d’émission
donné à l’un - son candidat - et l’obligation des paiements en la monnaie
donné à tous les autres.
Ensuite il a perverti sa solution avec des moyens qui ont fait apparaître que
les contrefaçons privées étaient dérisoires comparées à la contrefaçon
étatique (au nombre de quoi en particulier, l'inflation ou les finances
publiques).
Avec la démarche, et selon des commentateurs, rien ne pourra plus changer
fondamentalement.
Cela est une grosse erreur.
3.
Première alliance objective fallacieuse: droit ou mathématique.
Il
faut savoir aussi que l'idée du courant de pensée, fruit de ce choix, a
rejoint l'idée exprimée par d'autres, fin XIXè
début XXè siècle, de séparer les règles de droit de
l'économie politique pour, prétendument, donner à cette dernière un caractère
scientifique.
Comme je l'ai écrit dans mes deux derniers billets, à savoir Le droit de la
garantie en pièces et La
contrefaçon de ce qu'on dénomme aujourd'hui la "monnaie", à la
base de cette situation se trouve le choix de certains économistes, depuis la
début du XXè siècle, tant en France qu'à
l'étranger, non seulement de mettre de côté de leur discipline les règles de
droit, mais encore d'y faire intervenir, à la place, une mathématique, à
commencer, par exemple, par une "comptabilité bancaire" montée de
toutes pièces, dénuée de règles juridiques.
Et ils sont parvenus à leurs fins: telle ou telle mathématique parade
aujourd’hui, les règles de droit sont, elles, dans un cul de basse fosse.
4.
Droit et échanges économiques.
Pour
toutes ces raisons, et en particulier à cause de cette première alliance
objective fallacieuse, ce qu'on dénomme "monnaie" aujourd'hui est
sans commune mesure avec ce qui existait dans le passé, en particulier il y a
un siècle.
Ce qui existait alors résultait, d'une part, des règles de droit, certes
modifiées de façon plus ou moins importante par des législateurs nationaux,
et, d'autre part, des échanges économiques de chacun.
Mais une certaine liberté monétaire continuait à exister bon an mal an.
Et la comptabilité générale résultait directement de ces règles et des
échanges.
Remarquons en passant qu’à l’occasion de sa convertibilité retrouvée, la
dévaluation du franc français en or (1928) ne s’est pas faite par une
diminution de la quantité des substituts de monnaie bancaires, mais par une
augmentation de la quantité de monnaie or (cf. Delaisi,
1932).
Cela témoignait du fait que la monnaie papier n’était pas évaluée en or, mais
l’or en monnaie papier.
Soit dit en passant, la décision prise pour Chypre début 2013 a fait que,
dans ce pays, il y a eu diminution des dépôts bancaires, i.e. des
"substituts de rien bancaires" en euro (cf. ce billet de mars 2013)
5.
Seconde alliance objective fallacieuse: la mise de côté des règles de droit
et l’interdiction de la convertibilité.
Par
la suite, la réglementation définitive de l'interdiction de la convertibilité
des substituts de monnaie bancaires en monnaie or a été imposée par les
législateurs et beaucoup a été détruit.
La démarche a rejoint ainsi celle de la mise de côté des règles de droit,
seconde alliance objective fallacieuse.
Au nombre des destructions, il y a eu, d’un côté, ce qui est devenu «
liquidité » et, de l’autre, ce qui est devenu « réserves de change étranger
officielles » (cf. tableau ci-dessous).
Tableau
Réserves de change étranger
officielles
2001-2013
Source :
http://www.imf.org/external/np/sta/cofer/eng/index.htm
Si la liquidité a retenu l’attention de certains économistes, les réserves
officielles ont semblé superfétatoires.
L’une comme l’autre ne sont jamais que des des
billets en papier forcés ou des dépôts bancaires, i.e. des "substituts
de rien bancaires".
6. L'illusion comptable.
Cette
réglementation de l’interdiction de la convertibilité a d'autant plus détruit
qu'elle n'a pas donné lieu à une modification des règles de la comptabilité
bancaire.
Auparavant, l’interdiction – et l’obligation qui allait de pair - était une
grande question en tout domaine.
Elle était, par exemple, du même ordre que l'était, par exemple en France, à
la même époque, la question de l'obligation en certaines matières
d'assurance.
S'y est donc ajoutée l'illusion comptable qui n'a
pas modifié les effets de l'interdiction.
Et le mal de la compréhension de la monnaie est devenu profond et atteint la
profondeur de l'ignorance actuelle - du type de cet article
du 8 juillet 2013 intitulé "IMF Urges More Interest-Rate
Cuts In Euro Zone to Help Revive Growth".
J'y noterai seulement que :
“The IMF acts as the world's emergency lender and economic counselor.
Most of its current lending reserves are tied up in a handful of joint
European bailouts.”
Aberrant!
7. Fonctions et comptabilité réglementée de la monnaie.
Malgré tout, l'opinion majoritaire continue aujourd'hui à parler des
fonctions de la monnaie pour définir cette dernière, comme certains le
faisaient au XIXè siècle, comme si l'interdiction
d’inconvertibilité n'existait pas et ne l'avait pas profondément dénaturée.
Soit dit en passant, à aucun moment, elle ne fait intervenir la
"politique monétaire" comme si celle-ci n'était pas du même ordre,
comme si celle-ci n'était pas une fonction de plus apparue au XXè siècle.
Il est aussi question de la comptabilité de la monnaie définie sans relation
avec les règles de droit, en tant qu'arithmétique bancaire dépourvue de ces
dernières et réglementée on ne sait trop comment.
Exemplaire du désordre créé est l'arrivée en comptabilité bancaire
réglementée de la notion de "hors bilan" et des rubriques y
afférant!
Et les difficultés s'accumulent.
Et il faut refuser toute union bancaire de la zone euro.
8. L'impasse doctrinale.
La référence aux fonctions de la monnaie est, à sa façon, un moyen
supplémentaire de mettre de côté des règles de droit.
L’économie politique ne traite pas des fonctions des objets, elle ne saurait
traiter de celles de la monnaie.
A cette absence de base doctrinale (en relation avec les fonctions), s’en
ajoute une autre (en relation avec la comptabilité dénuée des règles
juridiques).
Quant à eux, les coups d'Etat perpétrés au XXè
siècle par les législateurs (en relation avec l'interdiction de la
convertibilité des substituts de monnaie bancaires en monnaie or) n'avaient
aucune base doctrinale non plus pour les suggérer, sinon l'instauration
désirée d'un socialisme - de diverse nature selon les cas - articulé au moins
à ce qui est dénommé "politique monétaire".
Le livre de Irving Fisher (1927) intitulé The
Money Illusion, puis celui préfacé par Francis Delaisi
(1929 dans le texte
en français) sont exemplaires sur ce point.
La "préférence pour la liquidité" de J.M. Keynes a été un essai de
donner une signification à ce qui n’en avait pas et il en a été de même pour
ce qu’on dénomme les « réserves de change étranger officielles ».
Fonctions, comptabilité arithmétique, liquidité et réserves officielles sont
au total des éléments qui s’ajoutent à d’autres et pour quoi les gens ne
comprennent rien à la monnaie.
9.
L'union bancaire de la zone euro.
A
un moment où les gouvernements des Etats des pays de la zone euro cherchent à
instaurer une union
bancaire dans leur zone, créée de toutes pièces, leur cas se précise:
l'absence de base doctrinale dans le passé n'a pas aidé, loin de là, telle ou
telle comptabilité bancaire réglementée à s'affirmer.
Celle-ci se fait cruellement sentir et témoigne des affres où se retrouvent
leurs dirigeants qui se sont écartés délibérément des règles de droit (cf. Draghi, juillet 2013: Introductory statement by Mario
Draghi, President of the
ECB, Brussels, 8 July 2013
En voici ma traduction d'une partie:
«3. Union bancaire
Les
décideurs ont pris des engagements forts sur le déplacement vers l'union
bancaire - maintenant il est essentiel de tenir ces engagements.
L'objectif est en effet de trois ordres:
- rétablir au delà de tout doute la solidité du
système bancaire;
- réintégrer le système bancaire et
- fournir un cadre de surveillance et de résolution qui permettra d'éviter
une répétition de l’accumulation de la sinistralité passée.
Tous les éléments de base doivent se mettre en place rapidement afin de tirer
pleinement parti d'une union bancaire.
Les enjeux sont trop élevés pour permettre des retards injustifiés.
Pour compléter un projet si essentiel, une action résolue doit être prise
dans les mois à venir - et le Parlement a un rôle
clé à jouer.
Tout d'abord, jusqu'à ce que le règlement sur le mécanisme de contrôle unique
(MCU) soit adopté, nous, à la BCE, ne pouvons pas prendre officiellement de
décisions.
Dans ce contexte, je crois comprendre que les ententes de responsabilisation
de supervision avec le Parlement, conformément à la réglementation du MCU,
sont en voie d'achèvement sur la base d'une attitude constructive des deux
parties.
Compte tenu de l'adoption du règlement, nous avons déjà lancé le processus de
préparation interne, sur lequel je voudrais vous donner un bref aperçu.
Nous travaillons en coopération étroite et constructive avec les autorités
nationales pour la mise en place du MCU.
Cela comprend cinq principaux axes de travail:
- tout d'abord, la cartographie du système bancaire de la zone euro afin
d'identifier notamment les établissements d'importance systémique;
- deuxièmement, traiter les questions juridiques du développement de nouveaux
processus de contrôle au niveau du MCU;
- troisièmement, préparer un cadre harmonisé de déclaration des données de
surveillance;
- quatrièmement, développer un manuel et un modèle de supervision, et
- cinquièmement, la conception et la mise en œuvre de l'évaluation du bilan
requis par le règlement du MCU.
Permettez-moi d'être clair quant à l'importance de cette cinquième
perspective.
Une
évaluation de bilan crédible et approfondie est une étape indispensable pour
restaurer une pleine confiance dans le système bancaire.
La transparence sur la valorisation des actifs est nécessaire pour évaluer
ensuite la position de fonds propres des banques et aussi pour faciliter les
échanges de marché des actifs bancaires.
L'évaluation de bilan sera complétée par une épreuve d'effort, en
coordination avec l'Autorité bancaire européenne, qui couvrira toutes les
banques surveillées directement par la BCE.
Nous nous attendons à conclure l'évaluation complète quand le MCU sera
opérationnel.
Il est crucial d'avoir un engagement pour s'assurer que les butées efficaces
sont disponibles, afin de s'assurer que l'évaluation est dûment et en temps
opportun conclu.
Une deuxième pierre angulaire de l'union bancaire est la directive de
recouvrement et de résolution de la Banque (DRRB).
En fournissant les outils et les compétences dans les législations
nationales, elle constituera une base sur laquelle construire un mécanisme de
résolution unique (MRU).
La BCE accueille favorablement le fait qu'un accord sur la DRRB a été atteint
lors de la dernière réunion du Conseil ECOFIN.
J'espère que le Parlement, conjointement avec le Conseil, parviendront à un
accord d'ici la fin de cette année.
Ce sera à son tour ouvrir la voie à une entrée en vigueur rapide de
l'instrument de recapitalisation des banques directe du Mécanisme européen de
stabilité.
Nous nous félicitons de l'accord politique intervenu lors de la dernière
réunion de l'Eurogroupe.
Cet instrument viendra utilement compléter le filet de sécurité européen
existant et contribuera à la poursuite du découplage des banques de leurs
souverains respectifs.
Un mécanisme de résolution unique est le prochain pilier essentiel de l'union
bancaire.
Il est un complément indispensable au superviseur unique et devrait
idéalement être mis en place une fois le MCU opérationnel.
La
BCE se réjouit de la proposition de la Commission pour un MRU avec une forte
autorité de résolution unique en son cœur et un fonds de résolution unique à
sa disposition ".
10. La solution.
La solution au désordre que les dirigeants de la zone euro ont créé de toutes
pièces ces dernières années est pourtant simple:
- il faut qu'ils cessent de faire croire qu'ils comprennent ce qu'ils font - leur ignorance doctrinale est totale - et
- il faut retrouver les règles de droit qui ont été perdues à cause
d'idéologies destructrices dont nous subissons aujourd'hui mes effets, à
commencer par abandonner l’interdiction de la convertibilité.