Après
la débâcle de l’Affordable Care Act, il
faudrait s’interroger sur la capacité des pouvoirs publics
à fixer de manière arbitraire le contenu de l’assurance maladie,
mais aussi sur le fait que la nouvelle législation américaine
ait abouti à renchérir les coûts globaux, voire à
annuler l’assurance existante de millions de citoyens
américains, faute de conformité aux nouvelles normes
fédérales.
Il est de bon
ton en Europe de dénoncer les États-Unis comme un enfer pour
les pauvres, dépourvus de couverture médicale, où seuls
les ménages aisés seraient capables de s’assurer. En
réalité, le système américain est
étonnamment proche de nombreux régimes publics
européens, d’où d’ailleurs les problèmes
actuels. Regardons de plus près les programmes mis en place par le
président Lyndon Johnson dans les années 1960.
Medicaid représente le plus gros
programme fédéral de subventions destiné aux plus
nécessiteux. Chaque État détermine cotisations et prestations
selon des normes fédérales, et reçoit en contrepartie
des fonds proportionnels aux dépenses. Autrement dit, plus le
programme Medicaid est important, plus les subventions
seront élevées. En théorie, les
bénéficiaires de Medicaid sont des enfants de ménages
à faibles revenus. Dans la pratique cependant, 70 % des
dépenses sont consacrés aux personnes âgées et
handicapées.
Medicare accorde des subventions à
quelques 42 millions d’Américains, à partir de 65 ans. Ce
régime reste financé à 90 % par les impôts
(contributions des États et recettes fédérales, primes
et cotisations représentant les 10 % restants).
À l’instar
des États-providence européens, le système du tiers payant
est la règle, ce qui explique une grande partie l’explosion des
dépenses de santé. Voire, le tiers payant est plus
développé aux États-Unis qu’ailleurs : 86
cents par dollar dépensé ! Selon ce critère, le
régime public d’assurance maladie américain est le plus
socialiste du monde.
Au lieu de
laisser les citoyens évaluer cotisations et prestations
d’assureurs concurrents, l’État fédéral
dissimule activement le coût réel. Résultat : les
consommateurs réclament sans cesse une couverture élargie,
puisqu’ils n’en assument pas les frais directement. Il
s’ensuit une situation où les patients consomment sans
relâche des soins sans valeur ajoutée (puisque
« gratuits »).
À l’inverse,
les prestataires n’ont guère intérêt à proposer
des solutions innovantes, ni même des prix transparents. Au total, la
« sur-assurance » réduit les avantages
concurrentiels en faisant grimper les coûts et baisser la
qualité des soins.
Dans les
années 1970, la RAND Corporation a entrepris une expérience de
long terme pour évaluer les effets d’un système de
« universal care », sur le
modèle européen. L’enquête s’est
étendue de 1971 à 1982, impliquant 2 750 familles (au total 7
700 personnes, âgées de moins de 65 ans). Les enquêteurs
ont posé trois questions simples :
1) Quel est l’impact sur la
consommation de soins médicaux, grâce à
l’adhésion à une Health Maintenance
Organization (HMO) ?
2) Quel est l’impact sur la
qualité et l’adéquation des soins par un tel
dispositif ?
3) Quel est le résultat global en
termes de santé ?
Les
participants ont été répartis au hasard sur cinq types
d’assurance maladie dont seul un régime fut
exonéré de cotisations. Les autres formules stipulaient des
cotisations allant de 25 à 95 % des coûts réels. Les
familles ont participé à l’expérience pendant une
durée de 3 à 5 ans. Soixante pour cent des participants ont
été sélectionnés pour des examens de santé
au début et à l’issue de l’enquête.
Par rapport au
groupe bénéficiant d’une couverture sans contribution
personnelle, l’on a pu observer que :
-
quel
que soit le niveau de la cotisation versée, l’ensemble des
autres catégories a fait montre d’un nombre plus faible de
consultations de médecins, et 20 % de moins d’hospitalisations.
Cela vaut également pour les visites chez le dentiste et l’achat
de médicaments sur ordonnance ;
-
les
participants aux HMO avaient 39 % de moins d’hospitalisations ;
-
les
participants à tout système de partage direct des coûts
dépensaient moins pour les soins.
A priori, cela
semble évident : une franchise plus élevée et des
frais directs sont de nature à freiner la consommation. Or ce qui est
plus intéressant est le fait que ces catégories de personnes
n’ont pas rapporté d’effets négatifs significatifs
sur la santé par rapport à celle qui a
bénéficié de soins gratuits. Autrement dit, le tiers payant incite
à une consommation de soins que le patient en question n’aurait
peut-être pas choisie si le coût était plus directement
sensible.
Il faudrait
évidemment refaire l’enquête RAND aujourd’hui pour
mieux évaluer la situation actuelle. Une étude similaire a
pourtant été effectuée par McKinsey (2005) pour examiner
l’impact des comptes-épargne santé (Health Savings Accounts)
aux États-Unis, et les conclusions se rapprochent en ce qui concerne
la prise de conscience des patients quant aux frais réels :
-
ceux
qui ont choisi une solution HSA sont plus incités à regarder le
rapport qualité/prix des soins, sans incidents sur l’état
de santé (même s’ils ont moins tendance à consulter
pour les « petits bobos »)
-
ils
s’intéressent davantage à la prévention et
mènent une vie plus saine
-
ils
sont plus incités à se soumettre à une visite
médicale annuelle afin d’éviter des dépenses plus
lourdes à terme.
Sachant que le
chaos actuel ne permet même pas de savoir si les Américains
jadis détenteurs d’une assurance maladie privée qui leur
convenait sont en mesure d’opter pour un compte
épargne-santé, il est impossible de savoir si la solution HSA
et autres solutions de rechange pourront survivre.
Ce qui est
clair en revanche, c’est que le système américain en
l’état actuel n’est en rien un modèle. « If
you don’t like it, you still have to keep it. »
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