Scientifiques et stratèges du climat sont réunis cette semaine à Berlin
pour débattre de la façon dont les technologies de manipulation du climat (ou
géo-ingénierie) pourraient en partie compenser notre incapacité à réduire
suffisamment les gaz à effet de serre responsables du réchauffement.
Fin 2015, 195 pays se sont engagés à contenir la hausse de la température
mondiale « bien en deçà de 2°C » voire 1,5°C par rapport au niveau
d’avant la Révolution industrielle. Mais l’accord de Paris ne précise pas
comment et quand ces objectifs doivent être atteints.
Or la température a déjà augmenté d’un degré, entraînant tempêtes
tropicales et vagues de chaleurs meurtrières, incendies… Des conséquences
dramatiques qui indiquent que le temps ne joue pas en notre faveur et que
l’éventail des solutions se rétrécit.
Michael Taylor, spécialiste de l’atmosphère à la West Indies University, a
rappelé cette semaine à Berlin l’urgence d’agir après les deux cyclones de
catégorie 5 qui ont récemment dévasté les Caraïbes. « Le climat de la
région va tellement changer qu’il ne va pas seulement être inhabituel, il
sera sans précédent », a-t-il déclaré.
« Il est devenu très clair que parvenir aux 2°C, et plus encore à
1,5°, dépendra beaucoup de notre capacité à extraire de grandes quantités de
CO2 de l’atmosphère », a dit Naomi Vaughan, climatologue à l’Université
d’East Anglia (Grande-Bretagne), devant les scientifiques réunis pour la 2e
Conférence d’ingénierie du climat.
De fait, 90% des projections climatiques du groupe d’experts du Giec
donnent un rôle clé à ces « émissions négatives » (retirer du CO2
de l’atmosphère) si le monde veut rester sous les 2°C.
Parmi les projets de capture du CO2 figurent l’intensification de
l’érosion des roches (phénomène qui absorbe le CO2), la production à grande
échelle de charbon de bois à partir de déchets organiques, la récupération du
CO2 émis par la combustion de biocarburant ou encore l’aspiration du dioxyde
de carbone contenu dans l’atmosphère.
La plantation massive d’arbres – qui stockent le CO2 – est elle aussi
considérée comme faisant partie des méthodes d’élimination du dioxyde de
carbone.
– Une pente dangereuse? –
L’autre approche, beaucoup plus controversée, le contrôle du rayonnement
solaire, consiste à renvoyer assez de rayons solaires dans l’espace pour
abaisser la température mondiale d’un degré ou deux.
La méthode consisterait à injecter dans la stratosphère des milliards de
particules réfléchissantes, ou à accroître par des procédés chimiques la
brillance de nuages.
« Il sera très difficile d’atteindre l’objectif de l’accord de Paris
de rester sous les 2°C sans avoir recours à au moins une, si ce n’est deux,
de ces formes de géo-ingénierie », estime Mark Lawrence, directeur de
l’Institute for Advanced Sustainability Studies basé à Potsdam.
Mais pour certains scientifiques, la géo-ingénierie est une pente
dangereuse.
« Elle détourne l’attention de la nécessité de réduire les
émissions » de gaz à effet de serre, estime Jean-Pascal van Ypersele,
professeur à l’Université catholique de Louvain et ancien vice-président du
Giec. « Retirer le CO2 donne l’illusion que nous pouvons continuer à
utiliser les énergies fossiles indéfiniment », a-t-il déclaré à l’AFP.
D’autres experts s’inquiètent surtout d’une manipulation du rayonnement
solaire.
« C’est la première fois depuis le développement des armes nucléaires
que nous avons un ensemble de technologies porteuses de conséquences sur la
Terre ainsi que sur la société humaine, à une échelle planétaire »,
souligne Arunabha Ghosh, président du Conseil de l’énergie, de
l’environnement et de l’eau à New Delhi.
Le contrôle du rayonnement solaire pourrait notamment perturber les
précipitations, et donc l’agriculture, relèvent ces critiques.
Les effets secondaires – réels ou supposés – de cette technique risquent
aussi de provoquer des conflits, ajoute Myles Allen, qui dirige le groupe de
recherche sur le climat de l’Université d’Oxford. Les pays victimes d’une
sécheresse, explique-t-il, pourraient par exemple accuser quiconque utilise
le contrôle du rayonnement solaire d’en être responsable.
Ces technologies pouvant être développées unilatéralement par un pays ou
une entreprise, il s’agira aussi de savoir qui déterminera les règles
régissant leur usage.
« Nous devons imaginer des accords gouvernementaux qui n’ont jamais
été imaginés auparavant », relève M. Ghosh, soulignant cependant
qu’entretemps, la recherche doit se poursuivre.
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-enviro...le-debat_117294