Article paru initialement le 22.08.2016
Il y a un an, on constatait amèrement mais sans surprise que le Sénat
peinait à contrôler son coût en regard d’une utilité tous les jours plus
discutable. L’avènement d’une nouvelle donne politique n’aura pas
fondamentalement changé les choses. Le Sénat est toujours aussi coûteux, et comme le montre l’actualité récente, ses membres semblent
toujours autant à l’abri de la moindre réclamation ou du moindre rappel à l’ordre de la réalité.
Ah, décidément, qu’il fait bon, en France, avoir un train de
Sénateur !
Dans de nombreuses familles, il existe un vieil oncle fêtard, une cousine
un peu gâteuse ou un beau-frère trop prodigue dont on se borne, aux réunions
de famille, à éponger les dettes. Dans la famille France, ce personnage haut
en couleur et cher en frasques coûteuses, ce serait le Sénat. Régulièrement,
la presse (re)découvre que cette institution, en plus d’agiter le microcosme
politico-politicien à chaque vote législatif un peu pointu, peut facilement
s’enorgueillir d’un coût de fonctionnement particulièrement élevé pour une
utilité tous les ans plus douteuse.
Les chiffres ne font guère de doute et même s’ils n’intéressent (presque)
personne, méritent d’être ressortis. En effet, alors que le pays semble
s’enfoncer avec un délice malsain dans des polémiques vestimentaires
particulièrement habiles à camoufler ses problèmes économiques et politiques
fondamentaux, il semble intéressant de constater que peu, pour ne pas dire
rien, a été fait pour aligner le train de vie des Sénateurs avec la passe
économique délicate que connaît le pays.
Pour s’en convaincre, il suffira de reprendre quelques articles, pas tous récents, mais toujours
d’actualité : entre l’indemnité de base, déjà élevée à 5.388 euros net
par mois, à laquelle on ajoutera un défraiement de 6.037 euros d’autant plus
généreux qu’il n’est soumis à aucun contrôle, les facilités de transport (en
avion ou en train), les primes diverses et variées et les facilités qu’offre
naturellement la fonction (à commencer par l’excellent restaurant), le
Sénateur français revient cher. Plus de 23.000 euros par mois, en fait. Quant à l’institution
elle-même, avec son budget qui dépasse les 323 millions d’euros à l’année,
elle ne se classe pas parmi les parents pauvres de la République.
Malheureusement, même si on rappelle ces chiffres aux Français de temps en
temps, leur réaction semble toujours aussi prosaïque, si ce n’est pas
carrément détachée. Tout se passe pour ainsi dire comme si le Sénat
n’existait pas vraiment, ou seulement le temps de l’une ou l’autre procédure
législative dans laquelle il viendrait mettre son grain de sel, à l’occasion.
Peut-être l’opacité des comptes est-elle responsable de cette nonchalance
des contribuables face aux dépenses princières de ces élus si particuliers.
Bien sûr, ces derniers se défendent, âprement même, de cacher leurs coûts et
leurs émoluments et prétendent à la transparence en faisant assaut de petits
rapports commodes plus ou moins validés par la Cour des Comptes. Cela ne
suffit malheureusement pas, loin s’en faut.
C’est là que les choses deviennent intéressantes puisqu’alors, la
curiosité pousse certains journalistes (ceux qui n’ont pas oublié le sens de
leur travail) à mener des enquêtes. Et lorsqu’il s’agit du Sénat, la
stupéfaction est souvent de mise. Il y a quelques années, une équipe de France 3 découvrait en effet que l’opacité
des comptes de cette institution républicaine était parfaitement assumée. On
se souviendra du moment mémorable où le questeur du Sénat (un certain Bernard
Saugey) expliquait trouver parfaitement normal que ces comptes détaillés
ne soient pas disponibles.
Pour lui, je cite (cf vidéo vers 1:22),
« ce n’est pas la peine que tous les gens regardent des choses qu’ils
ne seront pas capables de commenter ; ils auront certainement des
réflexions idiotes. »
On comprend dès lors assez bien
l’état d’esprit de ces élus, et leur positionnement quelque peu spécial
vis-à-vis des contribuables lorsqu’ils demandent des comptes. Ce qui explique
notamment leur récente réaction lorsqu’un ouvrage d’Yvan Stefanovitch, paru
courant juin, s’entichait de détailler les dérives sénatoriales qui, sans
être illégales (et pour cause : la loi, c’est eux), n’en restent pas moins
éthiquement discutables et économiquement injustifiées par les temps qui
courent. En effet, en publiant « Le Sénat. Un paradis fiscal pour
des parlementaires fantômes », le journaliste tente de lister et
décrypter les privilèges et autres facilités dont disposent ces élus.
Mais chose pas du tout étonnante lorsqu’on reprend les propos du questeur,
nos sénateurs n’entendent pas se laisser ainsi remonter les bretelles morales
par un journaliste qui ose résumer la dérive d’un lapidaire « Le Sénat, c’est quatre ou cinq
jours par mois pour… 11 350 euros net mensuel ». Ce qui se
traduira, quelques jours après la parution du livre en question, par un vote
de la Haute Chambre à la fois sans débat et fort discret puisqu’avec
seulement 40 votants … Vote qui autorisera Gérard Larcher, l’actuel président
de cette assemblée, à attaquer en diffamation Yvan Stefanovitch, pour faire
bonne mesure.
On ne se formalisera pas des conditions dans lesquelles ce vote est
intervenu (allez lire l’article en lien ci-dessus, c’est particulièrement
croustillant) puisqu’on comprend ici qu’il est surtout question pour
l’institution de protéger ses arrières et qu’en l’occurrence, tous les moyens
sont bons, même ceux qui sont les plus moralement douteux.
Malheureusement pour les sénateurs, la petite agitation procédurière et
leur tentative de discréditer le journaliste via un dépôt de plainte en
diffamation ne changera rien au fait que les questions soulevées restent
pertinentes : pourquoi les Français doivent-ils supporter les coûts d’une
institution qui ne fournit pas ses comptes, n’oblige ses membres qu’à une
transparence particulièrement minimaliste, et qui se refuse à toute remise en
cause ?
Il serait intellectuellement aisé de croire que faire faire des économies
à ces élus et à cette institution est un exercice anodin, voire vain tant les
déficits budgétaires de l’État sont énormes, les dérives des administrations
gigantesques et les abus évidents des uns et des autres, depuis les
collectivités territoriales jusqu’aux grands ministères nationaux.
Il n’en est rien. Imposer la transparence au Sénat est l’un de ces petits
pas indispensables qui s’imposent pour débuter la démarche d’enfin assainir
les finances d’un pays trop longtemps laissé en pâture aux politiciens les
plus cupides. D’autant que l’impact financier serait palpable : non
seulement, les petits ruisseaux font les grandes rivières, mais retailler le
Sénat pour coller à la réalité du pays, par exemple en redimensionnant le
nombre d’élus, s’impose alors qu’on attend plus de réactivité de ses
institutions. 100 sénateurs suffisent, et 248 sénateurs de moins, c’est plus
de 68 millions d’euros d’économisés tous les ans. Alternativement, abaisser
l’ensemble des frais de fonctionnement au pro-rata de cette diminution
ramènerait son coût à moins de 100 millions à l’année (contre 323
actuellement).
Et, miracle, alors qu’on peut parier sur un fonctionnement aussi efficace
de la Haute Chambre, 200 millions d’euros deviendraient à nouveau disponibles
pour des postes qui manquent cruellement de moyens, notamment dans le
régalien, cet espace que l’État semble avoir déserté pour compter fleurette
au social voire au sociétal. Combien de places de prison pourrait-on aménager avec ces sommes
sauvées de ces dispendieuses administrations ? Combien de matériels
informatiques pourrait-on fournir aux forces de l’ordre ou à la Justice qui
en manquent cruellement ? Combien de justiciables ou de victimes
pourraient être aidés par ces fonds de nouveau disponibles ? Pour rappel et
rien qu’à titre d’exemple, l’aide juridictionnelle représente 405M€ en 2016,
dont 20M€ pour les victimes. On pourrait plus que doubler ce montant sans
toucher d’un euro aux impôts et taxes collectés chez les Français…
Et au-delà de l’impact économique d’une véritable refonte du Sénat, il
faut comprendre l’impact psychologique indispensable que cette réforme
entraînerait : auprès des Français qui payent, qui verraient qu’on peut
faire bien mieux sans prélever plus, et en ne faisant grogner qu’une toute,
toute petite poignée d’entre eux. Pensez donc : pour seulement 248
politiciens retournant à la vie active, on aurait d’un coup 65 millions de
Français plus heureux (le calcul peut aller bien au-delà, comme je le détaille ici).
Autre bénéficie psychologique évident : les autres élus comprendraient
subitement le message que leurs épaisses rémunérations peuvent disparaître,
les incitant ainsi fermement à arrêter les âneries coûteuses et les débats
consternants et à se retrousser les manches pour parler des vrais sujets (au
hasard : le chômage, l’insécurité ou la pérennité du système de santé, pour
rire).
Bien sûr, ici, je m’aperçois avoir été pris d’une transe rêveuse. Tout
comme il n’y aura pas de réforme du Sénat, il n’y aura aucune espèce de
transparence de sa part. Démontrant toute leur futilité et leur mépris des
contribuables qui payent pour leurs salaires, les Sénateurs ont largement
prouvé qu’ils étaient complètement déconnectés des réalités de terrain. Et
même si une diminution effective du nombre et du train de vie des élus est
maintenant indispensable pour des raisons éthiques (ils doivent montrer
l’exemple) et des raisons économiques (ça nous coûte trop cher), vous pouvez
parier qu’il n’en sera absolument rien.
Tout se déroule comme prévu.
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