Ces derniers jours, les médias s’enflamment autour d’un terme qui ne
semble pourtant pas trés lié à l’économie, à savoir le mot
« hélicoptère ». En effet, il aura suffit d’une petite phrase de Mario
Draghi pour que la notion d’helicopter-money soit
subitement redécouverte par tous ce que les télés et les journaux comptent
« d’experts ». Revenons brièvement sur cette étincelle qui a
étrangement mis le feu aux poudres.
Alors qu’il donnait une conférence de presse à Francfort le 10 mars dernier,
le président de la Banque Centrale Européenne répondait aux
questions des journalistes sur les différentes pistes encore envisageables
pour redresser les marchés. Et là, c’est la tuile ! À l’évocation de la
notion de « quantitative easing for people« , il
répond presque sans réfléchir : « C’est un concept très intéressant« .
Évidemment, conscient que ces quelques mots pouvaient avoir des répercussions
difficilement contrôlables une fois tombés dans l’oreille des chasseurs de
scoop présents ce jour-là, il s’empresse d’ajouter que son
administration n’a pas encore étudié cette possibilité. Mais trop
tard, le mal était fait !
Un hélicoptère monétaire ?
Qu’est-ce donc que ce « QE for people » que les médias
ont d’ailleurs si rapidement baptisé « helicopter money »
? En fait, c’est l’économiste Milton Friedman qui, dans les
années 60, avait lancé l’idée que pour éviter à la monnaie de stagner dans
l’économie, il fallait peut-être imaginer de monter dans un hélicoptère avec
des tonnes de billets de banque et les disperser au-dessus de la population
pour relancer la consommation. En clair, faire avec les citoyens ce
que la BCE fait plus ou moins avec les banques en ce moment.
Loufoque ? On pourrait le croire, mais quand on pense que l’idée a pu
séduire jusqu’à Ben Bernenke (qui, pour rappel, fut président de la
FED de 2006 à 2014, excusez du peu !) au point de se voir surnommé Helicopter
Ben, on se dit qu’il n’en faudrait vraiment pas beaucoup pour que
l’économie mondiale bascule définitivement dans la folie douce.
Évidemment, de la théorie à la pratique, il y a davantage qu’un simple
pas, mais certains n’ont pas hésité à prendre des raccourcis pour l’envisager
très sérieusement. Et, depuis quelques jours, même les médias les plus
conventionnels se sont prêtés au jeu du « Supercopter de
Supermario ». Les moins regardants quant au réalisme de leurs
« analyses » ont par exemple imaginé que la BCE allait tout
simplement relancer la planche à billets pour fabriquer
quelques dizaines de milliards supplémentaires avant de demander aux banques
de lui fournir les numéros IBAN de tous les comptes des particuliers afin de les
créditer chacun de 500, 800 ou même 1000 euros. D’autres, sans doute
un peu moins pressés en raison de l’heure plus tardive à laquelle leur journal
était censé sortir, ont pris la peine d’imaginer des solutions un peu plus
élaborées. Parmi celles-ci, on retrouve l’or, dont les
stocks de la BCE pourraient ainsi se voir artificiellement revalorisés et la
différence de valeur (autrement dit, l’excédent réalisé) serait ensuite
reversée aux acteurs économiques, qu’il s’agisse des entreprises ou
des particuliers.
Quant à la manière de créditer les gens de toute cette nouvelle manne
quasi-divine, on l’a vu, certains ne s’embarrassent pas de fioritures et se
contentent d’imaginer une simple ligne « + 1000 € » sur les comptes
bancaires. D’autres, en revanche, pensent à de nouveaux crédits
d’impôts, des aides à l’investissement du genre
« 1 pour 1 » (pour chaque euro investi par l’agent économique, la
BCE amène elle aussi un euro), etc.
Mario Draghi ne va pas provoquer la chute de l’euro
Dans les faits, il ne se passera rien de tout cela. Tout
d’abord parce que Mario Draghi n’a JAMAIS dit qu’il s’agissait d’un projet de
la BCE. Il a juste reconnu que l’idée était intéressante (intellectuellement
parlant). Alors, certes, il y a encore un an, il aurait tout simplement
balayée d’un revers de la main une telle éventualité, laquelle confine
surtout à l’utopie et à la fantaisie. Mais son « ouverture d’esprit »
actuelle ne doit pas être prise pour autant comme le signe d’un intérêt
véritable pour cette solution. Ensuite, son discours actuel étant plutôt de
dire qu’il sera difficile de baisser davantage les taux directeurs
(qui sont déjà à zéro, donc, oui, c’est compliqué d’aller plus bas…), on
l’imagine mal prévoir en même temps une véritable explosion monétaire
qui ne ferait qu’accélérer la chute de l’euro. Enfin, l’idée de base
d’un éventuel « hélicoptère » monétaire serait d’inciter les
heureux bénéficiaires à consommer, histoire de continuer à faire circuler ces
milliards débloqués. Or, la situation actuelle ainsi que les perspectives peu
réjouissantes à court ou moyen terme auraient plutôt tendance à pousser
les agents économiques à épargner. Ce qui serait donc particulièrement
contre-productif.
Enfin, il faudrait encore arriver à convaincre les Allemands de la
pertinence d’un tel projet, à commencer par Jens Weidmann, le gouverneur
de Bundesbank, pour qui l’hélicoptère monétaire ne pourrait que faire
« des trous gigantesques dans les bilans des banques centrales »,
obligeant au final les États de la zone Euro, et surtout les contribuables
« à en supporter les coûts« . Une défiance (pour
ne pas dire une franche opposition) parfaitement compréhensible quand on sait
à quel point la mémoire collective allemande reste encore très imprégnée par
la période noire de l’entre-deux guerres où une brouette de billets ne
permettait même plus d’acheter un simple pain.
Par conséquent, même si l’idée a pu en faire rêver quelques uns et même si
les unes des journaux de ces derniers jours ont donné l’impression qu’on
annonçait enfin des bonnes nouvelles, la réalité est bien plus morose. Car
les bonnes nouvelles, aujourd’hui, on est apparemment obligés de les inventer
à partir de faits qu’on a tout simplement imaginés…