Pour rester sur le terrain des
apparences, deux lectures sont possibles du communiqué final de la
réunion du G20 finances : l’optimiste au premier degré,
et la réaliste après décryptage. Après avoir bien
sûr pris soin de mettre de côté la réaffirmation
principielle de l’indispensable coopération que la situation
réclame, sans laquelle un sommet n’existerait pas.
Si une conclusion peut sans
hésiter être tirée de cette
réunion, c’est que les Américains n’y ont pas
été à la fête.
Pas crédible pour deux
dollars et orfèvre du double langage, Tim Geithner
vient de déclarer que les Etats-Unis sont en faveur d’un dollar
fort, relativisant fortement par là même toutes les bonnes
intentions formulées dans le communiqué. Par exemple,
« [les membres du G20] vont prendre un ensemble de mesures visant
à réduire les déséquilibres excessifs et à
maintenir le déséquilibre de leurs comptes courants à
des niveaux soutenables ». Les mesures ne sont d’ailleurs
pas précisées, pas plus que ne l’est la définition
d’un « niveau soutenable », les Allemands, les
Chinois et d’autres pays dont l’Inde s’étant
fermement opposés à un objectif chiffré – les
Américains souhaitant voir reconnu un ratio maximum pour les surplus
de 4% du PIB – et le faisant savoir.
Le communiqué
précise aussi que « les économies
développées seront vigilantes face aux fluctuations excessives
et aux mouvements désordonnés des taux de change. Ces actions
aideront à réduire le risque de volatilité des flux de
capitaux auquel font face certains pays émergents ». Il
n’en fallait pas moins pour calmer les ardeurs de tous ceux qui
auraient reproché aux Américains d’inonder leurs
économies de capitaux spéculatifs.
Est-ce encore un vœu pieux ou
faut-il y lire la confirmation que la Fed – qui devrait prendre une
décision dans une dizaine de jours – ne fera fonctionner la
planche à billet que par paliers successifs, afin de tâter le
terrain et de ne pas encore brutalement accentuer l’envahissement des
économies émergentes par des flots accrus de capitaux ?
Une petite précaution dont les résultats ne sont pas garantis.
Rainer Bruederle,
ministre allemand de l’économie, a clairement mis en cause
« un accroissement monétaire excessif et
permanent », selon lui assimilable à une manipulation
monétaire des taux de change.
Profitant de sa présence
dans la région, et afin de poursuivre en comité restreint les
discussions, Tim Geithner va demain dimanche rendre
visite en Chine à Wang Qishan, le
vice-Premier ministre chinois. La lecture optimiste du communiqué
final reprend à l’occasion une certaine
crédibilité, cette rencontre pouvant laisser à penser
qu’Américains et Chinois sont au moins d’accord sur une
chose : essayer de cantonner la guerre dans les limites du raisonnable.
Ensemble, ils devraient explorer ce que pourrait signifier « maintenir
le déséquilibre de leurs comptes courants à des niveaux
soutenables ». Afin d’au moins sauver le G20 de
Séoul, et un peu plus si affinités.
C’est toutefois beaucoup
d’acrobaties pour pas grand chose. Car ce mécanisme ne
règle en rien ce qui suscite une levée de boucliers parmi les
pays émergents : les flux de capitaux spéculatifs qui
les envahissent et déséquilibrent leurs économies.
Comment combattre les
déséquilibres monétaires sans s’appuyer sur la
reconfiguration du système monétaire lui-même ? Cela
revient à mettre un cautère sur une jambe de bois, pour gagner
du temps. Ajoutant un dossier à la pile de ceux qui sont
déjà en suspens, faute de pouvoir les régler.
Le chapitre consacré
à la situation économique est également instructif en
raison de ce qui n’y figure pas. « La reprise
économique mondiale se poursuit, mais de façon fragile et
inégale » y relève-t-on. Les deux axes
d’intervention préconisés ne comprenant aucune allusion
à la lutte contre les déficits publics, objectif prioritaire
des Européens.
Il s’agit de « la
poursuite des réformes structurelles pour soutenir et doper la demande
mondiale, promouvoir la création d’emplois et accroître le
potentiel de croissance » et de « la
poursuite d’une politique monétaire appropriée afin
d’obtenir une stabilité des prix et contribuer ainsi à la
reprise « .
Ce manque aura incité
George Osborne, chancelier britannique de l’Echiquier et porte-parole
improvisé du G20 finances, a suppléer au communiqué
commun pour déclarer que « quasiment tous ceux à qui
j’ai parlé [du plan d’austérité
gouvernemental britannique] ont fait part de leur soutien pour ce que
j’ai fait ».
Comme le dit le communiqué,
afin de définitivement convaincre les incrédules, «Dans
une économie et un système financier globalisés, des
réponses non coordonnées conduiront à des résultats
pires pour chaque pays. Notre coopération est
essentielle ». Cela en prend tout droit le chemin.
Seul lot de consolation, un
compromis a été trouvé à l’arraché
afin de faire de la place aux pays émergents dans le conseil
d’administration du FMI. Assorti d’un doublement des quote-parts des pays, ce qui va renforcer les moyens
financiers du Fonds. Cela pourra toujours servir à l’avenir.
Billet
invité : François Leclerc
Paul Jorion
pauljorion.com
(*) Un « article presslib’ » est libre de reproduction en tout
ou en partie à condition que le présent alinéa soit
reproduit à sa suite. Paul Jorion est un
« journaliste presslib’ » qui vit
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pourra continuer d’écrire comme il le fait aujourd’hui
tant que vous l’y aiderez. Votre soutien peut s’exprimer ici.
Paul Jorion,
sociologue et anthropologue, a travaillé durant les dix
dernières années dans le milieu bancaire américain en
tant que spécialiste de la formation des prix. Il a publié
récemment L’implosion. La finance contre l’économie (Fayard : 2008 )et Vers la crise du capitalisme américain ? (La
Découverte : 2007).
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