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Dans les années qui précédèrent la guerre
mondiale, presque tous les pays possédaient l'étalon-or.
Le terme: étalon-or signifie que l'unité monétaire
consiste en un certain poids d'or qui est fixé par la loi. Les
pièces d'or frappées par les établissements
d'État, conformément à la parité légale,
sont seules considérées comme monnaie principale. Elles seules
ont un pouvoir libératoire illimité: c'est-à-dire qu'un
débiteur ne peut se libérer de ses dettes qu'à l'aide de
cette monnaie. Pour les besoins des menus paiements de la vie quotidienne, il
existe, en outre, des monnaies divisionnaires en argent, nickel, bronze, etc.
Mais ces monnaies divisionnaires n'ont qu'un pouvoir libératoire
limité. Nul créancier n'est obligé de les accepter en
paiement au-delà d'une certaine quotité fixée par la
loi. Les monnaies divisionnaires sont frappées uniquement pour le compte
de l'État, en quantités que la loi détermine directement
ou indirectement. En revanche, la frappe de la monnaie-or est libre. Partout ou
l'étalon-or est en usage, les billets de banque sont en tous temps
convertibles en monnaie-or, sur simple demande de leurs détenteurs.
Ceci a pour effet de rendre impossible la dévaluation des billets de
banque par rapport à l'or. Il s'ensuit qu'on peut définir
l'étalon-or comme un système où la valeur de l'or en
unités monétaires est fixée par la loi. L'étalon-or
a vu le jour en Angleterre, au 18e siècle, et presque tous les pays
l'adoptèrent au cours du 19e siècle. L'or devint ainsi
l'étalon international.
L'or n'a pas de valeur
stable. Il s'ensuit que le pouvoir d'achat de la monnaie-or est variable. Car
l'immutabilité du pouvoir d'achat est inconcevable dans un monde qui
n'est pas tout à fait figé, c'est-à-dire mort. On peut,
toutefois, affirmer que la valeur de l'or est sujette à de moindres
fluctuations que la valeur d'autres biens. Mais il ne faut pas, pour cela,
s'imaginer que sa valeur soit immuable.
Par rapport à
la monnaie libre, c'est-à-dire à une monnaie dont la valeur
n'est pas liée à celle d'un métal précieux,
l'étalon-or a ce grand avantage d'affranchir le pouvoir d'achat de
l'influence des fluctuations politiques. En ce qui concerne les transactions
commerciales et financières avec l'étranger, il a
l'incomparable avantage de fixer la valeur des échanges
monétaires entre les différents pays. Les devises nationales ne
varient que légèrement entre deux cotes qui sont à peu
près immuables et fixées pour chaque devise par rapport
à chacune des autres: ce sont les gold points, les points
d'or d'entrée ou de sortie.
- II -
L'abandon de
l'étalon-or n'a pas été causé par le
déchaînement des éléments, ou par des catastrophes
qu'il n'était pas au pouvoir de l'homme de détourner. Son
abandon n'est pas une conséquence directe de la Grande Guerre et des
transformations politiques de l'après-guerre. L'étalon-or s'est
effondré, parce que les gouvernements, les parlements et l'opinion
publique ne désiraient plus le maintenir.
La guerre, et puis la
malheureuse politique d'après-guerre ont considérablement
enflé les dépenses publiques. Ces dépenses auraient pu
être entièrement couvertes, soit par l'augmentation des impôts,
soit par l'émission d'emprunts. Car, de toutes manières, ce que
l'État dépense ne peut être pris que de deux sources: des
revenus ou du capital des citoyens. Un troisième moyen n'existe pas.
Ce que l'État dépense en trop doit être fourni par les
citoyens, qui réduisent leurs dépenses ou entament leur
fortune. C'est là une vérité élémentaire
et facile à saisir, bien que certaines gens aient de la peine à
l'admettre.
Dans le cas où
gouvernement et parlement sont, d'une part, trop faibles pour limiter les
dépenses, et que, de l'autre, ils reculent devant
l'impopularité de nouveaux impôts, et si, enfin, ils ne peuvent
contracter d'emprunt, alors ils recourent à la troisième
solution, qui est l'inflation. L'État émet lui-même du
papier-monnaie, ou bien il oblige la Banque nationale à lui consentir
un emprunt, par une émission supplémentaire de billets de
banque. Ces billets ont cours forcé; la Banque est relevée de
l'obligation de les échanger sur demande contre de la
monnaie-or.
L'inflation n'est pas
un moyen de couvrir définitivement les besoins accrus. L'État
a, par exemple, besoin de canons. Ces canons doivent être
fabriqués, et les matières premières et la main-d'oeuvre
dont on a besoin pour la fabrication doivent être récupérés
sur les citoyens, et pour cela distraites d'autres emplois. Une
émission supplémentaire de billets ne peut produire des biens
réels. Quand l'État recourt à l'émission de
papier-monnaie, c'est aux citoyens qu'en réalité il les
demande. Les voies par lesquelles on amène les citoyens à
sacrifier une partie de leur revenu ou de leur capital à l'État
diffèrent, quand il s'agit d'inflation, de ceux employés en cas
d'impôts supplémentaires ou d'emprunt. Mais toujours et dans
tous les cas, ce sont les citoyens qui paient l'écot, et nullement
l'État, ou quelque pouvoir mystérieux et magique.
Lorsque, pour couvrir
ses besoins accrus, l'État, devenu acheteur, jette sur le
marché ses billets nouvellement imprimés, il fait monter les
prix des biens et de la main-d'oeuvre dont il besoin. les prix de ces biens
et de cette main-d'oeuvre augmentent; mais les prix des autres biens et de la
main-d'oeuvre non requis par l'État restent tout d'abord
stationnaires. Ils ne commencent à monter que lorsque, eux aussi,
voient la demande monter. Tous ceux dont les revenus augmentent du fait des
commandes de l'État – en cas d'armements, les entrepreneurs et
les ouvriers des industries d'armement – font, à leur tour,
monter les prix par la demande accrue des marchandises qu'ils désirent
acheter. L'augmentation des prix se poursuit ainsi, de groupe en groupe,
jusqu'à ce que, finalement, elle s'étend à tous les prix
et tous les salaires.
Du fait que
l'augmentation des prix résultant de l'inflation n'atteint pas du
même coup toutes les marchandises et toutes les catégories de
travailleurs, découlent toutes ses conséquences sociales, ainsi
que les avantages qu'en retire le Trésor. Car, tant que cette hausse
des prix n'a pas accompli son périple complet à travers toute
l'économie, elle nuit à tous ceux qui ne peuvent retirer que
les prix anciens des marchandises qu'ils ont à offrir, cependant que,
pour les marchandises et pour la main-d'oeuvre dont ils ont besoin, ils ont
à payer les nouveaux prix augmentés. Ce sont ces couches de la
population qui paient l'écot: ce qu'ils consomment en moins ou
distraient de leur fortune enrichit les autres.
Ces effets de
l'inflation sur les prix s'étendent indifféremment à
tous les domaines, et quel que soit l'emploi de l'argent ainsi obtenu.
Même lorsque ces sommes ne restent pas improductives, comme c'est le
cas lorsqu'elles servent à acheter des armes, leur effet sur le
mouvement des prix reste le même.
On voit ce qu'il faut
penser du recours à l'inflation – avouée ou
déguisée – lorsqu'il s'agit de couvrir les
dépenses publiques, ou d'encourager l'activité industrielle par
l'abaissement du taux d'escompte et l'élargissement du crédit.
- III -
La multiplication de
la monnaie-papier a pour conséquences sa dépréciation
par rapport à l'or, par rapport aux marchandises, à la
main-d'oeuvre, et aussi par rapport à l'argent étranger. La
Banque n'étant plus tenue d'échanger les billets contre de
l'or, et la quantité des billets de banque augmentant, leur valeur par
rapport à l'or décroît. Comme les prix montent à
l'intérieur du pays, alors qu'ils restent les mêmes à
l'étranger, il s'ensuit que le prix de l'argent étranger doit
également monter à l'intérieur du
pays. Les lois du pays se cramponnent néanmoins
à la fiction que la valeur de la monnaie nationale n'a pas
changé. Ils reconnaissent à la monnaie-papier
dépréciée le même pouvoir libératoire
qu'à la monnaie-or dont la valeur est supérieure sur le
marché. Celui qui a une dette de cent francs a le droit de s'en
libérer indifféremment par le versement de cinq pièces
de vingt francs en or, ou par le versement de cent francs en monnaie-papier.
Il va de soit que le débiteur choisira le mode de paiement qui lui est
le plus avantageux et donnera du papier et non de l'or. Il en résulte
que l'or disparaît de la circulation. Quiconque a de l'or le garde, ou
cherche à l'échanger là où il en obtient
davantage que la valeur nominale en monnaie-papier. Des deux monnaies en
concurrence, « la pire chasse labonne ». Cependant,
n'oublions pas que cela n'est possible que parce que les gouvernements
imposent à la monnaie inférieure qu'ils ont créée
le même pouvoir libératoire qu'à la bonne monnaie.
- IV -
L'or une fois
chassé de la circulation par la politique, les politiciens
émirent l'affirmation que l'étalon-or avait fait faillite et
que, pour cette raison, il était impossible d'y retourner.
Tantôt ils donnent comme raison que la production d'or est insuffisante,
ce qui provoquerait une forte baisse des prix, en cas de retour à
l'étalon-or. Et tantôt ils affirment que la production d'or est
si considérable qu'un retour à l'étalon-or
entraînerait une hausse des prix considérable. Enfin, l'on
soutient en outre, qu'avant de songer à restaurer l'étalon-or,
il faudrait rétablir des conditions normales dans la vie
économique.
Tous ces arguments
sont sans valeur. L'ordre ne sera rétabli dans la vie
économique que lorsque le désordre monétaire aura pris
fin, grâce au retour à l'étalon-or. Rien ne serait plus
simple. Pour que l'étalon-or fonctionne à nouveau sans accrocs,
il suffit que les gouvernements s'abstiennent à l'avenir de toute
tentative de couvrir une partie du déficit par de nouvelles
émissions de monnaie-papier, ou de stimuler artificiellement
l'activité économique par un élargissement du
crédit. Tout pays, qu'il soit pauvre ou riche, fortement armé
ou sans moyens de défense, peut rétablir et maintenir
l'étalon-or « orthodoxe » (qualificatif qu'on
applique aujourd'hui à l'étalon-or), pourvu qu'il le veuille.
Et cela indépendamment de sa situation budgétaire, du bilan du
commerce extérieur, des dettes contractées à
l'étranger, ou encore des ressources à l'intérieur du
pays. Une seul chose est indispensable: qu'on renonce à des mesures
vaines qui, dans le cours des événements, ne font
qu'ébranler le
système monétaire.
Ce ne sont pas les
faits qui empêchent le retour à l'étalon-or: ce sont des
doctrines erronées, soutenues par l'opinion publique. Pour amener le
rétablissement de l'étalon-or, il faut que l'opinion publique,
et les gouvernements à sa suite, renoncent aux conceptions qui les
dominent aujourd'hui. Pour qu'un pays puisse maintenir son étalon-or,
il n'y a rien d'autre à faire qu'à renoncer aux procédés
dont on use actuellement. Les règles indispensables au maintien de
l'étalon-or les suivantes:
1) En aucun cas la
machine à imprimer ne doit servir – directement ou indirectement
– à couvrir les dépenses publiques. Toutes les
dépenses publiques doivent être couvertes par les impôts
ou les emprunts que les citoyens consentent à distraire de leurs
économies.
2) La Banque d'émission doit, en tous temps, et immédiatement,
convertir les billets émis par elle, au taux de la parité or
légale. Et pour être en état de le faire, elle doit
éviter de baisser artificiellement le taux de l'escompte par
l'élargissement du crédit.
Tant que les
peuples ne seront pas disposés à appliquer rigoureusement ces
principes, ils ne cesseront pas de souffrir de troubles monétaires. Il
est insensé d'appliquer aux fluctuations monétaires les termes
empruntés au vocabulaire militaire. Il n'y a pas de bataille du franc,
ni d'attaque du franc, ni de défense du franc. Il n'y a que deux
politiques monétaires: celle qui ne veut pas avilir la monnaie, et
celle qui entraîne l'abaissement du pouvoir d'achat de l'unité
monétaire. La faillite de l'étalon-or est la conséquence
d'une certaine politique monétaire et non l'oeuvre des
spéculateurs, ni la conséquence d'une fatalité à
laquelle on ne peut se dérober; elle n'est pas non plus assimilable
à une bataille perdue.
Une bonne partie de
l'opinion publique et beaucoup d'hommes d'État sont d'avis que
l'inflation et toutes les conséquences qu'elle entraîne sont
préférables au maintien de l'étalon-or – ou, du
moins, que c'est un moindre mal. Cette opinion est erronée. Mais, du
moment qu'on la fait sienne, il ne faut pas s'étonner si,
infailliblement, les conséquences de l'inflation se
produisent.
- V -
Ce serait
dépasser les limites de cet article que d'énumérer tous
les arguments produits par les partisans de l'inflation et d'en
démontrer l'inanité. On l'a, du reste, fait si souvent, que,
pour se renseigner, il suffit de recourir aux nombreux ouvrages qui traitent
de la question.
Nous n'insisterons que
sur un des aspects du problème, et cela parce qu'on lui accorde
généralement une attention insuffisante.
L'inflation nuit au
créancier et favorise le débiteur. Mais – choses
surprenante – l'opinion publique croit y voir un avantage des classes
pauvres au détriment des riches. Mais l'opinion que les riches sont
les créanciers et que les pauvres sont les débiteurs est
démentie par les conditions sociales actuelles. Les grandes fortunes
sont généralement investies en actions, entreprises, maisons ou
terrains. Mais les modestes fortunes de la classe moyenne consistent
généralement en créances. Les économies des
ouvriers et des intellectuels sont déposées dans les banques et
les caisses d'épargne, ou servent à l'achat d'obligations. Les
moins favorisés deviennent ainsi les créanciers des plus
riches, à qui appartiennent les entreprises, maisons et terrains
endettés. La destruction de la valeur des créances n'est donc
pas un avantage pour les pauvres, mais, au contraire, un
préjudice.
La stabilité
sociale d'un État industriel moderne a pour fondement la
possibilité pour chacun d'économiser et de jouir de ses
économies. Si, par l'inflation, on frustre les épargnants du
fruit de leurs épargnes, on sape les bases de l'équilibre
social. Même si, du point de vue économique, l'inflation
n'était pas si désastreuse, elle devrait être combattue
par tout homme d'État, à cause de ses répercussions
sociales. Elle prolétarise les classes moyennes et les jette dans les
partis extrêmes. C'est dans les rangs des classes dont l'inflation a
englouti l'avoir que les amateurs de coups de force recrutent leurs
troupes.
Recourir à
l'inflation pour surmonter des difficultés passagères
équivaut à brûler ses meubles pour ses
chauffer.
Article
originellement publié par le Québéquois Libre ici
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