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1ère partie
Déjà
formulée au XIXe siècle par les libéraux français
(Destutt de Tracy, Frédéric Bastiat mais
aussi Charles Comte et Charles Dunoyer), la revendication de
l’État minimal a resurgi avec vigueur aux États-Unis au
cours du XXe siècle, notamment dans la controverse entre John Rawls et Robert Nozick. Selon
ce dernier, «
La question fondamentale de la philosophie politique, celle qui
précède toutes les questions sur la façon dont
l’État devrait être organisé, porte sur
l’existence même d’un État, quel qu’il soit.
» (Robert Nozick, État, anarchie et utopie, 1974, p.19).
1° John Rawls,
disciple de Rousseau
Le philosophe
américain John Rawls est mort en 2002,
à l’âge de 82 ans. Depuis la publication de
Théorie de la justice, en 1971, il était
considéré comme l'un des principaux penseurs politiques de son
temps.
Né le
21 février 1921 à Baltimore, il avait interrompu ses
études pour servir dans l'infanterie de combat dans le Pacifique,
pendant la seconde guerre mondiale. A son retour à la vie civile, il
entreprend des études de philosophie à l'université de
Princeton, dont il deviendra docteur.
Professeur
à Cornell puis à Harvard, John Rawls n'avait publié que quelques articles
épars lorsqu'il fait paraître, à l'âge de cinquante
ans, un livre long et aride dont personne ne prévoyait, et
certainement pas lui-même, à quel point il allait révolutionner
la pensée politique. Théorie de la justice (1971)
devient en effet rapidement la lecture obligatoire par excellence pour les
enseignements de philosophie morale et sociale des universités des
États-Unis. Dans ce livre, il critique l’utilitarisme et
réintroduit la dimension normative, ou l’éthique, au
cœur de la théorie politique. Parallèlement, le livre est
traduit dans de nombreuses langues et se répand sur tous les
continents. Les ouvrages de Rawls traduits en
français ne sont pas très nombreux, mais les principaux sont
pour la plupart accessibles en livre de poche. Son maître livre, Théorie
de la justice (Seuil, "Points Essais"), est à compléter
par Justice et démocratie et, par la série
d'études consacrées à son œuvre sous le titre Individu
et justice sociale.
Rawls inscrit sa pensée dans le
sillage du contractualisme de Rousseau : comment faire exister
« une société juste et stable de citoyens libres et
égaux, profondément divisés par des doctrines
religieuses, philosophiques et morales raisonnables quoique incompatibles
» ?
Selon Rawls,
une société ordonnée est une société
fondée sur des principes de juste répartition des biens. Ainsi,
« nul ne doit être avantagé ou
désavantagé par l’intervention du hasard de la
nature. » Autrement dit, puisque les différences de talents
ne sont pas méritées, il faut y apporter des compensations. Rawls justifie donc l’intervention active de
l’État pour compenser les inégalités par une
redistribution des richesses et la mise en place d’un État
providence avec la création de droits sociaux et
économiques. C’est ce qu’il appelle : « la
justice comme équité ».
Depuis plus de
trente ans, la plupart des théories politiques dans le monde
occidental, communautarisme, égalitarianisme,
féminisme, sont des réponses au livre de Rawls
ou des reformulations de théories passées (utilitarisme,
marxisme, libéralisme…), à la lumière de la
théorie normative de Rawls. C’est
notamment le cas du libertarianisme, tel
qu’il a été systématisé par Robert Nozick.
2°
Robert Nozick, disciple de Locke
Robert Nozick est originaire
d’un milieu juif newyorkais de Brooklyn, fils d’un immigrant
russe. À l'Université Columbia où il commence ses
études de philosophie, il sympathise avec les idées de la
« New Left ». Après un doctorat
en 1963 à l'Université de Princeton, il y devient professeur
assistant de philosophie. En 1969, il obtient le grade de professeur titulaire
à Harvard.
Au cours de ses études supérieures, il
rencontre Ayn Rand et Murray Rothbard,
qui le conduisent à lire les œuvres de Ludwig von
Mises et de Friedrich Hayek. Son évolution intellectuelle vers le libertarianisme culmine en 1974 avec la publication
d’Anarchie,
État et Utopie, une défense originale et très
argumentée de l’État minimal et une critique de la
social-démocratie défendue par son collègue de Harvard,
John Rawls. Immédiatement salué par les
intellectuels conservateurs et libertariens, son
livre devient une sorte de manifeste philosophique de la « New Right
», même si Nozick n’a jamais
vraiment apprécié les étiquettes politiques.
Le principal mérite de Nozick
est d’avoir fourni un vaste argumentaire contre les droits sociaux, la
redistribution et l’État social-démocrate de John Rawls. On ne trouvera pas chez Nozick,
contrairement à Ayn Rand ou à Murray Rothbard, de justification des droits individuels. Nozick opte pour une approche intuitive. Supposons, dit Nozick, que Locke ait raison et que les hommes ont droit
à la vie, à la liberté et à la
propriété. Quel type de société politique serait
compatible avec de tels postulats éthiques ? L'État social-démocrate
de Rawls est-il justifié ?
Toute l’argumentation de Nozick
dans Anarchie, État et utopie, consiste à montrer
que :
1° les critères de justice de John Rawls violent les droits fondamentaux, en particulier, le
droit de propriété, et sont donc en réalité
immoraux ;
2° l’État minimal est le seul type
d’État justifiable au regard de ces droits fondamentaux.
En effet, on
voit mal comment compenser les inégalités
socio-économiques au moyen de la contrainte de l’État
sans du même coup porter gravement atteinte à
l’égalité morale des citoyens et à leur
liberté individuelle. Or, selon Nozick, une
telle interférence continuelle dans la vie des gens, dans leurs
projets comme dans leurs actions se heurte à deux objections majeures
:
– Nozick reproche à Rawls
de ne pas prendre assez au sérieux le principe de la dignité
des personnes et l’impératif kantien, dont il prétend
pourtant se réclamer, qui consiste à traiter les autres comme
des « fins en soi » et non comme de simples moyens. En effet,
traiter les individus comme des « fins en soi » consiste à
reconnaître en chacun le seul propriétaire légitime de
lui-même, de ses capacités, ainsi que des biens qu’il
possède grâce à ses capacités et à son
travail. Or quand l’État prélève
l’impôt sur les revenus pour compenser les
inégalités, il se sert des capacités productives de
certains pour que d’autres (tous) en bénéficient.
L’État se sert donc de certaines personnes comme de moyens pour
servir les fins d’autres personnes.
– Dans
la théorie de la justice de Rawls, la
question des droits de propriété n’est pas
abordée, elle ne fait pas partie des principes éthiques et
politique permettant de fonder une société juste.
3° La justice comme
équité est arbitraire et immorale
Rawls pense que les talents de chacun ne lui
appartiennent pas vraiment mais qu’ils constituent un réservoir
dans lequel la société a le droit de puiser pour compenser les
inégalités. Selon Nozick, cette
théorie est à la fois arbitraire et immorale :
a) Il
est impossible de définir ce qui est mérité et ce qui ne
l’est pas ;
b)
La négation de la
propriété de soi équivaut à réduire les
hommes à n’être que de simples moyens pour les autres
Pour Rawls, talents et capacités sont des ressources
socialement disponibles, parce que leur distribution entre les individus
relève de ce qu'il appelle la « loterie naturelle ».
Pourtant, selon Nozick, la vraie justice,
c’est celle qui respecte les droits de propriété de
chacun : propriété de soi et propriété des biens,
acquis par le travail. Chacun de nous a ses talents et dispositions qui lui
appartiennent en propre, de sorte que nul ne peut s’en servir sans
notre consentement même pour en faire bénéficier les
autres.
Si moralement
le riche doit donner aux plus pauvres, il doit le faire librement et non pas
être contraint par l’État. « Ainsi, dénigrer
l'autonomie d'une personne et lui nier la responsabilité
première de ses actions, c'est une voie douteuse pour une
théorie qui souhaite par ailleurs conforter la dignité et le
respect de soi des êtres humains ». Je peux librement donner le
fruit de mon travail à un autre, mais quand l’État me
réclame par la force ce qui m’appartient en propre, il ne me
respecte pas comme personne morale et il agit de manière
illégitime.
A suivre….
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