La chose est maintenant sûre : l’État français perd de l’argent à gros bouillon parce que ses concurrents fiscaux sont meilleurs. Et ça, mes petits amis, scrogneugneu de nom d’une pipe en bois, ça ne se passera pas comme ça ! Le gouvernement, se rendant subrepticement compte de ces fuites massives de capitaux, va donc agir pour corriger cette situation inique !
Et par « gouvernement », on entend ici Michel Sapin, l’actuel ministre de nos actuelles finances, ce qui, quand on voit la bobine rebondie du premier et la tronche émaciée des secondes, donne à réfléchir. Le Michel, il ne s’en laissera donc plus compter : « Je serai intraitable » aurait-il même déclaré jeudi dernier (peut-être sous le coup d’un vin un peu trop capiteux), lançant ainsi une offensive en règle contre les sociétés françaises qui auraient eu l’idée saugrenue de faire de l’optimisation fiscale par l’intermédiaire de filiales à l’étranger ou de rescrits fiscaux (tax rulings) accordés par d’autres pays de l’Union européenne.
Et en avant, voilà notre joufflu politicien juché sur sa Rossinante à l’assaut de moulins fiscaux qu’il ne maîtrise pas mais se fera fort de démanteler de ses petits bras agités. Il est tout remonté, notre homme, et il compte bien parvenir à quelques résultats. D’après plusieurs études, le fisc français serait (avec l’allemand) l’un des plus grands perdants de ces rescrits fiscaux. De surcroît, le mois dernier, les 28 gouvernements de l’Union se sont entendus pour une règle de transparence totale entre administrations nationales, couplée à un échange automatique des informations sur ces tax rulings. Ceci devrait déboucher sur une nouvelle directive européenne, pilotée par cet as de Moscovici qui a fait tant de bien à la France et dont on imagine sans mal qu’il va faire des étincelles dans le domaine. D’ailleurs, les discussions en cours portent sur la durée de la rétroactivité du coup de matraquage fiscal qu’il faudra appliquer (oui, oui, rétroactivité légale, en droit fiscal, c’est possible), et que le brave commissaire, toujours aussi lucide sur le plan économique, entend porter à 10 ans.
On attend déjà avec gourmandise les effets de bords débiles et crisogènes que ces belles intentions vont provoquer. En attendant, vilains évadés fiscaux, vos jours sont comptés, et vos portefeuilles surveillés ! Tremblez, mauvais contribuables félons !
Ceci étant dit, intéressons-nous deux minutes au fond de l’affaire pour mesurer l’ampleur des dérapages à venir. Cela nécessite d’être un peu technique, mais le jeu en vaut la chandelle, ne serait-ce que pour dissiper les épais nuages de pignouferie que les articles produisent autour du sujet.
Passons rapidement sur la différence entre évasion fiscale et optimisation fiscale, on a maintenant l’habitude de la confusion journalistique éhontée qui permet de faire passer les utilisateurs chevronnés de la seconde pour des malandrins habitués de la première. L’optimisation, rappelons-le, consiste à limiter son impôts en utilisant tous les moyens légaux mis à sa disposition, que ce soit par des montages juridiques plus ou moins complexes (mais légaux) ou des investissements dans certaines niches fiscales (légales). L’évasion, par définition, consiste à fuir d’une prison fiscale vers un pays de moindre tabassage en soustrayant autant que possible l’opération aux yeux des gardes-chiourme fiscaux.
Passons également sur cette logique socialiste assez typique qui veut que l’impôt est un dû et qu’il est formellement interdit de chercher à le réduire, même par des dispositions pourtant légales. Dans la belle idée de nos collectivistes, comme tout ce que vous faites leur appartient (la réciproque étant fausse, soyons sérieux), tenter d’en garder un peu pour vous constitue un vol. Implacable comme un goulag de Sibérie en plein hiver.
Rentrons plutôt dans le vif du sujet : ces fameux rulings. Qu’est-ce que c’est exactement ? Pour le résumer dans un format raisonnable, il s’agit d’une entente entre un contribuable et une administration fiscale (dans la mesure où ce dernier a confiance dans l’administration) qui consiste à faire valider des hypothèses de travail par les services fiscaux compétents. Essentiellement, il s’agit de prendre contact avec eux pour leur expliquer un cas spécifique, en leur présentant la façon dont on l’interprète, et en leur expliquant le calcul qu’on espère voir appliqué pour ses impôts. Dans la foulée, on attend donc de cette administration une confirmation ou une explication de la façon dont elle va réaliser ses opérations. Bien évidemment, à aucun moment il ne s’agit d’une discussion de marchand de tapis dans laquelle le contribuable négocierait avec l’administration pour obtenir un rabais, un abattement ou que sais-je. En somme, il s’agit avant tout de bien s’approprier les règles fiscales locales.
Dans le cadre de sociétés multinationales, se pose alors la question de cette application à l’échelle du groupe. On peut en effet être juste au niveau local mais avoir tort au niveau de toute la holding. C’est ainsi que s’introduit le concept d’abus de droit, qui revient en l’espèce à mettre en place un mécanisme à visée exclusivement fiscale. Le mot-clé ici est exclusivement. Et dans ce cadre, le fisc français doit être en mesure de prouver que le montage n’a pas d’autres buts que d’échapper à l’impôt. Une bonne optimisation fiscale consistera donc à « fournir de la substance » c’est-à-dire, à créer une filiale dans un autre but que celui d’échapper à l’impôt, ce dernier bénéfice ne devenant alors qu’un sous-produit pratique de l’opération, et non recherché en premier lieu.
À partir du moment où ces deux éléments, le ruling et la substance, sont réunis, le mécanisme d’optimisation fiscale est inattaquable. A contrario, vous vous exposez ou bien à des risques dans le pays de défiscalisation (en cas d’absence de ruling) ou bien dans le pays d’origine (en cas d’absence de substance).
En pratique, la loi française couvre déjà tous les abus. D’ailleurs, les employés du fisc ne se privent absolument pas de contrôler les sociétés systématiquement dans les trois ans qui suivent la mise en place d’un tel mécanisme. Et bien sûr, le fisc est au courant de ces pratiques puisqu’au moment du montage, la création de la filiale entraîne automatiquement le paiement d’une « exit tax » sur la valeur de l’apport.
Pour revenir aux dernières déclarations de Sapin, il faut donc comprendre que, tant que la directive n’est pas votée et transposée en droit fiscal français, tout est déjà en place pour encadrer cette optimisation. Oui, vous l’avez compris : le petit ministre est dans l’incantatoire, les moulinets de menton, les agitations de petits bras et l’enfumage de journaliste. La volonté de dissuasion pour effrayer le contribuable (qu’il soit particulier ou société) est ici assez claire, et vise sans doute à ralentir ou geler ces montages complexes dans l’attente de la loi définitive, mais c’est à peu près tout.
Enfin, on ne peut que déplorer ces nouveaux petits pas sur la route de la servitude, petits pas marqués par de nouvelles limitations de mouvements des capitaux, et la réduction de la concurrence fiscale entre les États en se calant, bien évidemment, sur les plus gourmands, en tuant les avantages comparatifs de petits (Luxembourg, Suisse, Belgique, Irlande, …) qui misent sur une politique fiscale accommodante comme outil d’attractivité. Faire le contraire, transformer la France en relâchant les contraintes fiscales, en offrant aux investisseurs un paysage fiscal à la fois stable et doux, n’était pas envisageable. Pensez donc : si ça marche pour le Luxembourg ou la Belgique, ça ne peut pas marcher pour la France !
Décidément, Moscovici d’un côté, Sapin de l’autre, de concert pour entraîner toute l’Europe dans la spirale fiscale française … Forcément, ça va bien se passer.
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