On ne lit
jamais assez les études de l’Institute of International Finance
(IIF), toujours cité dans la presse en précisant qu’il
s’agit du lobby des mégabanques, basé à
Washington. Au moins, ces gens savent ce dont ils parlent, même
s’ils ne le disent pas toujours publiquement, et nous savons alors de
quel point de vue.
Dans le vaste
monde sinistré du crédit hypothécaire, un secteur
particulier est réservé à l’immobilier commercial,
celui qui finance les galeries commerciales et les immeubles de bureaux. Dans
le Financial Times, Gillian Tett apporte un nouvel éclairage à
son propos, en s’appuyant notamment sur des données de
l’IFF.
Ce secteur
avait déjà soulevé de fortes inquiétudes, puis
celles-ci avaient disparu des colonnes de la presse économique et
financière. Pour rejaillir il y a peu. Selon les estimations de
l’IFF, la valeur des prêts hypothécaires commerciaux en
situation de défaut est en effet passée de mars 2008 à
mars 2010 de 25 milliards à 375 milliards de dollars, toutes banques
confondues.
Pour en
mesurer l’impact en Europe, il suffit de rappeler que, selon la banque
d’Angleterre, un tiers des prêts accordés par les banques
britanniques relèverait du secteur de l’immobilier commercial et
qu’il est estimé que les banques espagnoles en détiennent
dans des proportions similaires. A part l’Irlande, ces deux pays
détiennent en Europe le record des plus fortes expositions de leurs
banques à cette catégorie de prêt.
Mais ce que
révèle Gillian Tett est encore plus instructif. Afin
d’éviter de devoir constater des défauts qui
pèseraient dans leurs comptes, les banques utilisent pour ces
prêts une technique éprouvée qui consiste à les
renouveler sans fin (evergreening en Anglais), créant en
contrepartie d’importants besoins de refinancement. L’IFF a ainsi
calculé que 1.400 milliards de dollars de prêts devront
être dans ces conditions refinancés d’ici 2014, sauf si le
marché s’améliorait et les prix de l’immobilier
commercial consentaient enfin à monter. Plus alarmant, pour plus de la
moitié en valeur de ces prêts, la valeur des programmes
qu’ils ont financé est devenue inférieure au montant de
ceux-ci.
La situation
pourrait encore se détériorer, si la tendance à la
hausse des taux obligataires actuellement enregistrée devait se
poursuivre, comme beaucoup d’analystes l’estiment probable. Aux
Etats-Unis, ce ne seraient pas seulement les Etats et les
collectivités qui en subiraient les conséquences, ainsi que les
ménages qui n’ont pas encore fait défaut sur leur
prêt hypothécaire résidentiel. Les petites et moyennes
banques américaines, dont les engagements dans le secteur de
l’immobilier commercial sont importants, seraient elles aussi sur la
sellette et il est prévisible qu’elle continueraient de faire
faillite en série et de manière accélérée.
Certes, la
secousse qui en résulterait ne serait pas priori de l’ampleur de
celle créée par les subprimes, mais elle risquerait
également de créer une réaction en chaîne dans le
système bancaire, bien au-delà des pays où les banques
sont les plus exposées à ce risque. Si les travaux du
Comité de Bâle, du FMI et du Financial Stability Fund ont bien
mis en évidence une vérité dans la dernière
période, c’est que celui-ci continue à ne pas pouvoir
être appréhendé, a fortiori quand il est trans-frontières
(cross-border), et encore moins maîtrisé.
Il reste, en
attendant, à ranger l’evergreening aux côtés
des aménagements comptables complaisants sur
l’étagère des techniques destinées à
planquer les pertes sous le tapis en attendant des jours meilleurs. On savait
déjà que les banques l’utilisaient pour les LBO en
détresse (le leveraged buy-out est une technique de rachat
d’entreprise par emprunt auprès des banques). Mais la
contrepartie à payer est l’accroissement des besoins de
refinancement qui en résultent et les tensions que cela contribue
à créer sur le marché des capitaux. Ce qui ne fait que
conforter les inquiétudes de ceux qui voient venir les prémices
d’une crise de ce côté-ci.
Nous
n’en avons pas fini.
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article
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à condition que le présent alinéa soit reproduit
à sa suite. Paul Jorion est un « journaliste presslib’
» qui vit exclusivement de ses droits d’auteurs et de vos
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aujourd’hui tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut
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Paul Jorion, sociologue
et anthropologue, a travaillé durant les dix dernières
années dans le milieu bancaire américain en tant que
spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie
(Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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