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L’éditeur
Berg International vient de publier un recueil de textes d’Octave
Mirbeau, traitant du pouvoir et intitulé La grève des électeurs et
autres textes.
Selon
Léon Tolstoï, « Octave Mirbeau est le plus grand
écrivain français contemporain, et celui qui représente
le mieux le génie séculaire de la France ».
Étonnant compliment pour un auteur quasiment oublié de nos
jours, un siècle plus tard.
Octave Mirbeau
est né en 1848 et il est mort en 1917. Il doit sa réputation
à son extraordinaire talent de polémiste et de
démystificateur de la vie politique française. À la fois
journaliste, critique, romancier et dramaturge, son style enflammé
rappelle celui d’un Léon Bloy ou d’un Céline
Il a
découvert les idées de Proudhon et de Kropotkine assez tard,
après avoir d’abord écrit pour des journaux bonapartistes
et antisémites. En 1885, il commence à adopter de plus en plus
ouvertement des positions anarchistes et n’hésite pas à
utiliser sa position comme écrivain influent pour populariser les
idées de l'anarchisme.
Qu’est-ce
que l’anarchie selon lui ? Ce n’est pas autre chose que
« la reconquête de l’individu, c’est la
liberté du développement de l’individu, dans un sens
normal et harmonique. On peut la définir d’un mot :
l’utilisation spontanée de toutes les énergies humaines,
criminellement gaspillées par l’État »
(Préface à La
Société mourante et l'anarchie, de Jean Grave, 1893).
« La
pensée anarchiste…est dans Spencer et dans Stuart Mill.
Lisez-les, et vous verrez que rien n’est plus intelligent »,
écrit-il à Paul Hervieu en octobre 1893. Il s’agit
simplement « de substituer à l’initiative de
l’État, l’initiative de l’individu », conclut-il.
Dans un
entretien avec André Picard pour le journal Le Gaulois, le 25 février 1894, il confie que ce
qu’il apprécie dans l’anarchisme, « c’est
avant tout (…) le règne de l’individualisme »,
qu’il oppose « aux stupides, aux dangereuses, aux annihilantes doctrines socialistes ».
En 1888, il publie
l’article « La Grève des électeurs »
dans le quotidien Le Figaro. Il y appelle
à refuser le suffrage universel et le système des
élections. L’électeur est pour lui un
« inexprimable imbécile ». Il se demande en
effet, « à quel sentiment baroque, à quelle
mystérieuse suggestion peut bien obéir ce bipède
pensant, doué d’une volonté, à ce qu’on
prétend, et qui s’en va, fier de son droit, assuré
qu’il accomplit un devoir, déposer dans une boîte
électorale quelconque un quelconque bulletin, peu importe le nom
qu’il ait écrit dessus ? ».
Il compare les
électeurs à des moutons. « Les moutons vont à
l'abattoir. Ils ne disent rien, et ils n'espèrent rien. Mais du moins
ils ne votent pas pour le boucher qui les tuera et pour le bourgeois qui les
mangera. Plus bête que les bêtes, plus moutonnier que les
moutons, l'électeur nomme son boucher et choisit son bourgeois. Il a
fait des Révolutions pour conquérir ce droit. »
S’il
fallait rapprocher le texte de Mirbeau d’un autre grand texte de la
littérature politique française, c’est le Discours de la servitude volontaire
d'Etienne de la Boétie qui viendrait immédiatement
à l’esprit. Ce texte, rédigé en 1549 par son
auteur à l'âge de dix-neuf ans, ressemble étonnamment
à La Grève des
électeurs. Déjà La Boétie
dénonçait la fascination imbécile des hommes pour le
pouvoir. Personne ne les contraint mais ils adorent leurs maîtres. Et
ces derniers « ne sont grands que parce que nous sommes à
genoux », disait-il.
Les
œuvres de Mirbeau sont le reflet de son engagement anarchiste. Plusieurs
de ses livres décrivent les absurdités de la bureaucratie et de
la corruption du pouvoir. Son roman le plus connu, Le Journal d'une femme de chambre, n'est pas seulement l'histoire de
la corruption des classes supérieures, mais de la montée en
puissance d'un antisémite. Dans Le
Calvaire, en 1886, il se livre à une démystification de la
guerre et de l’armée.
Un autre roman
de Mirbeau, Le Jardin des supplices,
a été rejeté par la critique comme un roman
décadent sadomasochiste. C’est un contresens sur son message
politique. Sa dédicace est explicite : « Aux
Prêtres, aux Soldats, aux Juges, aux Hommes, qui éduquent,
dirigent, gouvernent les hommes, ces pages de Meurtre et de Sang ». Pourquoi
certains crimes sont-ils illégaux et d’autres non ? Mirbeau
énumère le commerce colonial, la guerre, la chasse et
l'antisémitisme comme des formes légales d'assassinats.
Passionné,
Mirbeau fut un de ces rares écrivains qui ont réussi à
concilier l'engagement politique avec une totale liberté de
création.
Bibliographie :
Pierre Michel
et Jean-François Nivet, Octave Mirbeau, l’imprécateur au cœur fidèle,
Nouvelles éditions Seguier, 1990.
P. Michel,
« L’Itinéraire politique de Mirbeau », Europe, n°839, mars 1999.
Philippe Oriol, « Littérature et anarchie : le cas
Octave Mirbeau », Cahiers Octave
Mirbeau, n° 8, 2001, p. 298-305.
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